A LA UNE à Miami et en FlorideA LA UNE Actualité aux USAETATS-UNIS : Guide de la vie américaine

Le « black naming » : une tradition afro-américaine unique dans l’histoire de l’Occident

S’il est bien un type de révolution sociétale, c’est quand des prénoms utilisés depuis des siècles sont remplacés par des nouveautés. LeBron, LaToya, Shakira… Ceux qui n’y sont pas habitués peuvent ainsi trouver étranges les sonorités de certains prénoms américains. Et, pas seulement ceux des « african-americans » qui seront évoqués dans cet article, mais aussi les « Reince (Prebius) » (ex-chef de cabinet de la Maison Blanche) ou « Willard » (Mitt Romney) (ex-candidat à la Présidence des USA), pour ne citer qu’eux. Mais, si étranges qu’ils puissent paraître (y compris pour les Américains) « Reince » est ici le surnom de Reinhold, alors que Willard est un dérivé du prénom germanique Willihard, sans oublier d’autres exotismes provenant d’origines indiennes (Sagamore !), de Scandinavie etc…

De facto, il n’est véritablement qu’une seule communauté qui invente ses prénoms de manière massive aux Etats-Unis (et plus généralement dans le monde occidental) : les Afro-américains. Et, à l’origine, avant de devenir une « tradition » c’était précisément pour se détacher d’un héritage occidental (qu’ils n’avaient pas demandé) qu’ils se sont ainsi mis à inventer ces prénoms au milieu du XXème siècle, au moment où un fort courant révolutionnaire s’établissait aux Etats-Unis comme en Europe, avec les Black Panthers et le « Black power » pour symboles de cette révolution dans la communauté « black ».

UNE TRADITION REVOLUTIONNAIRE

Il y a deux mouvements historiques à prendre en compte. Le premier (au niveau historique) c’est la « républicanisation des prénoms ». Elle prend son origine dans la Révolution Française et son « calendrier républicain ». A l’automne 1792, alors que la Terreur s’installe en France, le calendrier grégorien est abrogé : les mois, les saisons, les jours de l’année changent de nom, et les saints disparaissent du calendrier pour être remplacés par des symboles naturels. Les églises n’étant plus en charge de l’Etat Civil, durant les deux années de la Terreur il devient dès lors difficile de prénommer son enfant autre chose que « Cerise », « Liberté », « Floreal », « Brutus » ou « Maratine ». Cette mode (un peu contrainte) s’arrêtera dès « l’An II » : les prénoms des saints revenant comme un héritage culturel européen, y compris chez les non-croyants. Mais, deux siècles plus tard, lors de la vague « rouge » des années 1960-70, la mode des prénoms républicains revient dans certaines régions, notamment en Catalogne, comme une contestation politique anti-religieuse. Les liens entre les mouvements révolutionnaires européens et américains (comme les Black Panthers) ne sont plus à démontrer, les uns donnant des idées aux autres. Mais la différence entre le « black naming » américain et ses prédécesseurs révolutionnaires… c’est que cette fois il ne s’agit pas d’une petite mode : elle dure depuis plus d’un demi-siècle !

REFUSER L’HERITAGE DES ESCLAVAGISTES

L’autre mouvement historique, qui est certainement le plus déterminant, c’est le poids de l’héritage des noms attribués par les esclavagistes à leurs victimes nouvellement arrivées dans les colonies d’Amérique. Certains pouvaient toutefois conserver leur prénom africain, mais au fil des générations ce sont bien les prénoms bibliques qui ont été imposés (quand ce ne sont pas des surnoms volontairement humiliants). Et, pour les noms de familles… les esclaves n’en avaient tout simplement pas. Si un esclavagiste achète un deuxième « Robert », il lui donne alors quand même un deuxième nom afin de le distinguer du précédent. Et généralement c’est le nom de son ancien maître. De même, les esclaves affranchis hériteront bien souvent eux aussi du nom de leur ancien « propriétaire ».

