Le grand coup de blues des expatriés français
Dans la précédente édition du Courrier de Floride, la ministre déléguée aux Français de l’Etranger, Hélène Conway-Mouret, assurait que le consulat de France n’avait reçu que 500 inscriptions supplémentaires durant l’année écoulée pour l’ensemble de la Floride ; loin des chiffres les plus alarmants parmi ceux évoqués (les « 3000 par mois » de Frédéric Lefebvre, par exemple). Mais, quoi qu’il en soit, l’expatriation des Français continue de faire couler beaucoup d’encre, en France comme ici.
La crise précipite nombre de Français vers l’étranger, et les expats sont en conséquence de plus en plus nombreux à arriver ici en Floride, sans qu’il ne soit vraiment possible d’en déterminer le nombre. N’émigre pas qui veut aux USA, et certains pays sont beaucoup plus demandeurs d’immigration française, comme par exemple le Portugal qui vient d’accorder une exemption d’impôts pendant 10 ans aux retraités d’autres pays européens venant s’installer chez eux (et cette loi a été principalement instaurée pour les nombreux Français qui vendent tout en France afin d’aller s’installer dans le sud du Portugal où la vie est moins chère qu’en France).
Ces exemptions d’impôts et autres facilités n’arriveront pas de sitôt en Floride, et il y a évidemment beaucoup plus de Français à rêver de s’installer dans le Sunshine State qu’à effectivement décrocher le sésame vert nécessaire à une immigration. Néanmoins, beaucoup sont déjà là, et « l’expatriation », c’est le sujet dont tout le monde parle en ce moment, aussi bien en Floride qu’en France, d’ailleurs. Ici, « Miami Style » oblige, il y a quelques stars qui font de la provocation, comme le chanteur Florent Pagny qui assure qu’il n’est « plus Français ». A l’opposé, il y a ce groupe de trentenaires habitant Miami et qui viennent de lancer à la mi-novembre « Les Pigeons Voyageurs » et la pétition qui va avec (voir l’interview ci-contre) afin de « défendre les expatriés » dont ils contestent qu’ils soient tous de riches chanteurs comme Florent.
En Floride, il y a aussi David Vautrin. « Constatant d’année en année le déclin de son pays d’origine » (dit-il de lui-même sur son site) il a quitté la France en 2009 pour s’installer à Miami. David Vautrin a créé en septembre le site internet (tenez-vous bien) : www.quitterlafrance.net ! Il y donne tous les bons conseils à ces « 50% de Français » qui souhaitent quitter le plus beau pays du monde. « Il y a dix ans, jamais je n’aurais pensé qu’un ras-le-bol général pousserait certains Français à quitter leur cher pays. C’est pourtant ce que je constate tous les jours depuis quelques mois : les Français veulent quitter la France. D’où la naissance de ce blog ». On peut aussi y lire : « Ceux qui sont allés jusqu’au bout de leur rêve en témoignent dans les différents articles : on vit mieux ailleurs qu’en France. » Dans l’une de ses vidéos, postée le 5 octobre dernier, David interviewe Laurence Colozzi du restaurant Ozzi. Elle est ici depuis 6 ans, et à la question de savoir pourquoi elle est arrivée en Floride, elle répond sans ambages : « le premier choix, c’était une volonté de quitter la France, parce que j’arrivais à une saturation liée à plusieurs frustrations aujourd’hui de plus en plus présentes dans mon pays. Des frustrations économiques, politiques, sociales, juridiques, et je suis peut-être arrivée à un ras le bol de tout ça. » Enseignante en lycée professionnelle durant 10 ans en France, Laurence Ozzi était déjà venue en vacances à Miami, et elle a alors franchi le pas vers « un pays plus ouvert que la France, économiquement plus sûr, avec un patriotisme plus présent. Au fil des années je me suis sentie proche de ce pays dans lequel il y a aussi peut-être des opportunités professionnelles plus accessibles qu’en France. » Elle a donc ouvert ce restaurant et est en même temps agent immobilier. « On se sent moins asphyxiés d’impôts.«
On peut voir toute son interview ici :
Cet automne est donc celui des « au revoir » pour les frenchies, dont un grand nombre souhaite néanmoins co-signer une sorte de « lettre à France » (comme disait Polnareff), en tout cas une longue complainte des « Pigeons Voyageurs » ; un blues de tout ceux dont l’exil n’aurait pas été totalement volontaire (même s’il les a amené jusqu’à des plages de rêve).
