Faut-il investir dans l’immobilier à Détroit et dans les villes « pauvres » des Etats-Unis (Cleveland, Memphis, St Louis, etc) ?
Une escroquerie majeure ayant été mise à jour au printemps dernier à Détroit autour de la vente par des agents immobiliers français de plus d’un millier de maisons (voir ici en bas de page), se pose la question de savoir si ce genre d’investissements dans des villes dites « à problèmes » peut avoir un intérêt en temps normal (quand il n’y a pas d’escroc dans les parages).
Voir aussi : Notre guide de l’investissement et de l’immobilier aux Etats-Unis
Des disparités économiques constantes
La question mérite d’autant plus d’être posée en introduction qu’en ce moment se profile l’élection présidentielle américaine du 3 novembre 2020. Commençons donc par les généralités. Et, incontestablement, les Etats-Unis se sont enrichis durant les trois premières années de présidence Trump (jusqu’à la crise du Covid). Mais tout le monde en a-t-il profité ? Y a-t-il aujourd’hui moins de villes « déglinguées » aux USA ? Peut-on envisager des redressements ?
Pour le moment, globalement, la situation des villes est à peu près la même. Le mandat Trump a certes créé beaucoup d’emplois (avant le covid), y compris dans les communautés défavorisées, mais il est trop tôt pour dire si les villes les plus sinistrées en ont réellement profité ; si elles se sont améliorées ou bien si elles sont en passe de l’être dans un futur plus ou moins proche. La « big picture » qui s’impose, c’est que proportionnellement (1) il y a moins de pauvreté aux Etats-Unis qu’il y a 50 ans. Néanmoins, depuis l’an 2000, la population des quartiers pauvres et des villes pauvres s’est constamment agrandie. (2)
Par ailleurs, il suffit de regarder les cartes de la ségrégation – avant les droits civiques – pour voir que c’est aujourd’hui la même chose… en pire. Et ce n’est malheureusement pas qu’une question de quartier.
Les mouvements de population « ethniques » sont parfois à l’œuvre en parallèle de la montée de la pauvreté. Par exemple la belle Memphis (TN), dont l’agglomération abrite 650 000 habitants, est passée de 63% de « blancs » en 1950 à 29% en 2010, et ce alors que la population globale de l’agglo est restée stable depuis les années 1970. A contrario, d’autres villes du Tennessee comme Nashville ou Chattanooga sont beaucoup plus stables et ne souffrent pas d’autant de mouvements ethniques.
Chacun sait qu’une forte partie de la communauté afro-américaine est maintenue dans la pauvreté,mais il convient quand même de le souligner, tout comme le fait qu’il y a un problème de cohabitation ethnique dans un certain nombre de villes.
Ajoutons enfin que, si les quartiers pauvres ont tendance à s’appauvrir, il serait fort étonnant que la crise du coronavirus ait amélioré les inégalités aux Etats-Unis, bien au contraire.
Les villes « à problèmes »
Alors ces villes à problèmes (problèmes qui peuvent être de l’ordre de la pauvreté, criminalité, racisme, communautarisme, ségrégation, et éventuellement des émeutes etc…) dont on parle pour la spéculation immobilière, elles s’étendent le long du couloir du Mississippi, entre La Nouvelle-Orléans, Memphis, St Louis et jusqu’à la Rust Belt (« ceinture de rouille ») au nord : le long des grands lacs, de Chicago à Pittsburgh en passant par Détroit et Cleveland. Mais il est trop facile de les montrer du doigt, car ce ne sont pas les seules villes « pauvres » des Etats-Unis. En fait, chaque Etat compte des disparités. Il convient aussi de préciser que les quartiers à majorité afro-américaine ne sont pas les seuls « losers » (3) de l’Amérique. Le Sud est sous-développé (comparé au reste du pays) depuis sa défaite durant la Guerre de Sécession en 1865 et la fin de la main d’œuvre gratuite que constituait l’esclavage. Là, comme ailleurs, des petites villes « rednecks » se sont développées, et dès qu’on s’écarte des axes majeurs, il n’est pas rare de voir des milliers de maisons mobiles alignées, pas toujours dans le meilleur état, constituant des communautés rarement mixtes, mais loin d’être seulement « African-Americans ». La maison américaine idéale a bien changé de visage depuis les années 1950 !
