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American Affairs : une revue politique qui lance beaucoup de pistes de réflexion

Pour Tocqueville, les Américains sont des cartésiens qui n’ont jamais lu Descartes : ils sont rationnels, mais peut-être un peu par miracle, à leur manière à eux, qui est chaque jour réinventée. Pour la revue trimestrielle American Affairs, (en tout cas l’une de ses analystes, Ruchi Shah, qui incarne bien l’esprit de la revue) les courants politiques américains semblent s’éloigner de ce qui fut cette vérité tocquevilienne : cette constante rationnelle qui a marqué l’identité américaine ferait de plus en plus partie du passé. Sans vouloir en faire non plus une fatalité, il faut noter que cette évolution négative est bien réelle : chacun aura en effet pu constater que, de plus en plus, les partis politiques et candidats américains racontent des histoires à leurs spectateurs-électeurs. On n’est plus dans l’idéologie ; on n’est plus – non plus – dans le simple « management économique gouvernemental » : désormais une élection se gagne avec une belle narration ; une petite histoire hollywoodienne à laquelle les électeurs sont priés d’adhérer, et qui raconte que l’humanité (américaine) sera sauvée par l’érection d’un « mur » ou bien sauvée du « fascisme » ou d’une « pandémie mal combattue ».

C’est pourquoi il faut saluer la création de cette revue intellectuelle, American Affairs, qui cherche dans le brouillard à trouver des pistes de rationalité ; des clés de compréhension (1) des changements.

L'édition de l'été 2021 d'American Affairs
L’édition de l’été 2021 d’American Affairs

Lors de son lancement (par Julius Krein en 2017), American Affairs était très en phase avec la pensée nationale industrielle du « MAGA » trumpien, contestant le bienfondé d’avoir laissé délocaliser à l’étranger l’industrie américaine. Il ne faut pas en tirer des conséquences hâtives : dans cette revue les politiques de Trump sont autant la cible de critiques que celles de son successeur, et c’est un aspect appréciable au sein d’un paysage politique et médiatique extrêmement polarisé, artificiellement divisé. Les auteurs sont plutôt des intellectuels et universitaires conservateurs, ça se sent, mais ils sont plus attachés à « chercher » qu’à « conserver ».

La revue ouvre beaucoup de portes, de questionnements que devraient s’approprier les partis politiques, et c’est son principal intérêt. Pour être clair, on est tous habitués aux remises en question politiques des marxistes, et la version « non-marxiste » ici délivrée est également intéressante, chacun est libre d’en juger.

Sur certains sujets, American Affairs s’est fixé comme but de mettre d’accord les opposants, de droite comme de gauche, au néo-libéralisme ayant amené à cette situation de désindustrialisation et à ses conséquences. Elle a ainsi débuté son existence sur des thématiques traitant essentiellement de commerce et d’industrie, ce qui est assez original dans le paysage médiatique américain où une usine est souvent dépeinte comme un vieux truc vintage en briques rouges louée par de jeunes artistes-peintres débutants…

Et puis American Affairs a évolué et s’est octroyé le droit de parler de tous les aspects d’une Amérique en profonde mutation. Au nombre des spécificités appréciables de cette revue, notons les comparaisons argumentées avec les politiques d’autres pays du monde. Les néo-conservateurs avaient (2) cette faculté – non pas de « neutralité »,  ça c’est bien certain – mais en tout cas de curiosité internationale qui fait généralement défaut tant à l’Amérique qu’à ses revues intellectuelles.

Saluons ainsi le travail d’American Affairs, dont nous avons lu pour vous le numéro d’été ! Ne pensez pas, néanmoins, que la revue soit limitée à ces thèmes-là : chaque numéro est une nouvelle expérience (au prix de 10$).

www.americanaffairsjournal.org

1 – Ce qui est aussi notre but au Courrier des Amériques : aider à la compréhension des Etats-Unis.

2 – Jusqu’à la mort du Weekly Standard en décembre 2018.

« Saluer l’opération Warp Speed »

Les craintes et doutes sur les vaccins à base d’ARN sont débattus depuis des mois. En revanche, American Affairs souligne (dans son premier article de l’édition d’été) l’extraordinaire prouesse scientifique et industrielle qui a permis aux Etats-Unis de développer ces vaccins en un temps record. Certains – vous les avez entendus – suspectent que ces vaccins aient été « bâclés » par « Big Pharma ». Chacun peut bien penser ce qu’il veut, mais pas en ignorant les réalités positives derrière la mise sur le marché de cette technologie ARN. Quel que soit son degré d’efficacité contre la covid, il s’agit d’une extraordinaire révolution scientifique qui repose sur une politique industrielle d’urgence qui impressionne ceux qui s’y intéressent. Certes, il est de bonne guerre pour les pays qui n’ont pas eu les moyens de développer leurs propres vaccins de laisser planer un doute sur l’ingéniosité des politiques mises en place aux Etats-Unis en 2020, mais la lecture de l’article d’American Affairs décortique le procédé de manière détaillée et souligne que « l’Opération Warp Speed » (OWS : opération vitesse de l’éclair) devrait même devenir un modèle d’accélérateur afin de soutenir l’industrie américaine dans d’autres domaines-clés.

Pour ceux qui pensent que les vaccins ARN ont été « bâclés », on soulignera que Moderna a mis seulement deux jours à concevoir le sien. Peut-être bien, au final, n’est-ce ni de la précipitation, ni vraiment du génie américain, puisque la société est spécialisée en modification d’ARN (c’est ce que signifie son nom = Mode-RNA) depuis sa fondation en 2010 et que son PDG est un Français, Stéphane Bancel…

Quoi qu’il en soit, une telle révolution industrielle méritait bien un article.

