Les réseaux sociaux ont privatisé la liberté d’expression (Editorial du Courrier des Amériques)
Les Etats-Unis ont connu un mois de janvier on ne peut plus agité. Parmi les sujets majeurs de l’actualité, l’un d’entre eux a malheureusement été moins traité aux Etats-Unis qu’à l’étranger : la censure exercée par les réseaux sociaux. Le Courrier ayant consacré toute sa page 2 du mois de janvier aux monopoles des GAFAM, il était bien évident que nous allions aussi, cette fois, parler de la censure qu’ils exercent. Voici mon analyse.
Le Courrier des Amériques est le journal des francophones vivant (ou séjournant) aux Etats-Unis
Autrefois, la parole du citoyen était naturellement limitée : elle pouvait s’exprimer dans la rue, au café, plus rarement dans une interview que vous offrait le journal local et, s’il le fallait, parfois devant un juge. La démocratie représentative permettait de combler le problème : des élus vous représentaient et pouvaient exprimer vos opinions collectives.
Puis Internet est arrivé, permettant à tout le monde – pour le meilleur et pour le pire – de pouvoir directement s’exprimer et de bénéficier d’une audience. Sur ce champ vierge qu’était internet, les GAFAM ont créé des monopoles restreignant l’expression à leurs propres espaces privés : à l’heure actuelle, Facebook, Twitter et Youtube composent l’essentiel de ces espaces où la parole s’exprime dans le monde occidental.
Le problème de la censure n’y est pas nouveau et, quand il se pose publiquement, les réseaux sociaux répondent : « vous êtes ici chez nous, si vous n’êtes pas content de notre règlement, lancez votre propre réseau social ». Mais quand le milliardaire Donald Trump est interdit de réseaux sociaux, pas même lui n’est capable de lutter ; il est réduit au silence. Certains supporters de Trump sont alors partis sur le réseau « Parler » (que j’ai découvert à cette occasion, et qui techniquement ressemble un peu à Twitter) : mais en quelques heures les GAFAM ont assuré leur survie et leur monopole en faisant interdire ce réseau social Parler. Il est tellement impossible de faire fonctionner un concurrent contre le monopoles des GAFAM que même Google (qui est pourtant le « G » de « GAFAM) n’avait pas réussi en huit ans (2011 à 2018) à rendre compétitif son propre réseau social « Google+ » qui n’existe plus depuis lors.
Au XXIème siècle, l’endroit où l’expression des personnes a cours, c’est essentiellement les réseaux sociaux, chacun en conviendra, et pas sous le platane du coin de la rue. Si, en théorie, le premier amendement de la constitution américaine assure que la liberté d’expression est garantie aux Etats-Unis, dans la réalité, c’est désormais faux. L’expression a aujourd’hui cours dans des espaces privés où elle n’est pas libre. Il convient de noter que certains pays, comme par exemple la France et l’Allemagne, poussent justement les réseaux sociaux à pratiquer plus de censure : sous la menace ils obligent Zuckerberg et ses amis à faire leur travail de service public, tout à la fois celui de censeur, de policier, de juge, ce qui fait au final de lui une sorte de « Dieu ». Ca tombe bien, rappelons que toute entreprise a pour essence de vouloir contrôler son environnement (et de gagner de l’argent). En conséquence de ces exigences gouvernementales, le futur proche des réseaux sociaux, ce sera d’aller vers plus de censure, c’est totalement certain.
Les mêmes réseaux qui ont été si peu rapides à censurer les terroristes ou les pédophiles tombent désormais aussi bien sur le président des Etats-Unis, que sur l’humoriste Jean-Marie Bigard, ou le député (macroniste quand il a été élu) Joachim Son-Forget. Pour eux (entre autres) il n’y a pas d’appel possible. Et pour vous, ceux de nos lecteurs qui n’ont pas l’influence des personnes citées ? Y aura-t-il un appel le jour où les GAFAM auront décidé de vous réduire au silence ? Qui prendra votre défense ? Quand une personne est expulsée de Facebook, elle n’a pas même moyen de discuter avec quelqu’un pour faire valoir ses droits : aucun contact possible, pas de numéro de téléphone, pas d’email pour correspondre : rien ! Et c’est déjà arrivé à des dizaines de milliers ou des centaines de milliers de personnes !
Vous pensez que les réseaux sociaux ne s’en prennent qu’au plus fort ? Avec la manifestation au Capitole, Donald Trump a certes donné un prétexte parfait aux GAFAM pour le mettre dehors. Néanmoins, chacun aura pu noter qu’ils ont censuré Trump quelques heures seulement APRES que le nom du nouveau président (Biden) ait été prononcé par le Congrès. Ce n’est donc pas au « Trump-tout-puissant » qu’ils s’en sont pris : c’est au perdant de l’élection présidentielle ! Jamais ils ne s’en seraient pris à lui la veille ! Et il s’agit aussi d’une vengeance, car le 28 mai 2020 Trump avait signé un décret interdisant la censure sur les réseaux sociaux.
Mais jusqu’à cette date Donald Trump et les Républicains n’avaient pas vraiment jugé utile de débuter une vraie réflexion sur les GAFAM. Au nom d’une autre liberté, celle du marché, il ne fallait pas les toucher. Quand la France avait voulu taxer ces GAFAM, la seule chose que Trump avait trouvé à faire, c’était une mesure de rétorsion contre les produits français arrivant aux USA. Les Démocrates semblaient jusqu’alors beaucoup plus soucieux du problème… Ils vont avoir l’occasion de le prouver, mais pour le moment ils semblent surtout se réjouir que leur adversaire ait ainsi été muselé.
Certes, l’économie du numérique est immense pour les Etats-Unis, et il est difficile pour les élus d’envisager de nuire à leurs entreprises emblématiques. Mais les bonnes questions à se poser sont les suivantes : Est-ce que l’air qu’on respire doit être privatisé ? Est ce que les rues de nos villes doivent être privatisées ? Est-ce que l’expression des citoyens peut être privatisée ?
Dans quelques années (ou dizaines d’années) la plupart des pays auront répondu « non » à cette question. Après la censure de Trump, le Mexique (pays socialiste) a décidé de lancer son propre réseau social. La Russie et la Pologne ont pour leur part décidé d’interdire les réseaux sociaux qui pratiqueraient de telles censures politiques dans le futur. Facebook et Twitter ne sont déjà plus, loin de là, des normes universelles. Et, on vous l’annonce, Donald Trump ou Donald Trump Jr (ou un de leurs amis) seront élus aux Etats-Unis dans quatre ans, dans huit ans ou dans douze ans. Ce jour-là, aux Etats-Unis aussi, les réseaux sociaux ne seront plus ce qu’ils sont. Plutôt que d’attendre une fatalité brutale, il serait peut-être sage d’envisager d’ores et déjà des alternatives intelligentes : l’enjeu est trop important pour que les gouvernements continuent de fermer les yeux et demandent à des sociétés privées de garantir nos droits.
Gwendal Gauthier
Directeur du Courrier des Amériques
Les USA et l’UE s’en prennent maladroitement aux monopoles des GAFAM
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