PLUS DE DEMANDE QU’AVANT
Le député UMP Frédéric Lefebvre est allé jusqu’à parler de « 3000 exilés Français par mois à Miami« , mais en tout cas ils sont nombreux à tenter le coup.
“Il y a plus de demandes qu’avant. Plus d’intérêt à venir s’établir ici. 3 000 personnes à s’installer ici ça me semble beaucoup, mais 3,000 à prospecter me semble plus réaliste« , assure l’avocat d’Orlando Francis M. Boyer. Son confrère Richard A. Freeman de Miami Beach confirme une tendance à la hausse. Me Vanessa Elmaleh qui est spécialiste de l’immigration – elle aussi à Miami Beach – va plus loin : « le nombre d’immigrants de France a décuplé durant cette dernière année, tout comme les demandes d’information que nous recevons de ceux qui préparent leur départ pour 2014-2015 (prochaine grosse vague d’immigration). Il y a beaucoup d’entrepreneurs découragés par le lourd système de fiscalité et l’atmosphère morose, mais aussi beaucoup de jeunes diplômés ambitieux réalisant que l’American dream est plus prometteur.
Nous observons aussi l’arrivée de plus en plus d’artistes français connus (nous avons représentés par exemple les grands rappeurs Booba et Lafouine qui sont venus s’installer à Miami, la nouvelle capitale du rap) et aussi des artistes moins connus qui se ruent vers l’Amérique« .
LA QUÊTE DE LA GREEN CARD
A Miami comme dans plusieurs autres villes américaines, on a même la particularité de trouver des « clandestins français ». Bien sûr il y a toujours eu des étudiants à rester sur le territoire américain après la prescription de leur visa études ou tourisme. Mais, là, les troupes ont un peu gonflé. Sans toutefois atteindre des proportions qui inciteraient les autorités américaines à dresser un mur entre les States et la France, tel celui de la frontière mexicaine (et puis ce serait difficile), mais tout de même la proportion de clandestins deviendrait révélatrice d’un petit malaise. En conséquence, les « mariages blancs » pour obtenir des green cards devraient augmenter. Le journal France-Amérique laissait entendre dans son édition de septembre que c’est déjà le cas. Les avocats de Floride ne confirment pas et se contentent (c’est leur rôle) de préciser que les mariages blancs sont totalement illégaux (ils peuvent d’ailleurs coûter 5 ans de prison et/ou 250000 dollars d’amende aux DEUX époux contrevenants).
10 À 12 MOIS POUR UN VISA MARIAGE
Reste le mariage mixte légal avec les citoyens américains. L’un des journalistes français qui travaille habituellement pour Le Courrier de Floride témoigne : « Ma femme est américaine, et nous nous sommes mariés il y a un an. Au départ nous souhaitions nous installer en France, mais nous sommes contraints de nous préparer un avenir aux USA car, même si nous n’avons pas un grand train de vie, habiter en France aurait considérablement réduit nos moyens. Nous avions un rêve de France… et ce n’est pas possible. » Pour le coup, demander une green card par le biais d’un rapprochement de conjoint (que ce soit via un vrai mariage ou bien un « blanc ») demande un délai pouvant aller de 6 à 12 mois selon les témoignages recueillis. Le journaliste que nous mentionnons ci-dessus aura attendu 10 mois avant sa convocation à l’ambassade. Mais « les personnes en attente peuvent recevoir un permis de travail sous 30-90 jours« , précise Me Vanessa Elmaleh.
