Terre d’Espérance : Les Lys de France (2ème partie de notre roman historique sur l’arrivée des Français en Floride)
Les Lys de France, c’est la 2ème partie de notre de notre roman historique « Terre d’Espérance », sur les huguenots français partis à la conquête de la Floride.
La pesante colonne de pierre blanche se redressait lentement, soulevée au moyen de câbles actionnés par tout un système de poulies. Cette machinerie, digne du génie d’un Leonard de Vinci, donnait l’impression que ce pilier cyclopéen ne pesait pas plus qu’une vulgaire poutre de bois.
Une centaine de Français formés en demi-cercle regardait en silence la colonne qui s’inclinait progressivement à la verticale du sol. Au premier rang, Jean Ribault, René de Goulaine de Laudonnière et un dénommé Nicolas Barré. Ce dernier, calviniste de son état, avait été adjoint au capitaine Ribault sur décision de l’amiral de Coligny. En effet, l’initiateur de cette expédition ne voulait pas répéter l’échec subi au Brésil en 1558. Pendant près de trois ans, une colonie française sous la conduite du chevalier de Villegagnon, un catholique, avait tenté de prospérer sur une île située dans la baie de Rio de Janeiro. Dans cette région hostile baptisée France Antarctique, les querelles religieuses avaient refait surface entre le chevalier et les protestants qui représentaient la majorité des colons. Malgré les efforts de conciliation de Barré, alors commandant en second, la petite communauté française divisée et affaiblie avait fini par être chassée par les Portugais. Afin d’éviter les dissensions religieuses, l’amiral avait donc décidé que les responsables de l’expédition Ribault seraient uniquement des huguenots. Fort de son expérience brésilienne, le capitaine Barré était en outre un marin chevronné qui avait déjà navigué en 1555 au large des côtes inexplorées de La Florida. La recrue de Coligny s’avérait donc de premier choix.
Le lourd pilier venait de basculer avec un bruit sourd dans le trou creusé à cet effet. Un murmure parcourut l’assemblée des Indiens qui étaient venus assister à l’opération. Ces curieux, qui appartenaient au peuple Timucua, voyaient dans cette colonne l’émanation du pouvoir magique d’un dieu puissant et inconnu. Les rayons de l’astre du jour, maintenant à son zénith, se mirent soudain à irradier de plein fouet un blason fixé au sommet de la colonne. D’azur aux trois fleurs de lys d’or, il figurait les armes du royaume de France. Cette terre du bout du monde en faisait désormais partie.
Quand la machinerie de treuils et de poulies fut démontée et le pilier solidement fixé dans le sol, le capitaine Ribault se tourna vers ses hommes. D’un hochement de tête, il donna le signal au jeune tambour qui se trouvait à ses côté de battre le rappel. Immédiatement, la troupe forma une ligne sur trois rangs de profondeur. Hallebardiers, mousquetaires, arquebusiers, tous étaient resplendissants dans leur tenue de parade. Les gentilshommes arboraient des cuirasses et des casques aux reflets dorés, argentés pour la troupe. Au centre de ce dispositif se tenaient plusieurs hommes brandissant des étendards aux armes de France. Le chef de l’expédition et son commandant en second avaient revêtu pour l’occasion des tenues chamarrées brodées de fils d’or. D’élégants chapeaux à plumes ainsi que des plastrons finement ciselés complétaient leurs somptueux habits d’apparats.
Face à cette cohorte rutilante, des Indiens de la tribu locale Saturiwa s’étaient massés en silence. L’apparence de ces fiers guerriers ne dénotait en rien comparé aux Européens. Avec leur haute stature et leurs corps décorés de tatouages énigmatiques, ils dégageaient à la fois force et respect. Les chefs de clans portaient des coiffures surmontées de têtes de rapaces qui leurs donnaient une allure farouche. Ces fils de la forêt devaient certainement être de redoutables adversaires qu’il valait mieux avoir de son côté.
