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A propos de la haine antisémite aux Etats-Unis (Editorial)

Ce journal a pour vocation d’expliquer les Etats-Unis, et de le faire en langue française. Nous parlons dans ce présent éditorial de haine raciale et ethnique, et pas de « guerres au Moyen-Orient » ni de « vérité religieuse » ou autre chose. Je le précise d’entrée car – c’est justement le but de cet édito – un nombre croissant d’habitants des pays occidentaux ne sont plus en mesure de faire la distinction entre d’une part, la haine ethnique et, d’autre part, des conflits comme celui qui oppose Israéliens et Palestiniens.

par Gwendal Gauthier, directeur du Courrier des Amériques.
par Gwendal Gauthier, directeur du Courrier des Amériques.

Un nombre important de francophones aux Etats-Unis sont Juifs, et nous ne connaissons pas d’autre minorité de nos lecteurs à être ainsi visée par une haine structurée. Si c’était le cas nous le dénoncerions tout autant. Personne n’en veut aux Musulmans francophones des USA, ni aux Haïtiens des USA, ni aux Français ou aux Québécois, aux Cajuns de Louisiane ni à leurs voisins Créoles ou Amérindiens. Bien sûr certains francophones ont parfois droit à du « bashing » un peu lourd, mais ce n’est pas une « haine organisée » ; il faut raison garder.

Des témoignages arrivent à mes oreilles vraiment effarants. Comme par exemple une jeune femme qui a grandi ici (qui a commencé ses études dans des écoles chrétiennes du Sud Floride) et qui a récemment du subir comme d’autres étudiants juifs des situations pénibles dans une université de Floride. Si ça peut arriver ici… c’est que ça peut arriver partout. Et ça arrive effectivement dans un grand nombre d’universités.

Les Etats-Unis connaissent un regain de radicalité et de tensions politiques depuis 2008 : inutile d’en rappeler les étapes. En fonction des points de vue, cette radicalité est parfois nécessaire, parfois déplacée, ce n’est pas le sujet de cet éditorial. Mais en tout cas la radicalité façonne un contexte qui peut souvent permettre d’accentuer des délires idéologiques jusqu’au plus haut point de stupidité. En fin d’année 2023, plusieurs personnes en ont tué d’autres aux Etats-Unis parce qu’elles étaient juives ou musulmanes. Alors, quelle est la réalité des haines exacerbées ? Je tenais à y revenir après avoir pris un peu de hauteur sur le sujet (l’émotion ne suffit pas à la compréhension) et de temps, car ces haines existent suffisamment pour qu’on doive s’y attarder et en retracer les perspectives.

Il y a eu, il faut s’en rappeler, un peu de nazisme aux Etats-Unis avant que le pays n’entre en guerre du côté des alliés (suite à l’attaque de Pearl Harbour). Mais, le fait majeur à retenir, c’est que les Juifs fuyant l’Europe ont été accueillis de ce côté-ci de l’Atlantique. Depuis lors, la haine raciale n’a fait que décroitre aux Etats-Unis. Durant la majeure partie de ce dernier siècle écoulé, la domination des Protestants sur la culture américaine plaçait un grand nombre d’entre eux en tant qu’amis des Juifs et d’Israël (notamment les Evangélistes) alors que d’autres étaient indifférents au sujet. Mais chacun était alors fortement marqué par le principe fondateur des Etats-Unis : tout le monde peut bien y penser ce qu’il veut et pratiquer la religion de son choix ; y compris et surtout ceux qui sont chassés d’autres pays en raison de persécutions religieuses. C’est précisément dans ce but que les Protestants ont formé un nouveau pays, les Etats-Unis.

La victoire des militants des Droits Civiques dans les années 1960 faisait encore reculer la haine raciale et, pensait-on, l’Amérique était entrée dans une ère « post-raciale », surtout avec le symbole de l’élection de Barack Obama en 2008. Sans que tout soit parfait ni réglé, c’est le moins qu’on puisse dire, mais en tout cas de ce point de vue « racial », c’était indéniablement « mieux qu’avant » : mieux qu’en 1933 ou 1960. Mais, depuis quelques décennies, le Protestantisme est à la baisse. Et puis, l’avénement traumatique de Hitler, c’était il y a presqu’un siècle.

La plupart des Américains sentaient une montée de l’antisémitisme avant même le 7 octobre 2023, notamment révélée par une enquête d’IPSOS datant de la fin du mois de juin. www.brookings.edu/articles/how-do-americans-feel-about-zionism-antisemitism-and-israel/

Bien sûr, les USA ne sont pas le pire pays antisémite du monde, et cette haine est circonscrite à certains Etats et même, souvent, à des Universités. Mais un terreau est en train de doucement s’installer. On doit tous s’alarmer mais pas non plus trop alarmer. Comme le dit une amie de New-York : « Après le 7 octobre, ma fille a commencé à cacher son étoile de David dans le métro. Beaucoup de Juifs qui ont grandi ici, ou ceux qui ont quitté la France pour la Floride à cause de l’antisémitisme, ils ont tous pris une claque en voyant les manifestations aux USA durant l’automne dernier. Ils pensaient que ça n’arriverait pas ici… » Comme le disait le rabbin français de Miami, Yisroel Frankforter, dans Le Courrier des Amériques (édition de novembre 2023) : « beaucoup de Juifs découvrent une réalité ». Et pas seulement les Juifs ! Heureusement, il semblerait que ça se calme depuis quelques semaines…

D’OU VIENT CET ANTISEMITISME

D’une part de l’ignorance. Un siècle après Hitler, le lien mémoriel s’étiole. La transmission de la mémoire se fait plus difficile. Et les études montrent que ce sont bien les nouvelles générations qui sont le plus victimes de cette ignorance ; ceux qui sont le plus éloignés de l’année 1933. Autre point d’ignorance : un grand nombre d’étudiants radicaux ne savent pas du tout de quoi ils parlent, ni sur quel continent se trouvent le conflit qui motiverait leur haine.

