Fort Caroline (suite de notre roman historique « Terre d’Espérance » sur l’arrivée des Français en Floride)
« Fort Caroline » – C’est le titre de la 7ème partie de notre roman historique « Terre d’Espérance », sur les Huguenots français partis à la conquête de la Floride !
Le groupe d’explorateurs cheminait derrière le paraousti, chef de tribu dans l’idiome local. Satouriona, c’était son nom, se tournait fréquemment vers René de Laudonnière pour lui répéter avec joie :
– Ami ! Ami !, un des seuls mots français que le roi avait retenus.
Satouriona était une vieille connaissance qui remontait à la première expédition. Dès que Laudonnière et ses compagnons avaient mis pied à terre aux abords de la Rivière de Mai, le chef les avait immédiatement reconnus. Il était venu à leur rencontre, encadré de ses deux fils et suivi par un grand nombre d’hommes et de femmes.
– Antipola bonnassou, s’était-il écrié en agitant les mains. Par cette exclamation de bienvenue, il laissait éclater sa joie de revoir ses amis qu’il avait cru perdus à jamais.
Indiens et Européens s’étaient alors jetés dans les bras les uns des autres, formant un concert d’effusions d’amitié émouvantes. Apparemment, les Timucuas avaient gardé un très bon souvenir des Français qu’ils semblaient tenir en haute estime. Quand tous ces épanchements d’allégresse se calmèrent un peu, Laudonnière comprit que le roi voulait les conduire à l’emplacement de la borne qui avait été érigée par Jean Ribault, deux ans auparavant. Se pliant de bonne grâce à la requête de son ami, le chef de l’expédition lui emboîta le pas. Suivi de tous, le cortège s’enfonça dans la forêt tropicale. Parmi les Français, ceux qui ne parlaient pas la langue locale échangeaient des signes fraternels avec les Indiens. Laudonnière, le sergent interprète Lacaille et les quelques rescapés de Charlesfort conversaient avec les Timucuas selon des fortunes diverses. Soudain, le rideau des arbres s’ouvrit sur une large esplanade où trônait une colonne de pierre arborant des Lys de France.
– Oh, mon Dieu ! ne put s’empêcher de s’exclamer le lieutenant d’Ottigny qui était aux côtés de son capitaine.
– Allons, Monsieur, nous ne sommes certainement pas au bout de nos surprises, répondit tranquillement Laudonnière.
À leur grand étonnement, les Européens découvrirent que la borne avait été transformée par les Indiens en totem. Des guirlandes de fleurs et des couronnes de laurier s’entrelaçaient autour du cylindre de pierre. À la base se trouvaient des paniers remplis de maïs que les locaux nommaient tapaga tapola. Les Timucuas s’empressèrent d’aller baiser le pied de la colonne tout en murmurant des incantations magiques avec les yeux levés vers le ciel. Lacaille traduisit que les Indiens pensaient que ce pilier avait été érigé par Ribault pour rendre un culte au soleil.
– Ah ! Je comprends mieux, lança Laudonnière sous les regards interrogateurs de ses subordonnés.
Gardant le silence dans une expression dubitative, il s’amusait à faire languir d’Ottigny et Lacaille. Les deux hommes, pendus à ses lèvres, attendaient impatiemment une explication.
– Quand le capitaine Ribault rendit grâce à Dieu de nous avoir permis d’arriver en ces lieux sains et saufs, il leva la tête vers les cieux pour prier. Les Indiens ont dû penser que nous étions des adorateurs de l’astre du jour. Des fils du soleil, en quelque sorte.
*
La mélodie du chant des oiseaux de paradis était perturbée depuis l’aube par une symphonie de crissements et de martellements. Une activité fébrile régnait sur un îlot triangulaire bordé d’une rivière aux reflets cristallins. Toute une troupe d’ouvriers besognait avec ardeur à la construction d’un imposant espace fortifié. Des remparts garnis de canons ceinturaient le fort et des sentinelles armées d’arquebuses montaient une garde vigilante. À l’intérieur des murs, des charpentiers finissaient d’édifier des baraques de planches pendant que des marins déchargeaient des caisses en provenance de bateaux ancrés à proximité. Depuis la rive opposée, Satouriona, entouré de guerriers à la mine farouche, regardait le drapeau fleurdelisé qui flottait sur la forteresse.
Le paraousti était satisfait de son alliance avec ces puissants Français qu’il avait autorisés à s’établir sur son territoire. Ces derniers possédaient des armes à feu aux effets dévastateurs comparés aux arcs des Indiens. Pour consolider cet accord, Laudonnière avait promis au roi de le soutenir dans sa guerre ancestrale contre la tribu des Thimogonas conduite par le redoutable Outina. Ce serment du chef de l’expédition était ce que Satouriona souhaitait depuis le début de leur rencontre. Grâce à ces alliés inespérés, le cacique comptait devenir le souverain le plus puissant de la région. Cependant, le capitaine huguenot avait réalisé après coup qu’il s’était peut-être engagé trop à la légère. En fait, il ne connaissait rien de ces ennemis qui, d’après les dires des Indiens, semblaient se révéler comme des adversaires féroces et nombreux. Des que le fort serait achevé, Laudonnière se promit d’envoyer en expédition de reconnaissance son second, le lieutenant d’Ottigny.
– Capitaine, comment comptez-vous baptiser cet ouvrage fortifié ? venait de demander le sieur LeMoyne qui se trouvait à ses côtés.
Tiré de ses réflexions, René de Laudonnière se tourna vers lui et laissa tomber :
– Fort Caroline ! En l’honneur de notre jeune prince, le roi Charles.
– Cela me parait un très bon choix, monsieur ! s’exclama l’enseigne d’Arlac, un gentilhomme qui faisait fonction d’officier auprès de Laudonnière.
– Et vous, d’Ottigny ? Qu’en pensez-vous ? demanda le capitaine à son adjoint.
– Je ne trouve rien à redire. Cette décision me semble fort adéquate. Même si notre nouvelle colonie sera majoritairement huguenote, nous avons tous juré fidélité à Dieu, à la France et au roi.
– Comme le décrit si bien cette devise, nous sommes en effets de loyaux sujets de notre jeune souverain, même si notre confession religieuse est différente de la sienne.
– Tenez, capitaine ! fit LeMoyne en tendant une feuille de papier. La première représentation de Fort Caroline.
– Très réussi, mon cher Jacques ! s’exclama Laudonnière. Il faudra faire parvenir ce dessin à l’amiral de Coligny par l‘Élisabeth. J’ai en effet décidé de la renvoyer en France. Nous ne garderons seulement que deux navires.
À la vue de cette construction qui laissait augurer des débuts prometteurs, le chef du parti huguenot allait surement s’empresser d’envoyer encore plus de colons en Floride. D’ici quelques années, un solide établissement prospérerait à l’extrême sud de la Nouvelle France.
À suivre…
– Si vous aimez les récits de Jean-Paul Guis, vous pouvez acheter ses ouvrages en cliquant ici
3 commentaires