Les « faits divers » ne se multiplient pas (ou pas encore) autour des Français aux USA, mais les anecdotes commencent à être nombreuses : « J’avais un client qui n’a pas obtenu son visa pour vivre à Miami« , raconte par exemple Me Richard Freeman « De plus, pendant son séjour à Miami, il s’est marié avec une française (qui n’avait non plus de visa), mais il n’a jamais obtenu son divorce d’avec sa première femme en France ! Il n’avait pas le droit de rester à Miami, mais il ne voulait pas rentrer en France. C’était… très compliqué.«
En conclusion, il n’est donc pas en l’état possible de dire qu’un exode massif de Français est en cours vers les USA ou plus précisément la Floride, mais en tout cas la situation commence à de plus en plus inquiéter.
Gwendal GAUTHIER
“50% des Français souhaitent partir !”
Lu dans le Figaro du 15 novembre : « Selon un sondage, Toluna Quicksurveys* pour Economiematin.fr, près de 50% de nos concitoyens seraient prêts à quitter la France pour fuir la hausse du chômage, la pression fiscale, la croissance en berne, bref la situation économique inquiétante de la France. Cette possibilité de partir devrait se réaliser dans un futur proche. Plus de 21 % des personnes interrogées pourraient s’envoler vers de meilleurs cieux dans les 3 mois à venir, 25 % dans les six mois, 20 % dans les 12 mois, 8 % dans les deux ans et 9 % dans les 5 ans à venir. Le plus tôt serait donc le mieux pour une bonne partie d’entre eux, le temps de régler les affaires courantes. » Bien entendu, les USA et le Canada sont en tête des pays où aimeraient émigrer les Français.
Florent Pagny : “Je ne suis plus Français”
Le nouvel album de Florent Pagny (51 ans) est sorti le 4 novembre dernier. Lors d’une interview croisée avec son producteur (Calogero) pour le journal Le Parisien du même jour, Florent Pagny – qui est peut-être le plus célèbre français de Miami – répond sans ambages ni faux semblants au journaliste au sujet de la taxe à 75% au-dessus du million d’euros de gains : « Oublie. Moi, j’ai la carte verte, je ne suis plus français (NDLR : il vit la plupart du temps à Miami). Mais, si je me mets à gagner plus d’un million ici, je serai taxé. On pénalise les mecs qui sont productifs. C’est la plus grosse connerie que l’on puisse inventer. Dans ces cas-là, tu fais tout pour être moins productif, pour gagner moins d’argent. Des tas de gens ont voté pour lui. Et, maintenant, ils vont faire la gueule quand ils n’auront pas leur match de foot. » Et sur ses précédentes déclarations au sujet des impôts : « Je ne peux pas regretter. Sur les impôts, j’étais précurseur. Aujourd’hui, presque tout le monde me rejoint. » Le coach de The Voice s’était exilé pendant une dizaine d’années en Patagonie, avant d’arriver à Miami avec femme et enfants.
Miami : des expats en colère créent “LES PIGEONS VOYAGEURS”
De toute évidence ils travaillent sous couverture (en tout cas sous pseudonymes), mais le Courrier de Floride peut confirmer qu’il s’agit bien d’une bande de trentenaires de Miami qui vient de lancer Les Pigeons Voyageurs, des employés de sociétés floridiennes (et pas d’une vengeance de Florent Pagny contre la France !). Nous avons rencontré « Nathalie » qui est à l’initiative de ces pages : http://les-pigeons-voyageurs.fr et https://www.facebook.com/pages/Les-Pigeons-Voyageurs/534180510001988
LE COURRIER DE FLORIDE : Pourquoi avoir lancé en novembre une page intitulée Les Pigeons Voyageurs ?
