La Lagune du Massacre (suite de notre roman historique « Terre d’Espérance » sur l’arrivée des Français en Floride)
« La Lagune du Massacre» c’est le titre de la 19ème partie de notre roman historique « Terre d’Espérance », sur les huguenots français partis à la conquête de la Floride.
– La 1ère partie de cette histoire est ici !
– Et la 18ème (celle d’avant) est ici
L’étrave de la chaloupe fendait les eaux calmes d’une lagune aux reflets cristallins. Après un ultime coup d’aviron, l’embarcation vint s’échouer sur la plage de sable fin. Un homme à la barbe couleur de geai sauta sur le rivage et s’avança d’un pas assuré vers une troupe qui l’attendait de pied ferme. Celui qui en paraissait être le chef s’approcha lentement vers lui sans esquisser le moindre signe de bienvenue. La main posée sur la garde de son épée forgée par un des meilleurs armuriers de Tolède, il laissa tomber froidement en espagnol : « Je vous félicite pour cette sage décision, capitaine Ribault ! ». Un interprète traduisit en français les propos de Pedro Menéndez de Avilès, adelantado perpétuel de Floride.
La force du destin avait anéanti tous les espoirs français en terre de Floride. À cette pensée, Jean Ribault ne put maitriser un frisson qui lui parcourut le corps tout entier. Il avait ignoré les conseils de prudence de René de Laudonnière. Il avait sous-estimé l’importance de ces terribles coups de vent saisonniers qui souvent dévastaient la région entre août et septembre. Il avait laissé le fort pratiquement sans défense à la merci des Espagnols. Il avait joué gros et tout perdu. Si la malchance n’avait pas été au rendez-vous, l’adelantado et ses hommes seraient en ce moment à sa place.
C’est avec douleur que le capitaine huguenot se remémorait le déroulement des événements depuis l’appareillage de sa flotte en direction du camp espagnol. Dans un élan irrésistible, les navires français battant fièrement leurs pavillons fleurdelisés étaient partis en quête de gloire. À leur bord se trouvaient plus de cinq cents soldats d’élite prêts à submerger leurs adversaires d’un seul bond. Après un court trajet, les vigies annoncèrent que l’ennemi était en vue. Depuis le château arrière, Jean Ribault se rendit compte au travers de sa lunette de marine que la plus grande confusion régnait chez ses opposants. Apparemment, ces derniers paraissaient moins nombreux que les Français et n’avaient pas eu le temps de fortifier la place convenablement. Ils avaient été pris de vitesse. La victoire était à portée de main. Et puis soudain, le vent se leva. Les Espagnols étaient sauvés !
L’ouragan dura plusieurs jours. Après une lutte acharnée contre les éléments, les navires de Ribault finirent par se fracasser sur la côte, probablement aux alentours de l’actuel Cap Canaveral. Malgré la violence de la tempête, les Français n’eurent à déplorer qu’un seul mort, le capitaine Lagrange, un homme d’expérience estimé par la troupe.
Quand la furie du cyclone se dissipa, les naufragés se retrouvèrent dans le plus grand dénuement sur une plage déserte. Au milieu des débris de leurs puissants navires de guerre, ils étaient sans provisions, sans armes, les vêtements en loques et trempés jusqu’aux os. Finalement, l’astre du jour réapparut au zénith d’un ciel immaculé. Les rayons brulants leurs agressèrent cruellement la peau et la soif commença à les tenailler. Ribault regroupa tout son monde à l’abri du rideau d’arbres qui bordait le rivage. Les Français en furent vite réduits à manger des racines et des fruits et à boire dans des mares d’eau croupie. Force fut de constater que cette situation était intenable. Un repli général vers la Caroline qui se trouvait à une douzaine de lieues en longeant la côte s’avéra comme l’unique solution. Écrasée de fatigue, la troupe se mit en route. Après une marche qui leur parut interminable, les naufragés arrivèrent à la rivière de Mai. Cependant, un nouveau défi les y attendait : Comment franchir sans bateau cet ultime obstacle naturel qui les séparait des remparts protecteurs de leur forteresse ? Les eaux étaient profondes et la distance entre les deux rives d’environ un quart de mile.
