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Tomás Regalado : « Miami a un avenir ! » Mais le maire fait part de ses craintes sur Trump, Clinton, les armes à feu et la montée des océans

Tour d’horizon (sans concession !) de l’actualité avec Tomás Regalado, qui est maire de Miami depuis 2009, après avoir été conseiller municipal depuis 1996. Trump, Clinton, Obama, les fusils d’assauts et la montée des eaux : Regalado fait part de ses craintes, mais il souligne l’avenir radieux de Miami.

Journaliste, Tomás Regalado a été reporter international, et effectué des voyages de presse avec trois présidents des Etats-Unis (Ronald Reagan, George H Bush et Bill Clinton). Membre du corps de presse accrédité à la Maison Blanche, il a interviewé à de nombreuses reprises d’autres présidents américains (Nixon, Ford, Carter) ou étrangers (Gorbatchev, Eltsine, Sadat…).

LE COURRIER DE FLORIDE : Est-ce que Donald Trump a une chance de vous faire changer votre point de vue à son égard, et de vous faire voter pour votre propre parti durant les élections présidentielles ?

Tomás REGALADO : Absolument pas, car à chaque fois qu’il parle, Donald Trump offense des parties de notre communauté. Ca a été le cas quand il a qualifié de « violeurs » et de « dealers » les immigrés, puis quand il a dit d’un juge américain qu’il était « Mexicain ». J’ai toujours vécu aux Etats-Unis, tout comme mes enfants qui y sont nés, mais j’ai grandi dans un autre pays. C’est impossible pour moi de voter pour un candidat qui pense que je suis un étranger. C’est une décision difficile, mais je crois que je la partage avec beaucoup de monde, y compris au sein du Parti Républicain. Les buts et les idées du parti, c’est certes d’être pour un « gouvernement réduit », mais c’est aussi que les Etats-Unis aient une forte présence dans le monde pour défendre la liberté et les droits de l’homme. Et, à ce niveau-là, celui de la politique étrangère, je n’ai pas été capable de comprendre les idées de M. Trump… et je ne pense pas qu’elles existent. A chaque fois il dit tout et son contraire.

LE CDF : Comprenez-vous que Marco Rubio soutienne dorénavant Donald Trump ?

T.R : Marco essaye de suivre la ligne du parti. J’ai beaucoup de respect pour Marco, et je l’ai soutenu. Mais je pense que sur ce point précis il a tort. Je ne me sens pas obligé de suivre la ligne du parti.

LE CDF : L’échec de Marco Rubio fût-il une grande déception ?

T.R : Marco avait tout pour devenir président des Etats-Unis. Trump est arrivé, seul, et il a défait tous les experts. Il a utilisé un langage qui a charmé certaines personnes. Il y a toujours dans ce pays des citoyens qui n’apprécient pas le fait qu’on ne leur ressemble pas, qu’on ait un accent, que nous « leur prenions leurs emplois » : ce sont les gens qui suivent Trump. C’est une histoire triste mais… c’est une histoire vraie.

Tomás Regalado et Cuba

Né en 1947 à La Havane, à l’âge de 14 ans ses parents l’ont mis seul avec son frère Marcos dans un avion à destination de Miami (en avril 1962), dans le cadre de l’opération Peter Pan, destinée à organiser l’exode des enfants fuyant la dictature communiste installée sur l’île trois ans plus tôt. Il a ainsi passé ses premiers mois en Floride dans un camp pour garçons à Kendall, avant que sa mère ne puisse rejoindre les Etats-Unis. Son père, Tomás Regalado Molina, était avocat et journaliste, et le dernier président de l’association des journalistes et reporters cubains. Défendant la liberté d’expression et la liberté de la presse, il a été prisonnier politique du régime castriste durant 22 ans, avant de pouvoir rejoindre Miami à son tour.

LE CDF : Ronald Reagan avait serré la main des tyrans soviétiques… et ensuite gagné la Guerre Froide. La Maison Blanche ne peut-elle faire de même avec la dictature cubaine ?

