Roland Lescure : « Joe Biden va mettre en place une relation multilatérale, et c’est une bonne nouvelle »
Entrevue avec le député des Français résidant en Amérique-du-Nord
Quels changements attendre de l’élection de Joe Biden dans les rapports entre les Etats-Unis et la France, mais aussi pour les Français résidant aux Etats-Unis ? Le point avec Roland Lescure, député (LREM) des Français de l’étranger (USA/Canada) et Président de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale.
LE COURRIER DES AMÉRIQUES : Quel est votre point de vue sur le résultat des élections américaines ?
ROLAND LESCURE : La victoire de Joe Biden est assez nette mais elle s’accompagne d’un sénat et d’une chambre très équilibrés, avec la probabilité que les Républicains gardent une majorité au sénat. En conséquence, l’Amérique doit se rassembler pour être gouvernée au centre. Joe Biden est certainement la bonne personne pour cela. Son défi majeur c’est de réconcilier l’Amérique avec elle-même et avec le monde.
LE C.D.A : Est-ce que la politique américaine va changer autant que cela dans ses rapports avec la France et le monde ?
ROLAND LESCURE : Oui et non. Elle sera en tout cas beaucoup plus prévisible car, en matière de politique internationale, c’est quand même à la tête du pouvoir que le ton est donné. J’avais pu moi même constater, en accompagnant le président Macron, à quel point le président Trump pouvait changer d’avis du lundi au mardi. Sa politique c’est « diviser pour mieux régner », notamment vis à vis de l’Union Européenne. On l’avait vu, notamment avec le Brexit ou la taxation des produits de certains pays, comme par exemple nos vins. Joe Biden va au contraire mettre en place une relation multilatérale, et c’est une bonne nouvelle. En revanche le changement de centre de gravité de la politique américaine vers l’Asie va toutefois demeurer, car il avait débuté bien avant l’élection de Donald Trump.
LE C.D.A : Les relations avec la Chine semblaient toutefois un peu plus tendues depuis son élection…
ROLAND LESCURE : Les tensions avec la Chine sont importantes, mais il y a une relation de co-dépendance très forte. Les Etats-Unis ont par exemple besoin de la Chine pour leurs « treasuries ». Il est aussi important qu’ils soient présent sur ce marché asiatique, où la Chine est la puissance qui s’impose de plus en plus et qui remplace le Japon.
LE C.D.A : Le vote pour Donald Trump a été également très élevé durant cette élection, qu’est-ce que ça signifie pour le futur ?
ROLAND LESCURE : Ca signifie que, quand on fait campagne sur un référendum « pour ou contre » quelqu’un, on mobilise alors fortement aussi bien l’électorat « pour » que l’électorat « contre ». Ca a focalisé, consolidé et divisé les deux camps. Ca crée beaucoup d’attachement, et ça rend le rassemblement des Américains d’autant plus compliqué.
Ce résultat signifie aussi que l’équation posée par Donald Trump existe toujours, à travers lui ou ses héritiers : l’Amérique des villes contre celle des campagnes, l’Amérique des pauvres contre celle les élites, l’Amérique des Blancs et celle des minorités raciales.
Encore une fois, je pense que l’expérience politique de Joe Biden est une bonne chose pour pouvoir arriver à un compromis. Il est par exemple relativement populaire dans la Rust Belt, et Kamala Harris rassure de son côté les Américains sur les minorités et les femmes. Biden-Harris : le « ticket » est encore plus important que d’habitude pour rassurer l’Amérique.
LE C.D.A : Durant cette campagne électorale, les réseaux sociaux ont été incontournables, mais ils ont été plus encore les vecteurs de fake news, les acteurs de censures etc… Sera-t-il possible de sortir un jour du débat binaire « liberté d’expression ou censure » ?
ROLAND LESCURE : J’irai même au delà de ce constat : Ils ont consolidé l’effet bulle. Et au final l’élection s’est faite sur quelques Etats : on a vu à quel point il était très difficile pour chaque camp de sortir de sa bulle.
Sur ce dilemme entre la liberté d’expression et la protection de la vérité, on a pu aussi constater que pour la première fois un président des Etats-Unis a été censuré à la fois par Twitter et Facebook. Les comptes de Donald Trump sont toutefois « l’arbre qui cache la forêt » : toute la question est de savoir comment on va gérer, en termes de modération, les enjeux de cyber haine et de cyber fake news.
LE C.D.A : L’élection de Joe Biden est-elle une bonne chose pour les expatriés ?
ROLAND LESCURE : L’administration Trump avait complexifié l’immigration aux Etats-Unis, donc on va voir si ce sera plus pacifié avec l’administration Biden. Nous avons aussi le problème des « tariffs », les droits de douanes sur les importations aux Etats-Unis. Ca pénalise énormément ceux qui travaillent dans le vin : l’import-export, les restaurateurs etc… J’espère que ça pourra être annulé.
« Il y a une légère baisse du nombre d’élèves dans les écoles françaises aux Etats-Unis, mais on ne sait pas à ce stade si c’est significatif. » Roland Lescure
LE C.D.A : Quel est le panorama de la présence économique française aux Etats-Unis après ces longs mois de crise liée à la pandémie ?
ROLAND LESCURE : C’est évidemment très difficile. Nous avons par exemple une grande communauté française travaillant dans la distribution et la restauration et qui est sévèrement affectée. Les grandes industries, notamment aéronautiques, sont à l’arrêt. Un grand nombre d’entrepreneurs français ont souffert du blocage des échanges, du durcissement des visas et des problèmes aériens.
Il y a une légère baisse du nombre d’élèves dans les écoles françaises, mais on ne sait pas à ce stade si c’est significatif. Pour le moment on n’a pas globalement l’impression d’être face à un exode massif. Néanmoins nous aurons certainement à faire face à des répliques dans les trois ou quatre mois qui viennent.
LE C.D.A : Au niveau des voyages, beaucoup de professionnels et de familles ont été dans la détresse cette année car ils ne pouvaient plus traverser l’Atlantique…. Est-ce que les choses s’arrangent ?
ROLAND LESCURE : Oui et non.Comme vous l’avez vu, le mois dernier nous avons simplifié les tests réalisables en moins de 72 heures pour pouvoir prendre l’avion vers la France.
Certains s’interrogent pour savoir s’ils peuvent venir à Noël : alors, les Français peuvent de toute façon venir en France quand ils le souhaitent, mais Il faut quand même que chacun continue de limiter ses déplacements. Et attention ensuite au retour vers les Etats-Unis pour ceux qui n’ont pas de carte verte ou de passeport américain.
PUBLICITE :
2 commentaires