Ainsi les sources de problèmes sont multiples : à Pittsburgh la classe moyenne a fondu en même temps que l’emploi des manufactures ; à Youngstone et Cleveland, pour la même raison les conséquences ont été pires encore ; à La Nouvelle-Orléans des quartiers ont été pulvérisés en 2005 par l’ouragan Katrina et ne s’en sont pas relevés ; en Californie le coût des loyers est tellement important que des milliers de personnes dorment dans leurs voitures (4). Avec le chômage dû au confinement de 2020, ils ont été plus nombreux encore à quitter cet Etat. Une grande partie de Baltimore est un ghetto effroyable… Allez, on va s’arrêter là, car ça ressemblerait à un portrait apocalyptique de l’Amérique… Certains ne s’en privent pas, mais c’est loin d’être notre volonté : les villes et quartiers à problèmes sont des minorités aux Etats-Unis. D’ailleurs, si vous ne les connaissez pas, courrez visiter à La Nouvelle-Orléans, Memphis, ou Chicago… et même les autres qui ne sont pas sur les circuits touristiques : dans tous les cas la ville américaine est charmante. Et, finalement, pour savoir si l’Amérique va plutôt mieux ou plutôt moins bien… il sera certainement sage d’attendre le résultat de l’élection présidentielle de 2020.
La candidate républicaine de Baltimore n’en est pas forcément le meilleur agent immobilier (regardez la vidéo):
Democrats don’t want you to see this.
They’re scared that I’m exposing what life is like in Democrat run cities.
That’s why I’m running for Congress
Because All Black Lives Matter
Baltimore Matters
And black people don’t have to vote Democrat
Help us win https://t.co/CSOjc9aQlS pic.twitter.com/XnEDTaDDIG— Kimberly Klacik (@kimKBaltimore) August 17, 2020
Mais la question demeure : est-il intéressant de parier sur ces villes qui connaissent de nombreux problèmes ? Le terme est trop générique. Si la question générale est de savoir si, dans cinq ans, les villes mentionnées ci-dessus auront retrouvé de leur flamboyance d’antan… la réponse est non : aucun bilan ne permet aujourd’hui de l’affirmer.
Après, il y a le cas par cas. Certains quartiers sont en voie de gentrification et ils prennent donc de la valeur. Qu’on ne s’y trompe pas, généralement une gentrification prouve surtout qu’une ville va très mal, et que les quartiers pauvres sont en train de… s’appauvrir. Mais à moyen terme un investissement peut, évidemment, y être intéressant. Ensuite il y a aussi le « flipping » : si vous trouvez une maison abimée dans une rue qui ne l’est pas, si votre agent immobilier dispose de ses propres équipes de travaux, alors en allant très vite ça peut être rentable de la rénover et de la revendre. Mais généralement ce n’est pas pour ça qu’un investisseur français achète à Détroit ou à Cleveland.
Détroit est-elle une bonne ville pour investir ?
Il est bien connu que Détroit a perdu 60% de ses habitants depuis les années 1950, avec la crise du secteur automobile. Mais entre 2010 et 2019 la ville a encore perdu 6,1% d’habitants. Et même si la municipalité détruit un grand nombre de maisons en ruines, ses codes postaux sont tout de même au nombre des « villes fantômes » : le plus grand taux de maisons inoccupées aux Etats-Unis. En parallèle, c’est vrai, il y a aussi des gens à arriver : des familles résidant dans des villes trop chères (New-York City, San Francisco etc…) ont décidé de se relocaliser à Détroit. D’autres procèdent à des investissements locatifs à distance, et n’ont pas l’air de s’en plaindre.
Pour se faire une idée, une recherche dans les articles de Google Actualités s’impose. Et elle n’est pas très rassurante. Dans un long article en janvier 2020, US News donnait un point de vue pas vraiment positif sur la situation : « Alors que le centre-ville renaissance de Detroit est en plein essor avec ses diners rétro, ses trottinettes électriques et une ligne de tramway partiellement financée par le milliardaire Dan Gilbert, les autres quartiers alentours avec leurs maisons en briques bien rangées côtoient des blocs de maisons abandonnées et des terrains vacants – faisant partie d’une surface estimée à 5180 hectares de terrains vides dans les limites de la ville. Les habitants font face à la rouille, aux écoles fauchées, à un taux de pauvreté plusieurs fois supérieur à la moyenne nationale et à un lent exode de la classe moyenne. » (5)
Entre 2000 et 2016, la population des quartiers pauvres de Détroit ou de Cleveland (entre autres villes) s’est effondrée. Mais le nombre de pauvres s’y est néanmoins accentué.