« La fin de la fin de l’histoire »

Il reste encore dans le monde occidental des personnes qui croient comme Fukuyama en 1992 que l’histoire s’est arrêtée avec la victoire du néo-libéralisme sur l’Union Soviétique. Les bouleversements apportés par la crise de la Covid devraient pouvoir terminer de convaincre les indécis, et en tout cas cette crise est pour American Affairs la justification de ce titre d’article qui marque le début (pour eux) d’une nouvelle ère : nous serions ainsi arrivés à « la fin de la fin de l’histoire ». Pour résumer : les démocraties occidentales ont cru à cette « fin de l’histoire », et désormais, on assiste à un mouvement contraire ; un début de déconstruction du néo-libéralisme. Cette partie de la revue regroupe cinq articles très divers. Le premier est titré « Vers la brésilianisation du monde ». Dans l’esprit de l’auteur, il s’agit de la création d’un monde (occidental) avec des différences sociales extreme où cohabitent à la fois un modèle technocratique et une anarchie avancée. Avec en parallèle une diminution importante de la classe moyenne.

Le deuxième article de cette section décrit la manière dont les Italiens, souvent tentés de « renverser la table », finissent toujours depuis 30 ans par revenir à un « gouvernement technique » faisant passer les impératifs de stabilité financière avant la richesse du pays. Dans le même temps, comme au Brésil, une contestation populiste gronde pourtant très fortement en Italie.

La revue comporte d’autres aspects internationaux, par exemple sur la Chine, ou encore une comparaison très intéressante des systèmes d’immigration des USA, Canada et Europe, mettant en exergue leurs points faibles et leurs points forts. L’auteur est consterné par la manière dont les deux camps politiques américains s’invectivent sur le sujet de l’immigration (et il est assez favorable au modèle canadien).

A propos de Canada, dans cette section sur « la fin de la fin de l’histoire », un article revient sur les films de fiction réalisés par Denys Arcand, qualifié par American Affairs de « Montesquieu de Montréal » pour ses œuvres où, justement, il montre dès 1986 (avec le film « Le Déclin de l’Empire Américain ») des intellectuels Québécois perdus dans une société en déréliction. Arcand a ainsi débuté trois ans avant l’effondrement de l’URSS, c’est à dire avant même la « fin de l’histoire », de montrer de manière visionnaire les limites de l’American Dream, sous un fabuleux angle social et culturel qui fait la singularité de ses œuvres.

D’autres articles de la revue auraient pu rentrer aussi dans cette catégorie, comme par exemple « Est-ce que le populisme est quelque chose d’important ». Chacun sait que ce sujet du populisme est indissociable des politiques contemporaines dans le monde occidental. American Affairs en livre des analyses, là encore, intéressantes, grâce à une bonne connaissance des enjeux dans les autres pays du monde. Le populisme a en ce moment du plomb dans l’aile, et survivra-t-il à ses récentes défaites électorales (Trump, Sanders, Corbyn, Italie…) ? Ou bien est-il devenu une alternative durable et inhérente au « pouvoir des technocrates » ?

« Façonner l’environnement de l’information »

C’est le nom d’une autre section d’American Affairs : deux articles sur les enjeux et possibilités de mieux maîtriser la diffusion de l’information à l’heure où censure et propagande se développent dans le monde occidental, notamment sur internet. On appréciera le souci de trouver des solutions (c’est malheureusement trop rare), même si une éventuelle réforme de la « Section 230 » (des Actes de communication aux Etats-Unis) semble un peu naïf. Petit rappel : cette « section 230 » garantit une immunité totale aux plateformes internet depuis 1996, aussi bien pour les propos que vous y tenez que pour des débats qui y auraient été modifiés par une intervention des « modérateurs » de ces plateformes. En clair, depuis cette date, si vous écrivez quelque chose de répréhensible sur un réseau social, c’est vous et vous seul le responsable devant la justice. Et même si, par exemple, le réseau social est intervenu pour modifier/tempérer une partie de la discussion, c’est encore et toujours vous, et vous seul, le responsable de vos propos. Cette immunité des réseaux sociaux les a amené à ne plus du tout intervenir aux Etats-Unis, excepté quand les propos tenus sont inacceptables au vu de leur idéologie personnelle.

Les deux problèmes – laisser passer la désinformation, ou abuser de la censure – sont des enjeux trop importants pour les laisser entre les mains d’entreprises privées. Et c’est donc tout à l’honneur d’American Affairs de réfléchir à ces problèmes.

En conclusion

Les articles d’American Affairs passionneront les personnes qui s’intéressent à la « big picture » : à la manière dont le monde change, à commencer par notre partie (occidentale) de planète. On notera encore un article consacré à une relecture des rapports pouvoir/science chez Michel Foucault, intéressants à redécouvrir en pleine pandémie. American Affairs livre encore des analyses contrevenant à la « pensée officielle », comme par exemple cette affirmation de David P. Goldman : pour lui la Chine régule ses géants de la tech non pas pour affirmer le pouvoir de l’Etat socialiste, mais au contraire pour réaliser ce que les puissances occidentales auraient dû faire depuis bien longtemps : mettre des limites à la création de monopoles boursiers et aux bulles financières. Pour lui la Chine cherche ainsi non pas ç créer un meilleur socialisme, mais au contraire les conditions d’un meilleur capitalisme (en tout cas un capitalisme moins dangereux pour lui-même).

Qu’on soit d’accord ou pas avec American Affairs… la revue a ainsi le mérite d’ouvrir des pistes de réflexions intéressantes.


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