La Divine Providence eut alors pitié de ces pauvres hères. Un cri triomphal en provenance de la berge annonça la découverte d’une pirogue indienne abandonnée. Malheureusement, cette dernière était en mauvais état et prenait l’eau de toutes parts. Refusant cette ironie du sort, les Français réussirent à calfeutrer la coque à l’aide de leurs chemises. Ribault chargea alors le capitaine Vasseur de traverser la rivière sur ce frêle esquif en compagnie de quelques hommes et de rallier Fort Caroline.
– Mon cher Vasseur, il faut absolument que vous reveniez avec des secours et des embarcations. Nous devons traverser la rivière au plus vite. Les Espagnols peuvent attaquer à n’importe quel moment !
Au bout de quelques heures, la pirogue était de retour, porteuse de terribles nouvelles. Une troupe armée se trouvait sur l’autre rive et marchait dans leur direction. De plus, elle arborait un étendard aux armes du roi d’Espagne ! Les rescapés de la tempête venaient d’être découverts !
Ribault envoya des parlementaires afin de connaitre les intentions de leurs ennemis. Après quelques va-et-vient entre les deux parties, le message de ces Espagnols n’était toujours pas clair. De guerre lasse, le capitaine décida de faire confiance à Menéndez et d’aller négocier directement avec lui.
*
Jean Ribault secoua les sinistres pensées qui peuplaient son esprit et confiant, s’avança vers l’adelantado. Après tout, la France n’était pas en guerre avec l’Espagne et la discussion avait lieu entre gentilshommes.
À sa grande stupéfaction, il apprit tout d’abord que le fort était tombé aux mains des Castillans. Deux prisonniers français étaient présents pour témoigner de la véracité de ces dires. Ensuite, le capitaine huguenot tenta en vain de solliciter des navires afin de rapatrier tout son monde en terre de France. Rapidement, la conversation allait tourner court. Menéndez exigeait une reddition sans condition. Cependant, la proposition d’une rançon conséquente sembla le faire réfléchir. Ribault en déduisit qu’il y avait peut-être encore un moyen de trouver un arrangement. Une nouvelle entrevue fut décidée pour le lendemain. À cet instant, le français ignorait tout de l’ampleur des massacres de la Caroline et des rescapés de la Trinité.
***
Le soleil était déjà haut dans le ciel quand Jean Ribault se présenta le jour suivant à son entretien final avec Pedro Menéndez. Ce dernier prit un air contrarié lorsque le français lui annonça que deux cents de ses hommes avaient refusé de l’accompagner et préféraient tenter leur chance avec la forêt et les Indiens. Environ cent cinquante avaient décidé de placer leur destin entre les mains de l’adelantado. Afin de prouver sa bonne foi à ce dernier, le capitaine huguenot lui remit le sceau officiel de la colonie ainsi que les attributs de commandement qu’il avait pu sauver du naufrage : étendards, épée et dague. Satisfait, Menéndez renvoya l’embarcation qui faisait la navette entre les deux rives pour rapatrier le reste des prisonniers. Il demanda ensuite à Ribault de se laisser attacher les mains dans le dos pour d’être certain qu’il ne s’enfuirait pas. Ceci fait, l’espagnol ordonna à ses hommes de ligoter la dizaine de soldats qui avait débarqué avec leur capitaine. En s’apercevant de la brutalité avec laquelle se déroulait cette opération, Jean Ribault se rendit compte qu’il avait été dupé. Sans ménagement, les Castillans entrainèrent les captifs hors de vue, derrière les dunes. Une fois à destination, les bourreaux demandèrent à leurs futures victimes s’il y avait des luthériens parmi eux.
– Tous ! s’exclama fièrement Jean Ribault qui se mit à entonner le psaume Domine memento mei.
Les membres de la nouvelle religion furent alors sommairement exécutés à la hallebarde ou égorgés au couteau. C’était la répétition exacte du massacre de l’équipage de la Trinité quelques jours auparavant. Quand son tour arriva, Ribault montra le dos à ses tortionnaires afin de bien leur afficher son mépris. Il tomba sans un cri, percé de plusieurs coups de dague. N’étant que blessé, ses bourreaux continuèrent à le poignarder jusqu’à l’abandon de son dernier souffle de vie.
Au son de fifres, trompettes et tambours pour étouffer les hurlements des mourants, l’opération allait se reproduire par groupes d’une dizaine de prisonniers. Tous allaient être exécutés sauf cinq. Ceci se passait le 10 septembre 1565. L’îlot où se déroula cette tuerie garde aujourd’hui encore le nom de Matanzas qui signifie « massacre » en espagnol.
À suivre
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