Le 17 septembre 2020, Detroit News affichait en gros titre une bonne nouvelle : « Selon le recensement, Cleveland détrône Détroit en tant que plus pauvre grande ville des Etats-Unis« . (6)
« OUI C’EST INTERESSANT ! »
Cleveland, pour sa part, a encore perdu 2,5% de ses habitants entre 2010 et 2017. Il y a plusieurs dizaines d’agents immobiliers français à Détroit (qui pour la plupart sont arrivés en provenance d’autres villes) ou encore à Cleveland (c’est la dernière tendance) et qui assurent tous qu’ils apportent un « bon rendement locatif » aux investisseurs. A Cleveland certains agents français assurent qu’ils peuvent avoir des rendements à « plus de 13% »…
Suite à la publication de notre article sur les arnaques de Détroit, plusieurs agents ont contacté la rédaction du Courrier pour affirmer que le marché était « sain », et que ce cas d’arnaque chez les Français était un cas isolé.
La rédaction a contacté Yoann Dorat, agent immobilier à Détroit, afin de connaître son avis : « La reprise à Détroit et la bonne réputation des investissements est assez récente, depuis 2014, c’est pour ça qu’on a été un peu choqués par cette affaire d’escroquerie. Depuis cette affaire des gens en France pensent que c’est Détroit l’escroquerie. Mais s’il y a tant de Français à vouloir investir à Détroit, je vous assure qu’il y a de bonnes raisons. Déjà, vous trouvez nettement moins de monde à avoir les moyens d’acheter des maisons à 250K à Orlando qu’à 60K à Détroit. Et puis, si des Français veulent investir à l’autre bout de la planète, ce n’est pas pour avoir un retour à 4% ou 5%. Ils veulent au moins du 10%. Ici il y a peu de propriétaires, et beaucoup de demande locative, donc il est assez facile de mettre en location. L’affaire d’escroquerie en question est vraiment tout à fait caricaturale, les investisseurs n’ont même pas vu leur titre de propriété » !
Le problème des « arnaques de Détroit » est effectivement assez particulier : des centaines de personnes ont ouvert leur portefeuille sans parfois mettre les pieds aux Etats-Unis ni faire aucune vérification élémentaire sur les agents à qui elles confiaient leur investissement. Une simple recherche sur Google aurait pu suffire à se faire une idée sur le palmarès de certains…
Toutefois, les réalités de Détroit sont assez déconcertantes. S’il est tout à fait possible de devenir « propriétaire » dans un village reculé des Etats-Unis pour 30 000$ ou 40 000$… c’est quand même différent dans une ville. Toute personne connaissant bien les réalités américaines sait que ça sent le « problème ». Et la plupart du temps la structure achetée est très ancienne et donc sujette à des travaux réguliers. Certains semblent réaliser de bons investissements à Détroit, mais il ne faut tout de même pas trop rêver et donc rester vigilant aussi bien sur les promesses… que sur ceux qui les prononcent ! « Il faut connaître la ville pour savoir ce qui s’y passe« , confirme Yoann Dorat. « Des dizaines de grandes entreprises y ont récemment installé des sièges sociaux, c’est très impressionnant. Les prix sont certes deux fois inférieurs à ce qu’ils étaient, mais vous verrez qu’ils reviendront rapidement à la normale. C’est une question de quelques années. Quand vous suivez l’actualité de Détroit c’est une évidence.
Beaucoup de Français achètent ces maisons peu chères, mais il ne faut pas croire que ce sont les seuls biens du parc immobilier de Détroit. Nous faisons aussi du flipping sur des maisons à plus de 200K, mais plutôt pour le compte de clients américains.«
Un autre agent immobilier français précise: « à Détroit ce n’est pas le quartier qui compte, c’est la rue« . Au Courrier on a tendance à ne pas vraiment trouver cette dernière appréciation très rassurante !
« NON IL NE FAUT PAS Y ALLER ! »
Un investisseur français assez chevronné qui a été constater les opportunités durant l’été 2019 est revenu beaucoup moins optimiste sur l’état de Détroit : « Dans le même bloc on trouve des maisons originales, d’autres pourries, certaines avec des gens dedans, des maisons refaites, des maisons murées, des ruines etc… Le résultat c’est que la rue n’a aucune attractivité. » Après plusieurs jours d’enquête, il n’a rien acheté.
On va vous passer les faits divers, même s’ils sont parfois éloquents, comme cette personne qui avait acheté une maison à Détroit 41000$ en 2010 et l’a « revendue » quatre ans plus tard en l’échangeant contre un iPhone !
D’autres sont vraiment plus optimistes… et c’est certainement une question de goût !