Quand le roulement du tambour s’arrêta, Jean Ribault se découvrit et lança :
– En ce 3 mai de l’an de Grâce 1562, je prends officiellement possession, en lieu et place de notre bien aimé souverain Charles, neuvième du nom, de cette terre qui dorénavant appartiendra au royaume France.
Le chef de l’expédition leva alors le regard vers le ciel et invita toute l’assemblée à remercier Dieu de les avoir conduits à bon port sains et saufs.
– Seigneur Dieu, nous vous prions d’étendre votre protection sur cette future colonie. Que chacun y soit libre de vivre sa foi en suivant la religion qu’il aura choisie.
Pour la première fois, un groupe d’hommes fuyant des persécutions religieuses venait de trouver refuge sur cette terre qui deviendra un jour les États-Unis d’Amérique.
*
Tout un groupe d’Indiens s’approchait des Européens en faisant des signes amicaux. Les femmes étaient chargées de paniers contenant des mûres ou du maïs et les enfants poussaient des cris de joie. Un jeune homme à l’allure empreinte de noblesse et entouré de plusieurs guerriers qui lui témoignaient les plus grandes marques de respect s’approcha alors du capitaine Ribault.
– Je pense que voilà un personnage de la plus haute importance, murmura le chef de l’expédition à René de Laudonnière.
– J’ai comme l’impression qu’il doit s’agir au moins d’un fils de roi, Monsieur, répondit ce dernier.
– Çà m’en a tout l’air !
Jean Ribault s’arrêta à deux pas de cet individu qui arborait une sorte de couronne faite de plumes d’oiseaux exotiques. Il le salua en ôtant son chapeau, le buste penché en avant. Cette révérence de cour sembla satisfaire le jeune homme qui répondit en inclinant la tête, le poing droit posé sur le cœur. Après quelques mots dans le langage local, ce dernier s’effaça et tendit le bras en direction de la forêt.
– On dirait qu’il nous invite à le suivre, fit René de Laudonnière.
– Soyons sur nos gardes, répondit le chef de l’expédition.
Le capitaine Ribault et son second, escortés par une dizaine de soldats, emboitèrent donc le pas au jeune guerrier et à sa suite.
Très rapidement, la petite troupe arriva dans une vaste clairière au centre de laquelle siégeait un personnage assis en tailleur à l’ombre d’un énorme magnolia. De toute évidence, il s’agissait du roi de la tribu. Un chaman à la face tailladée de cicatrices et agitant une patte de rapace prolongée d’une aile s’approcha des visiteurs en entonnant un chant aux accords lancinants.
Jean Ribault réitéra sa révérence au chapeau sans que cette marque de respect ne provoque aucune réaction de la part du monarque. Celui-ci resta immobile, le regard comme fixé dans le vide. Face à cette situation, le capitaine se fit apporter par un des soldats un coffret qu’il ouvrit et déposa sur le sol. À la vue de son contenu qui se composait de bracelets aux reflets dorés, le roi sembla se détendre et fit signe à deux guerriers d’avancer vers les Français.
Sans un mot, le satrape tribal se leva et quitta les lieux accompagné par tous les Indiens, à l’exception de la paire qui resta fièrement plantée face à Ribault et à sa troupe.
Interloqués, le chef de l’expédition et son second échangèrent un regard interrogateur.
– Monsieur de Laudonnière, penseriez-vous la même chose que moi ?
– Que le chef nous a fait cadeau de ces deux Indiens ?
– Ça m’en a tout l’air.
– Mais nous ne sommes pas des trafiquants d’esclaves, capitaine !
Sans un mot, Jean Ribault fit demi-tour et s’en retourna en direction de la rivière suivi par toute sa troupe. Jetant un regard en arrière, il s’aperçut que les deux guerriers leur avaient emboité le pas.
– Traitez-les bien, monsieur de Laudonnière ! Je vous les confie. S’ils veulent bien nous suivre de leur plein gré, nous les ramènerons en France et les présenterons à la cour. Je pense qu’ils y feront sensation.
Enchanté de recevoir cet ordre, le commandant en second y vit immédiatement l’opportunité d’apprendre le langage des tribus locales ainsi que leurs us et coutumes.
2 commentaires