Miami serait-elle en train de devenir la deuxième capitale du Vaudou aux Etats-Unis ? La présence des nombreux Haïtiens mais aussi des Cubains (dont le culte ne s’appelle pas « vaudou », mais « Santeria »), renforce à grande échelle ces pratiques religieuses venues d’Afrique.
S’il est un endroit où vous pourrez entendre parler français à Miami, se sont bien ces boutiques aux couleurs vives et portant au dessus de la porte l’écriteau « botànica ». Selon les YellowPages, on en trouverait 128 à Miami de ces Botànica, et même 29 rien qu’à Orlando : c’est à dire plus que de boulangeries (sans compter toutes les botànicas dont internet ignore l’existence) ! En Louisiane, on parle plus facilement de « voodoo store ». D’une part c’est mieux pour attirer les touristes (même si la pratique vaudou demeure bien réelle là-bas), mais le mot « botànica » est aussi propre aux pays hispanophones des Caraïbes. « Botanique », car on vend ici des remèdes ; des plantes utilisées en parallèle de la médecine, ou bien de manière « magique ». Oui, vous y trouverez aussi les célèbres petites poupées. Il y en a des caisses entières et pour quelques dollars seulement. Mais les pratiques religieuses des Caraïbes ne sont pas limitées à leurs plus célèbres symboles : poupées vaudous, Baron Samedi, tarots et cie. Les Botànicas sont remplies de fioles, de bouteilles avec des étiquettes écrites à la main, d’onguents, de plantes en tous genres (enfin pas en tout genre : tout a une utilité bien précise), et de très nombreuses statues de saints, reconnus ou pas par le Vatican.
Ainsi, tout autour de l’aéroport de Miami, ou bien juste à côté du Design District, dans le célèbre Little Haïti, les Botànicas ont l’air d’être les plus utiles des magasins du quartier, puisqu’elles se succèdent les unes après les autres, bien reconnaissables avec leurs ribambelles de statuettes dans les vitrines.
Alors, pourquoi parle-t-on de « magie » ? La magie suppose une action mécanique en relation avec un pouvoir surnaturel : « je demande, et en conséquence je reçois ». Amour, argent, problèmes en tous genres : les cultes caribéens assurent pouvoir obtenir un grand nombre d’actions et de réactions de la part des esprits et divinités, à condition bien sûr de connaître les secrets et rituels pour se faire écouter d’eux. Il faut être initié. Les religions traditionnelles, au contraire, établissent un lien avec Dieu et/ou avec les saints mais ne prétendent pas obtenir cet effet mécanique. Les fidèles protestants ou catholiques peuvent demander à Dieu, mais sans être certain d’obtenir ce qu’ils souhaitent comme avec la santeria ou le vaudou.
Ces religions nées en Afrique il y a des siècles (voir encadré) ont résisté à la fois aux temps, aux interdictions et aux religions de masse. Elles les ont même intégrées : les prêtresses vaudous se rendant bien tranquillement à la messe ou à l’office tous les dimanches dans les églises des banlieues de Miami. Chez les Haïtiens de Miami, on trouve de nombreuses « voodoo queens », comme Manmie Toye qui tient la Tipa Tipa Botànica de Little Haïti, ou encore Mambo Nahomie Galbaud http://manbolasirena.blogspot.com. Si leurs cérémonies ont été secrètes, c’est en raison des interdictions. Mais aujourd’hui elles ne sont que discrètes. On y appelle les esprits à descendre sur les participants qui deviennent alors « habitées », pour ne pas dire « possédées » par ces esprits.
Pour Antoine, un riverain de Little Haïti rencontré devant une botànica, “Les Créoles descendants d’esclaves sont tous très imprégnés de religion. La majorité y cherche un espoir, une aide positive, et comme dans toute communauté, le désespoir conduit quelques individus a utiliser nos pratiques magiques pour demander aux esprits de commettre de mauvaises actions ; des vengeances. Mais c’est infiniment petit comparé à l’immense foi du peuple haïtien.”
– Voir aussi : LE VAUDOU A LA NOUVELLE-ORLEANS
CULTES ET CULTURES
L’implantation caribéenne est trop récente (un demi-siècle) en Floride pour avoir marqué la culture populaire telle qu’elle l’a fait en Louisiane. Mais c’est une question d’années. Les touristes sont déjà nombreux à se presser à Little Haïti et dans ses botànicas. Certes, les cultes restent discrets dans leurs communautés respectives, les hispanophones entre eux et les francophones de même. Alors, certes, la légende fait son travail. Des faits divers concernant ces communautés sont souvent teintés de mystère et de craintes d’interventions vaudous.