T.R : Ce qu’Obama a fait à Cuba est mauvais. Le problème n’est pas d’établir des relations avec Cuba, le problème c’est qu’un président américain leur fasse le cadeau d’aller là-bas, sans rien demander du tout en retour. Et si Mme Clinton fait de même – ce qu’elle fera sûrement – alors nous ne devrons pas soutenir cette démarche qui permet que se maintienne une dictature, sans élection libre, sans liberté de la presse. Je comprends les nécessités de la politique étrangère. Ce que je ne comprends pas, c’est qu’on ne dénonce pas ce qui est mauvais. La voix des présidents des Etats-Unis a toujours eu des répercussions. Oui, Reagan et Bush ont serré la main des leaders soviétiques, mais le fait important dans cette histoire, c’est que Reagan se soit dressé en face d’eux et leur ait demandé d’abattre le mur de Berlin. Reagan s’est dressé face au communisme, non pas parce qu’il était un fanatique, mais parce que c’était ce qu’il devait faire, tout comme le pape Jean-Paul II et Margaret Thatcher. Ils ont fait chuter le communisme sans verser de sang en Europe. J’étais au mur de Berlin, j’ai été à Gdansk en Pologne, j’ai vu le président Bush parler des droits de l’homme juste en face du visage de Jaruzelski. A Budapest je l’ai vu brandir Le Capital de Marx et déclarer que ce livre était obsolète. Chacun attend un message fort de la part du président des Etats-Unis. Obama n’a pas atteint ce niveau lors de son voyage à Cuba.

LE CDF : Donc on n’est pas près de voir un consulat cubain s’installer à Miami…

T.R : La raison pour laquelle je m’y oppose n’est pas idéologique, c’est vraiment en tant que maire. Si un consulat cubain s’installe ici, nous aurons des manifestations et des incidents absolument tous les jours de l’année, car les blessures ne sont toujours pas refermées. Mon devoir est de protéger les résidents de Miami, et nous n’avons pas les moyens financiers de payer le nombre de policiers nécessaire si une telle installation advenait.

LE CDF : La Floride vient d’être victime d’un attentat commis à l’aide d’un fusil d’assaut (à Orlando). Vous faites partie des rares Républicains à vous opposer à leur mise en vente…

T.R : Oui, je suis membre de l’association des maires opposés à la vente et à la détention de fusil d’assauts. Si on les interdit, on n’arrêtera pas pour autant les crimes, mais au moins ils auront une ampleur réduite. Je suis aussi en faveur d’un contrôle national du passé des détenteurs d’armes. Actuellement, si quelqu’un a commis un crime en Californie, il peut acheter une arme en Floride sans qu’on connaisse son passé ! Et il y a d’autres problèmes sur lesquels le Congrès peut agir ; par exemple sur le passage des armes volées entre les Etats. Nous, mairie ou Etat, nous ne pouvons pas voter ce genre de choses. Nous faisons ce que nous pouvons à notre niveau. Depuis que je suis maire de Miami, j’ai mis en place une politique de « rachat » des armes en échange de bons-cadeaux que les gens peuvent utiliser, par exemple dans les supermarchés. Nous avons récupéré 2000 armes, dont 400 fusils d’assauts ! Juste un exemple : un jour une vieille dame nous en ramène un en nous disant : « Mon petit-fils est en prison, et il y avait ce fusil dans sa chambre. Je suis très embêtée car ses amis viennent tout le temps sonner à la maison pour pouvoir le récupérer. Alors je préfère venir vous le donner. » Les mauvais garçons trouveront toujours un moyen de se procurer des armes. Mais je me dis que sur les 2000 armes que nous avons enlevées des rues, si seulement une d’entre elles avait pu servir à un crime, alors, au moins, nous en avons évité un.

L'hôtel de ville de Miami, dans le quartier de Coconut Grove, où se trouvent le bureau du maire et la salle du conseil municipal.
L’hôtel de ville de Miami, dans le quartier de Coconut Grove, où se trouvent le bureau du maire et la salle du conseil municipal. (photo : Ebyabe CC BY-SA 3.0)

 

« Oui nous sommes en danger avec la montée des océans. On ne risque rien aujourd’hui, mais pour le futur c’est très inquiétant »

 

LE CDF : Le réchauffement climatique et la montée des océans semblent susciter des craintes chez un nombre croissant de maires de Floride. Votre fils était d’ailleurs à Paris pour le sommet Cop21. Sommes-nous en danger à Miami ?