Certains affranchis, ou leurs descendants, ont dès le départ contesté ces noms et prénoms, préférant rechercher l’originalité, ou les racines africaines, afin de distinguer leurs enfants du reste des Américains. Mais c’est un siècle après la fin de l’esclavage, au moment de la vague rouge précédemment mentionnée – qui converge avec les mouvements pour les Droits Civiques – qu’une génération d’afro-américains se demande alors comment elle peut toujours majoritairement porter le nom de leurs anciens « maîtres ». Et certains symboles vont précipiter le mouvement. En 1952, l’activiste Malcom Little devient « Malcom X », cette lettre symbolisant l’ignorance de son véritable nom de famille (« Little » était le nom de l’esclavagiste de ses ancêtres). Autre symbole, le 6 mars 1964 c’est le champion du monde de boxe poids lourds Cassius Clay qui devient « Mohammed Ali ». Le débat sur la fabrication des noms est relancé. Un « afrocentisme » s’impose dans le choix des prénoms ; l’Islam est également présent, mais certains dans le sud des Etats-Unis – alors très francophone (notamment en Louisiane) – décident de prendre des prénoms Français. MoniqueChantalAndré, ou Antoine s’étendent dans toutes les communautés « afro » du pays, au point où les Américains commencent même à en oublier l’origine française pour les identifier à la seule communauté « black ». Il faut préciser que, dès le début, on trouve des variations comme Antwan ou Shauntelle. Ces inventions de prénoms iront beaucoup plus loin, mais souvent (et c’est toujours le cas aujourd’hui), avec des préfixes français : LeBron, LaTanisha, DeShawn. Et ça peut même aller beaucoup plus loin. Le prénom « Rayvon » vient par exemple d’un mélange de « Raymond » et « Yvonne ». Il deviendra ensuite (pour certains) le très populaire prénom « Trayvon ».

Si le « black naming » vient d’un problème de racines et d’identité, il faut préciser que, bien entendu, il n’y a pas toujours un rejet complet des prénoms bibliques dans la communauté « AA » où la foi chrétienne est importante. Les « prénoms inventés » sont loin d’être majoritaires, même s’ils sont très nombreux. Il convient également de noter qu’aujourd’hui, alors que le Black Power et les mouvements révolutionnaires se sont progressivement effacés du paysage américain, les filles sont plus nombreuses que les garçons à recevoir ces prénoms inventés.

La syllabe « sha » est pour sa part un orientalisme (qui renvoie aussi bien à la Chine, l’Inde ou l’Islam). Elle est utilisée dans des centaines de prénoms féminins différents (mais pas seulement : il y a Shaquille O’neal !) : Lashawn, Shaday, Shaligua, Shalondra, Tayshaun, Shalana, Shameka, Tanisha, Latisha etc… sans oublier bien sûr la version « française » : Shanique !

Ces prénoms sans racines spéciales (comme bien d’autres ne comprenant pas les De, La, Sha) sont inventés sur les bases de sonorités musicales, un peu dans le même élan que sont nés le jazz ou le rap, en tout cas très éloignées de la Bible, de l’Islam ou de la Révolution Française !

Pour le cas spécifique de « Oprah », il faut savoir que la star du petit écran a lancé involontairement la mode : elle avait été baptisée du prénom biblique « Orpah » Winfrey. Mais tout le monde prononçant « Oprah »… c’est celui-ci qu’elle a conservé. On peut dire aujourd’hui que son prénom unique a rendu son nom superflu : il n’y a plus même besoin de le préciser pour savoir de qui on parle !

L’IMPACT SOCIAL

Durant la deuxième moitié du XXème siècle, le « black naming » a ainsi été un signe de rupture, et ce dans les deux sens : les uns rejetant l’héritage européen, et les autres trouvant parfois ces nouveaux prénoms « ridicules ». Dans les années 1980, c’était pas forcément facile pour une « Shalana » de trouver un boulot qualifié… Et le « black naming » avait alors constitué un nouvel aspect de la ségrégation. Mais aujourd’hui, s’il existe encore parfois une certaine ironie à leur égard (indissociable du racisme), force est de constater que cette pratique s’est normalisée. Elle a même intégré (au côté de Reince) les plus hauts sommets de l’Etat, que ce soit avec « Condoleeza », puis « Omarosa » et même « Barack », un prénom de président qui finalement ne sonnera pas plus étrange à l’oreille d’un Français qu’un certain… Donald !

MCH comptables états-unis

 

Véronique Howley, agent immobilier francophone dans la région de Palm Beach en Floride

Afficher plus

Articles similaires

4 commentaires

  1. Ping : Texasguntrader
  2. Bonjour, cet article est très intéressant, merci à son auteur. Auriez-vous des informations sur l’origine du prénom  »donzell » ou  »donzelle », relativement courant dans la communauté afro-américaine ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page