L’an passé, en avril 2013 durant les élections municipales de North Miami, Anna Pierre qui était l’une des 8 candidats, a fait la une des journaux en déclarant que quelqu’un tentait de la faire sortir de l’élection à l’aide de rituels vaudous. Selon ses déclarations, durant 3 mois elle aurait retrouvé partout sur son passage des poupées plantées d’aiguilles, des bougies sur la porte de son bureau, des pièces, des plumes et des os de poulets… Ces derniers gambadent d’ailleurs en toute liberté et en grand nombre dans les rues de certains quartiers caribéens de Miami, donnant à la ville une autre singularité. Des animaux décapités sont souvent retrouvés avant les procès autour des tribunaux de la ville ; et la mairie de Hialeah a même introduit un recours devant la Cour Suprême afin de bannir les sacrifices. Il fut rejeté car portant atteinte à la liberté de culte.
Plus grave, l’histoire bien connue de Rudy Eugene, plus connu sous le nom de « Miami Zombie ». Le 26 mai 2012, nu comme un vers, il a dévoré le visage d’un autre homme dans la rue et en plein jour, sans obtempérer aux sommations de la police qui a dû l’abattre. Ce samedi là, selon les déclarations de sa concubine avec qui il vivait depuis 2007, Rudy Eugene l’aurait embrassée le matin et aurait quitté leur logement avec sa Bible à la main, une poignée d’heures avant le drame. Et la victime déclara par la suite que Rudy Eugene l’avait précisément accusé d’avoir volé sa Bible. La conjointe de Rudy Eugene, a déclaré au Miami Herald que cette scène de démence – qui a fait le tour des télés du monde entier – est sans doute liée à une « malédiction vaudoue » qu’on aurait mis sur Rudy Eugene. Le fait qu’il emmenait sa Bible partout avec lui pourrait aussi être un signe qu’il craignait certains démons, peut-être les siens à lui.
Ces rares faits divers corroborant la vision hollywoodienne (surtout depuis le fameux James Bond « Live or let Die ») ont un impact assez important sur la perception qu’ont les Américains (ou les touristes) des rites caribéens. Malheureusement pour les communautés locales qui, si elles aiment être reconnues pour leur culture et leurs spécificités, se passeraient bien d’être assimilés à des zombies ou autres faiseurs de malheurs ! Mais Miami devra faire avec ces légendes.
“POUR CONNAITRE LE VAUDOU : LISEZ DES LIVRES !”
Jan Mapou (de la Llibreri Mapou à Little Haïti) conseille : « pour bien connaître le vaudou, il faut aller plus en profondeur que les vitrines des magasins. C’est dans les livres qu’on peut savoir ce qu’il en est ». Et, ça tombe bien, chez lui il y a absolument tout sur le Vaudou (voir encadré). Ce que confirme Benoît Duverneuil, président du Centre de la Francophonie des Amériques (à Miami) : « religion et culture sont très imbriquées dans les Caraïbes. Il faut aller par delà les gadgets pour en comprendre toute la richesse, la profondeur, les symboliques. « Vaudou », pour les occidentaux ça rime un peu trop souvent avec « gris-
gris », mais quand on voit les écrivains ou les peintres qui en ont été inspirés, on ne peut qu’inciter les autres francophones à en prendre connaissance ! Je ne saurais d’ailleurs trop souligner la chance que nous avons à Miami d’avoir cette proximité entre nos communautés francophones et d’ainsi pouvoir mieux se connaître. »
Si beaucoup de jeunes cubains ou haïtiens intègrent « l’american way of life », ils sont toutefois très nombreux à garder un lien direct avec la culture et la religion de leurs parents : les Caraïbes, leurs couleurs et leurs mystères ont donc encore de beaux jours devant eux en Floride !
VAUDOU OU SANTERIA ?