T.R : Oui nous le sommes : le sud de la Floride est l’endroit du monde où il y a le plus de risque. De Coral Gables à Aventura en passant par North Miami ou Miami Beach : nous avons des millions d’être humains qui vivent près de l’eau et des trillions de dollars en jeu. Oui nous sommes en danger. On ne risque rien aujourd’hui, mais pour le futur c’est très inquiétant, et je ne comprends pas pourquoi les politiciens ne font rien. Le gouvernement fédéral devrait mettre de l’argent pour nous aider. Nous avons besoin de plus de murs de mer, et de pompes à eau. Nous en achetons, mais c’est très cher. Les pompes par exemple ne rejettent pas l’eau dans la baie de Biscayne (sinon ça ne servirait à rien, l’eau reviendrait), mais très en profondeur dans la terre. Nous avons un comité municipal à Miami dédié à l’élévation du niveau de la mer, et nous avons reçu une récompense pour cela.

Sir Thomas Johnston avec le maire de Miami, Tomas Regalado
Sir Thomas Johnston avec le maire de Miami, Tomas Regalado

LE CDF : Le mois dernier vous avez rencontré le Gouverneur Général du Canada qui était en visite à Miami, que vous êtes-vous dit ?

T.R : Le Canada est un important partenaire économique pour Miami, d’où cette visite, mais les Canadiens sont aussi notre premier marché touristique et ils viennent passer l’hiver dans le sud de la Floride depuis très longtemps. Nous aimerions en accueillir plus à Miami et j’espère qu’on va pourvoir développer de nouveaux équipements afin qu’ils viennent en plus grand nombre. Il faut leur dire qu’à Miami on peut tout faire et qu’on ne s’ennuie jamais !

LE CDF : Un an et demi après son ouverture, peut-on dire que le tunnel du port est un succès ?

T.R : Oui, ce tunnel construit par une entreprise française, en partie payé par la Ville, est un succès. Et ils l’ont construit « on budget and on time » (au centime près et dans le délai prévu). Nous n’avons plus les camions toute la journée dans le centre-ville !

LE CDF : Les entreprises françaises de construction ont un impact sur Miami, comme par exemple Constructa qui a réalisé Cocowalk et Mary Brickell Village, ou encore le Palm Court du Design District pour lequel le groupe LVMH était à la manœuvre. Des quartiers de bureaux se retrouvent ainsi avec des lieux de vie agréables en leur sein : est-ce une « européanisation » de Miami ?

T.R : C’est une valeur ajoutée pour ces centres. J’étais à l’ouverture officielle du magasin Hermès dans le Design District, et tous les grands noms de ce secteur étaient venus de Paris. A côté il y a désormais les magasins Dior, Gucci etc… C’est une reconnaissance du caractère international de Miami, en tant que « global city » et, s’ils ouvrent ici, ça signifie aussi que Miami a un avenir !

Little Haïti / MiamiLE CDF : Autre quartier très francophone de Miami : Little Haïti. Beaucoup de résidents ont exprimé des craintes d’une « gentrification » du quartier, ayant peur qu’il perde son identité. Ont-ils de bonnes raisons pour cela ?

T.R : Je ne crois pas à la gentrification de Little Haïti. Y avez-vous vu pousser des tours d’appartements ? Non. Le mois dernier nous avons réalisé quelque chose d’historique : nous avons attribué officiellement le nom « Little Haïti » au quartier. Même Little Havana n’est pas un nom officiel ! La communauté haïtienne a écrit beaucoup de pages de l’histoire de Miami – c’est ici qu’ils se sont installés au début quand ils ont quitté Haïti – et beaucoup essaient aujourd’hui d’y apporter de la vie. Le gouvernement municipal ne peut s’occuper de tout ; pour notre part nous gérons le Market Place, le Cultural Center, et nous faisons la promotion touristique.

LE CDF : Certains souhaiteraient justement que le Cultural Center deviennent un centre communautaire haïtien plutôt qu’un centre de quartier…

T.R : Le Cultural Center est un centre pour la culture haïtienne. Mais si quelqu’un veut le louer pour y faire autre chose, comme un festival de jazz par exemple, nous ne pouvons pas leur en dénier le droit. Mais Little Haïti est tout de même connu pour être le « ground zero » des activités haïtiennes !

propos recueillis par Gwendal Gauthier

 

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