Juifs Francophones à Miami : Rencontre avec le rabbin Israël Frankforter
Que vous soyez Juif ou non, vous avez forcément vu de nombreux membres de la communauté dans le sud de la Floride. Ils sont même dans les premiers à avoir cru en l’avenir de Miami au XIXe siècle. Il en est un qui est particulièrement bien connu de ses concitoyens français : le rabbin Israel Frankforter qui est fondateur du centre francophone de Miami Beach.
Avec Israël Frankforter, c’est avant tout plusieurs millénaires d’histoire qui se présentent à vous, précédés d’une réputation de simplicité et de gentillesse. N’empêche, pour les impies, c’est tout de même curieux de trouver tous ces « men in black » traditionalistes comme lui dans le sud de la Floride ; bien des inconditionnels de Miami ne venant évidemment pas sur cette plage pour entendre parler de Dieu ou de religion, mais au contraire de choses plus légères. Comment devient-on rabbin loubavitch à Miami Beach ? Voici des éléments de réponse :
LE COURRIER DE FLORIDE : Monsieur le rabbin d’où êtes vous originaire ?
ISRAËL FRANKFORTER : J’ai 46 ans et je suis de Paris. On habitait Nation quand j’ai quitté la France au siècle dernier, en 1986. Je suis parti après mon bac pour aller étudier la théologie et le droit rabbinique à New-York.
Le C.D.F : Comment avez-vous décidé de devenir rabbin, est-ce une tradition familiale ?
I.F : C’est une tradition non imposée, mais oui nous sommes quelques générations de rabbins, et ma famille est depuis 300 ans dans le mouvement hassidique : maîtres enseignants, éducateurs… c’est ce côté-là, pédagogique, qui m’a incité à cette démarche. L’école à laquelle j’appartiens est le courant hassidique qui se rattache en général plus au mysticisme et à l’étude de la kabbale, mais avec aussi un côté spirituel très développé. Et à l’intérieur de ce mouvement j’appartiens à l’école appelée « Loubavich » ou « Chabad », que j’ai connu à peu près quand j’ai fait ma bar mitzvah.
Le C.D.F : Vous êtes parti à Brooklyn sans appréhension ?
I.F : Pour moi c’était comme jeter un poisson dans l’eau : Brooklyn était rempli d’enthousiasme, de vie, d’énergie ; c’était un rêve qui s’accomplissait. Il y a deux facteurs importants dans le mouvement loubavitch : la force d’un message qui inspire et qui, en même temps, est rationnel. A la fin du XXe siècle, en Amérique comme en France, les gens cherchaient un nouveau message. Il y a eu ce changement, un monde qui pivote aux alentours de 1968, et où tout s’est alors ouvert. Des gens se sont alors ouverts à la mystique, et d’autres vers….
Le C.D.F : … des choses plus futiles ?
I.F : Il n’y a rien de futile dans le monde, tout dépend de ce qu’on en fait. Dieu parle partout, même quand il y a du bruit. Mais cette révolution a permis de se remettre en cause. On a cassé les modèles anciens et on a pu se permettre de se poser des questions. Au départ de l’histoire juive, il y a la révélation de Dieu sur le Mont Sinaï. D’une certaine manière, Dieu s’impose alors aux hommes, et le peuple est un peu passif. Puis, au fur et à mesure de l’histoire, nous avons les prophètes. Et puis il n’y a plus eu de prophètes, et Dieu a laissé aux individus de plus en plus de choix, une liberté qui est devenue très importante aujourd’hui. C’est une peu comme les parents avec leurs enfants lorsqu’ils deviennent majeurs : la relation ne s’arrête pas, mais elle devient plus intellectuelle et émotionnelle, et moins fonctionnelle. Alors, depuis les années 1960, on a perdu la « structure », mais on a gagné « l’individu ». Dieu n’est pas « mort » comme disait Nietsche, mais il nous laisse simplement plus d’espace personnel. Si un juif fait sa démarche vers Dieu, ce n’est plus par obligation, mais parce qu’il le souhaite profondément.
Le C.D.F : C’est une grande différence d’avec les générations précédentes ?
I.F : Oui. Après la seconde guerre mondiale, beaucoup ont douté et ce sont demandé « A quoi ça sert d’être Juif ? » Mon grand père a perdu femme et enfants ; des familles et des villages ont été détruits ; tout était à recommencer dans des pays nouveaux. Pour ma famille, après Auschwitz, ce fut la France. Vous savez, quand je suis devenu Américain, mon père m’a dit : « conserve tes deux passeports, on ne sait jamais, ça peut servir. » Et c’était 55 ans après un traumatisme que mon père, né en 1944, n’avait pas lui-même vécu. Il leur a fallu reconstruire le judaïsme à partir de zéro. Certaines communautés ont alors décidé de se fondre là où elles étaient, d’autres de s’isoler au maximum, et la vision du rabbin Chneerson était celle de l’ouverture et de la présence : aller de l’avant. et de pas avoir honte ou s’isoler. ll fallait reconstruire avec les moyens du XXe siècle, faire passer le message.
Le C.D.F : Depuis lors, le mouvement loubavitch a presque doublé pour devenir l’un des principaux courants du judaïsme…
I.F : Oui, grâce à cette inspiration du rabbin Chneerson.
Le C.D.F : Auriez-vous pu être rabbin d’une autre obédience ?
I.F : Je ne sais pas si j’aurais eu la même démarche avec une appartenance différente.
Le C.D.F : Alors, même si le monde moderne est toujours opportun pour le judaïsme, la Floride ne donne pourtant pas l’image d’un endroit très traditionnaliste, avec ses bikinis et son Disneyland !?
I.F : En tout cas c’est mieux que d’être en Ukraine en ce moment ! (La première position qu’on m’avait offert, était à Kiev.) La semaine dernière nous sommes allés à Universal-Orlando. C’est un endroit où on nous apprend que ce qui nous apparait si réel dans le cinéma est complètement manipulé. On nous explique le trucage et le maquillage dans les films. C’est un regard profond qu’on peut ainsi porter : ne pas regarder uniquement la surface de l’écran, mais la profondeur du monde, qu’on n’aurait jamais cru être comme ça.
A Miami, nous rabbins sommes une ancre importante, surtout pour les personnes déracinées. Nous sommes un port d’attache, et nous représentons pour toutes ces personnes leur religion et leur culture.
Le C.D.F : Et pourquoi spécialement Miami ?
I.F : Il s’agit de la 3e plus importante communauté juive après New-York et L-A, et elle m’a fait venir ici en tant qu’enseignant en 1991. Puis j’y ai fondé mon propre institut d’études il y a 13 ans, un séminaire rabbinique, et puis un an ou deux après, il y a eu une vague d’immigration de Français à être arrivée ici, et je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose, que des gens avaient besoin d’aide, d’enseignement, et j’ai alors créé l’infrastructure francophone. Mais la majeure partie des Juifs francophones sont arrivés durant la dernière décennie.
CENTRE FRANCOPHONE JELI
(Jewish Educational Leadership Institute)
Ph: 646-450-5354
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