NATHALIE : En France un mouvement d’entrepreneurs qui s’appelle « Les Pigeons » a beaucoup fait parler de lui depuis 1 an. Il s’agit d’un sous-groupe d’entrepreneurs français qui se sont auto-proclamés « les Tondus ». Un autre, par exemple, se nomme « Les Poussins » (NDLR : ce sont des auto-entrepreneurs peu contents non plus des réformes dont ils ont été la cible). Et maintenant il y a nous, les Pigeons Voyageurs.
LE CDF : Quel est le rapport entre ces volatiles et les expatriés ?
NATHALIE : En ce moment, en France, les expatriés sont tout autant des boucs émissaires que les chefs d’entreprise. Le gouvernement – dès son installation – s’est empressé de rendre l’école payante pour les expats. Il pouvait y avoir des raisons à cette disposition, mais en tout cas on s’est un peu senti visés. Mais c’est avec l’affaire Depardieu que les choses sont devenues graves. En France les médias se sont alors mis à réaliser des dossiers et des dizaines de reportages sur les exilés fiscaux, et c’est aujourd’hui bien souvent l’image que les métropolitains ont des expatriés.
LE CDF : Ces exilés fiscaux existent néanmoins… ?
NATHALIE : Il y a deux sortes d’exilés fiscaux : d’une part ceux qui dissimulent leur fortune en Suisse ou à Néchin. Certes, ils existent, mais ils sont une petite minorité des deux millions d’expatriés français. Ensuite, il y a un grand nombre d’exilés fiscaux dont les médias et les politiques ne parlent jamais, mais qui sont majoritaires : les retraités pauvres qui n’ont plus les moyens de payer leurs impôts en France et de tout simplement vivre convenablement sur leur retraite. Ils partent alors au Maghreb, en Espagne, ou dans le sud du Portugal, pour pouvoir continuer à vivre dignement. Il y a aussi des chefs d’entreprises qui délocalisent leur petite boîte pour ne pas mettre la clef sous la porte. Il y a aussi tous les jeunes qui souhaitent créer une entreprise mais qui savent qu’ils ne pourront pas la démarrer en France à cause du fisc. Ils sont tout autant des exilés fiscaux. Alors, ce n’est pas à nous les expats de dire s’ils ont raison ou pas de quitter la France pour ces raisons-là… mais ce que je nous nous savons, c’est que ces centaines de milliers de Français qui s’en vont, ne le font pas pour cacher des lingots : ils partent souvent sous la contrainte, qu’elle soit fiscale ou autre, car il y a aussi d’autres raisons.
LE CDF : Vous êtes donc un mouvement d’opposition ?
NATHALIE : Nous nous opposons simplement à la caricature qu’on donne des expatriés, et nous pensons que le gouvernement devrait les aider plutôt que de les laisser accuser. Nous avons des expatriés de gauche comme de droite avec nous, mais tous en ont ras le bol de l’ambiance actuelle.
LE CDF : Pensez-vous, comme le dit le député des Français d’Amérique du Nord, qu’il y a un « exode de 3000 Français chaque mois à Miami » ?
NATHALIE : Je ne veux pas parler au nom du député mais beaucoup de Français viennent ici avec un visa de tourisme et prennent tous les renseignements possibles pour émigrer en Floride. Souvent ils se cassent les dents sur l’obtention de leur visa. Mais c’est vrai que beaucoup tentent de venir et beaucoup arrivent à s’installer ici, à en voir le nombre de commerces qui surfent sur la “touche française” … Néanmoins je ne sais pas combien sont ces nouveaux expatriés.
LE CDF : Quels genre d’actions entendez-vous entreprendre avec les Pigeons Voyageurs ?
NATHALIE : Pour le moment nous allons essayer de faire gonfler le plus possible le groupe Facebook afin de faire de la sensibilisation. Si ce n’est pas suffisant, alors nous verrons bien ce que nous pouvons faire !