En conclusion, quelle que soit la ville sur laquelle vous misez aux USA, pour accéder aux bonnes affaires, il faut en fait avoir le bon agent immobilier, celui qui est là depuis longtemps et dispose des équipes nécessaires pour être certain que les travaux seront vites réalisés. Comme dit l’adage, « à quelque chose, malheur est bon », et il est certain qu’il y a, forcément, des opportunités aussi bien dans la MoTown (surnom de Détroit) que dans les autres villes du centre des USA où de la Rust Belt. Ce que les agents vendent aux Français dans ce genre d’endroits, ce n’est pas tant une perspective de flipping ni une « résidence secondaire », mais plutôt une remise rapide sur le marché d’un bien désaffecté, avec des loyers qui permettent une rapide rentabilité. Dans certains quartiers ces loyers sont « sociaux » et directement réglés par le gouvernement, ce qui exclut ensuite les problèmes d’impayés avec les locataires. Au quel cas, il se peut qu’en quelques années la mise investie soit récupérée… Si tout va bien et qu’il n’y a pas d’imprévus (travaux…).
Ainsi, villes et quartiers pauvres des Etats-Unis sont en grande majorité en extension (2) (ce qui ne veut pas dire que les villes s’appauvrissent). Quitte à parier sur un quartier pauvre, il y a aussi d’autres solutions, comme par exemple s’orienter vers des villes où la classe moyenne est en train de s’étendre et où elles « avalent » les quartiers pauvres. Mais dans ces cas-là le prix d’achat ne sera jamais de 30K, ça c’est bien certain !
En tout cas toutes les villes américaines ne sont pas en déclin, et quand elles le sont, ce n’est pas forcément pour l’éternité. Il convient juste d’arriver au bon moment !
Avis aux agents immobiliers et investisseurs :
Si vous avez pour votre part des témoignages différents, n’hésitez pas à les mettre en commentaire de cet article ou bien à nous les envoyer par email.
Voir aussi ces articles :
– Détroit se classe 2e agglomération du pays avec le plus de ségrégation
– 98,9% des habitants de Détroit vivent dans des quartiers à problèmes (sept 2017)
– Guide de l’investissement et de l’immobilier aux Etats-Unis
NOTES :
– 1 – Il y a à peu près toujours autant de pauvres, mais pour une population globale beaucoup plus grande.
– 2 – Voir cette étude importante sur la gentrification et l’appauvrissement aux USA : www.law.umn.edu/institute-metropolitan-opportunity/gentrification
– 3 – Le concept de « loser » est vraiment l’un des plus détestables des Etats-Unis (NDLR) !!!
– 4 – www.courrierdesameriques.com/2018/04/04/lamerique-homeless-de-plus-plus-de-abris-aux-usa-etat-lieux/
L’escroquerie française de Détroit
Il y avait certainement trop d’agents immobiliers français à Miami : plus la « crise des Subprimes » (2008-2012) s’éloignait, moins il y avait d’affaires à y réaliser, et donc un certain nombre ont jeté l’éponge, alors que d’autres sont allés voir ailleurs s’il n’y avait pas de bonnes affaires à y réaliser. Plusieurs sont arrivés à Détroit, annoncé comme le nouvel eldorado des bonnes affaires immo. Voici donc « l’affaire » : un agent de Floride – déjà visé par des plaintes au Dakota-du-Nord – trouve un intermédiaire dans le sud de la France pour lui rabattre des clients.
En début d’année 2020, trois-cent-quinze investisseurs (du sud de la France) se sont rendu comptes (un peu tardivement) qu’ils n’étaient pas propriétaires des 1050 maisons qu’ils pensaient avoir acquis. « Pas un seul n’aurait reçu de titre de propriété », commente un agent immobilier. Dès lors, les deux partenaires, celui en France et celui de Floride s’accusent d’avoir « volé » l’argent. Mais la séparation géographique n’est pas si évidente quand on apprend que celui de France était venu trente-cinq fois à Détroit en quelques années, et qu’il avait ouvert plusieurs sociétés aux Etats-Unis : neuf étant immatriculées en Floride. Et puis, il peut bien assurer avoir été dupé par le Floridien… mais il suffisait de rechercher le nom de ce dernier dans Google pour prendre connaissance des plaintes dans le Dakota-du-Nord. Les responsabilités pénales vont donc devoir être déterminées. Et comme il y en a pour 50M$… les procès devraient faire des étincelles (au moins en France, car à Détroit ce n’est pas une arnaque suffisante pour mobiliser les médias !).
Voir notre article complet sur l’escroquerie ici :
Des Français de Miami impliqués dans une importante histoire d’escroquerie immobilière à Détroit
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