Le vaudou et la santeria (sa version pratiquée à Cuba, en Colombie et au Venezuela) sont nés en Afrique de l’Ouest, dans ce qu’on appelait alors le Royaume du Dahomey. C’est le culte yoruba des Orishas, sortes de demi-dieux envoyés sur terre par le Créateur. Cette religion est d’ailleurs toujours répandue au Bénin et au Togo. Et c’est évidemment par les esclaves qu’elle a été importée dans les Caraïbes – à partir du XVIIe siècle – et en Louisiane. Les Espagnols ont péjorativement dénommé « Santeria » ce culte des esclaves, et le nom est resté. Puis, dans la seconde moitié du XXe siècle, les migrations successives de Carïbéens vers Miami, et en particulier des Cubains et Haïtiens, expliquent l’arrivée de ces cultes parallèles dans la Magic City. Ils contribuent d’ailleurs à la réputation « magic », à quelques encablures de la fringuante Miami Beach qui se soucie peu des vieux dieux africains. A Little Haïti, Hialeah ou North Miami, ces botànicas font donc partie de la vie quotidienne des Miamiens. Et si l’église catholique ne voit pas d’un très bon oeil leurs pratiques, une réelle fusion s’est néanmoins opérée avec le temps chez les pratiquants du vaudou et de la santeria. Le protestantisme étant plus propice aux mutations religieuses (et les pasteurs évangélistes américains n’ayant pas loin à aller), il a remplacé parfois les églises catholiques haïtiennes, à l’instar du Brésil où le « candomblé » est une religion très « cousine » du culte yoruba, et ses praticiens également courtisés par les pasteurs. Mais Condomblé, Vaudou ou Santeria résistent aux temps et aux siècles. Les prêtres de la santeria sont les « babalawos » et ceux des haïtiens sont le plus souvent… des femmes, connues par ici comme les « voodoo priestesses » ou « voodoo queens ». Dans tous les cas, les pratiquants doivent suivre des rites initiatiques, et les prêtres leur ouvrent les portes de la communication avec les orishas.
Références :
Reportage du journal français Le Monde :
www.lemonde.fr/voyage/video/2010/11/04/a-miami-la-botanica-du-pretre-vaudou_1435119_3546.html
Reportage de la BBC :
ADRESSES :
Comme précédemment indiqué, les Botànicas ne sont pas des boutiques de souvenirs. Si c’est ce que vous cherchez, évitez néanmoins d’entamer avec les propriétaires des conversations sur les sujets « sensibles », ils apprécient généralement assez peu être confondus avec des sorciers zombies…
Libreri Mapou
Pour tout ce qui est culture haïtienne, la Librairie Mapou, à Little Haïti, est l’endroit idéal. Plus qu’une librairie, il s’agit d’un centre culturel avec des expos de peinture… On peut y acheter la presse francophone (tous les journaux français ou haïtiens) et même y prendre Le Courrier de Floride !
5919 NE 2nd Ave, Miami, FL
(305) 757-9922 – http://www.librerimapou.com
Botànica 3×3 Santa Barbara : 5700 NE 2e Avenue.
La Botànica Saint Isidor Carmel : 164 NE 54street.
Tipa Tipa Botànica : 5857 NE 2nd Ave
A Little Havana :
La Botànica de la Negra Francisca
Sur “Calle Ocho” : 1323 SW 8th St, Miami, FL (305) 860-9328
Connaissez-vous la libreri Mapou ?
La “Libreri Mapou” est l’un poumons culturels de Little Haïti. Bien sûr on y trouve tous les livres liés à la culture Haïtienne (et notamment au vaudou), mais aussi une salle de conférence, une salle d’exposition d’artistes, et même un petit musée ! Jan Mapou, à la tête de l’établissement, n’est jamais avare en bons conseils et saura vous guider dans vos choix. Les Français seront comblés : Mapou et l’un des seuls endroits de Floride où il est possible de trouver un grand nombre de titres de presse en provenance directe de France. Il organise aussi le 13 et 14 septembre prochain la deuxième Haitian Caribbean Book Fair. Le samedi 13 ce sera de 18h à 21h avec des lectures dans l’auditorium du Little Haïti Cultural Center, et le dimanche de 10h à 18h avec une foire aux livres dans la rue, sur la NE 2nd Ave, entre 58 Terrace et la 59th St.
Pour voir des photos originales de danses vaudou à Miami : Yeelen Gallery, 294 NW 54th Street Miami 33127. Tuesday to Saturday, from 10:00 am to 4:00 pm. http://www.yeelenart.com