Alors, c’est certainement le propre de chaque génération d’étudiants de répéter des « bêtises radicales », mais néanmoins, par le passé ça ne s’est pas toujours déroulé comme aujourd’hui : avec la complicité (ou même sous la direction) du corps enseignant.

Car l’autre source de l’antisémitisme est d’ordre intellectuel, et néo-marxiste : une tolérance à l’antisémitisme a été tolérée en raison du « wokisme ». Traduction : les élèves auraient le droit et même le devoir de se révolter contre les colonisateurs blancs, dont « font partie les Juifs » (à cause d’Israël, ou même de Wall Street etc…).

En découlent ces scènes délirantes en novembre dernier quand les présidents des trois plus prestigieuses universités américaines ont répondu qu’on pouvait sur leur campus appeler au « génocide des Juifs » ; qu’ils l’autorisaient « en fonction du contexte ». 

Si le wokisme doit ainsi mener à une autorisation de l’appel à des génocides, je ne pense pas qu’il y ait un grand pourcentage des populations américaines à l’accepter. Le problème c’est que, si petit soit-il, un pourcentage bien réel d’Américains en est arrivé là, et qu’il représente probablement plusieurs dizaines de milliers de personnes gagnées par la haine. D’ailleurs, les universités tolérant les appels au génocide ont tenté de faire corps autour de leurs présidents afin de les défendre.

Alors, pourquoi les marxistes et néo-marxistes deviennent-ils racistes alors qu’avant ils ne l’étaient pas ? Une hypothèse (qui reste à débattre et approfondir) : durant la deuxième moitié du XXe siècle, les mouvements gauchistes en Europe (France et Allemagne en particulier) comme aux Etats-Unis avaient un grand nombre de cadres Juifs, fils et filles d’immigrés ayant fui des pays d’Europe où ils étaient tourmentés, génocidés etc… C’était le cas dans les années 1960 aux USA avec le SDS (Students for a Democratic Society) par exemple. Même Bernie Sanders, représentant la gauche du Parti Démocrate, est fils d’immigré juif polonais. Difficile d’être antisémite quand on est fidèle à des mouvements comprenant beaucoup de dirigeants Juifs. Mais, apparemment, les temps ont changé chez les gauchistes.


Deux articles sur le sujet dans la presse américaine :

www.brookings.edu/articles/how-do-americans-feel-about-zionism-antisemitism-and-israel/

www.economist.com/united-states/2023/11/23/what-survey-data-reveal-about-antisemitism-in-america


Il y a aussi moins de Juifs dans les grandes écoles américaines. C’est peut-être dû à une baisse de performances (il y a en général moins de « Blancs »), mais certains ont des doutes, comme par exemple avec cet article du magazine juif en ligne Tablet de mars 2023 et signé Jacob Savage qui est trié « The Vanishing » : « Si Poutine ou Orban réduisaient de 50 % la population juive de leurs universités, l’ADL (Anti-Defamation League, une ONG antiraciste) pousserait des cris très forts. Mais Harvard et Yale peuvent, comme par magie, perdre près de la moitié de leurs étudiants juifs en moins de dix ans, et nous nous taisons. »

www.tabletmag.com/sections/news/articles/the-vanishing

Il y a de l’ignorance, de l’idéologie, mais le problème est aussi le notre : celui de l’acceptation de la bêtise et de l’ignorance. Nos sociétés ont poussé le relativisme jusqu’au plus haut niveau. Alors, quand il y a une manifestation de 200 néo-nazis sur un parking aux USA, on la tolère au nom de la liberté d’expression (Si des médias à sensation ne se sentaient pas obligés d’en écrire des tonnes sur le cas de 200 abrutis, ça n’empêcherait pas la planète de tourner.) Mais tolérer ainsi un enseignement de l’antisémitisme ou d’autres haines dans les Universités ?!?! C’est extrêmement grave.

Je tenais ainsi à retracer l’évolution historique de ces haines, d’une part parce que certains ignorent cette évolution, mais aussi parce que l’évolution montre la direction : ce qui va se passer demain. Ca risque de ne pas s’améliorer, donc nous devons nous manifester.

Et, pour conclure, une courte explication à destination des esprits faibles : ce n’est pas parce qu’un jeune homme de 20 ans est Juif qu’il est forcément ministre du gouvernement israélien. Ce n’est pas parce que quelqu’un a les yeux bridés qu’il est un espion chinois. Etc etc…

Gwendal GAUTHIER


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