Attentats de Paris : la presse américaine critique la France
La compassion a certes dominé les débats après les attentats parisiens, mais pas seulement. Entre analyses stupides, et tentatives de réflexions plus sérieuses, voici un petit tour d’horizon intéressant de ce que les médias américains pouvaient dire de la France…
Il y a eu d’abord les commentaires à chaud des chaînes de télévision qui ont souvent fait dans l’approximation. « L’expert » de Fox News a beaucoup fait parler de lui, par exemple, en exhibant une carte de Paris avec de nombreuses « zones interdites » (« no-go zones ») dessinées dessus en plein cœur de la capitale. Il s’est excusé, mais le maire de Paris, Anne Hidalgo, a précisé qu’elle déposerait tout de même une plainte contre Fox New. Autre exemple, CBS a parlé de « l’arrestation du leader musulman Dieudonné ». L’ambassadeur de France à Washington, Gérard Araud, a dégainé son arme favorite (Twitter) pour tenter de calmer les choses : «J’aime ces experts autoproclamés qui parlent d’un pays imaginaire qu’ils appellent la France. Des histoires à dormir debout.» Ou encore : «La phrase que je préfère ? « La France devrait abandonner sa politique gaulliste raciste ». Comme nous disons en France: « Les bras m’en tombent ».» https://twitter.com/gerardaraud
LES ANALYSES
Mais par delà les inexactitudes ou exagérations de médias traitant l’info « dans l’urgence », d’autres (dans la presse écrite par exemple) ont tenté de passer au stade de l’analyse.
« La France et le reste de l’Europe occidentale n’ont jamais confronté honnêtement les questions soulevées par l’immigration musulmane », assure par exemple Christopher Caldwell dans le Wall Street Journal. « Le problème de la France comprend des éléments de menace militaire, un conflit religieux et un violent mouvement pour les droits civiques », assure-t-il en introduction d’une très longue analyse. « La France, comme l’Europe de façon plus générale, a fait preuve de négligence pendant des décennies. Elle n’a pas vu que les pays libres sont faits pour des peuples assez forts pour les défendre. (…) Il peut sembler dur de critiquer les Français pendant leur période de deuil, mais ils répondent (à cette crise NDLR) par des outils qui les ont fait échouer lors des crises précédentes. »
http://www.wsj.com/articles/europe-immigration-and-islam-europes-crisis-of-faith-1421450060
“LES DEUX CRISES”
En écho à Caldwell, William Kristol a de son côté titré son éditorial du Weekly Standard « Les deux crises ». Pour lui, il y a bien une crise de l’islam à laquelle s’ajoute une faiblesse de l’Occident. Il commence par justifier le premier point en citant le discours du 1er janvier du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi. qui a appelé à une « révolution religieuse » : « Nous devons réfléchir à ce à quoi nous sommes confrontés « , a ainsi déclaré Sissi. « Il est inconcevable que la pensée que nous tenons pour la plus sacrée doive causer à tout le monde islamique une source d’inquiétude, de danger, de mort, et la destruction du reste du monde. Impossible. » Et Kristol de commenter : « Nous sommes confrontés à une crise de l’Islam. Nous devons être lucide à ce sujet. Mais nous sommes également confrontés à une crise de l’Occident. » Cette analyse est assez nouvelle de la part des néo-conservateurs américains. Les nombreuses manifestations de violences dans les pays musulmans après la sortie du nouveau Charlie Hebdo confortant malheureusement cette opinion.
http://www.weeklystandard.com/articles/two-crises_823383.html
Le « Wall Street » publie aussi le témoignage de Catherine Bolgar, journaliste américaine à Paris : « Une autre chose qui pèse sur moi ce soir est le grand écart entre les populations immigrées très dévouées à la religion, notamment l’Islam, contre l’approche blasée des français, non seulement par rapport à la religion, mais aussi envers la plupart des institutions. »
“SUBJECTIVITE COLONIALE”
A l’opposé, les analystes politiques de The New Republic mettent la France en accusation pour d’autres raisons (et dans plusieurs articles) : « Les bienfaits de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ne devraient plus être prodigués uniquement aux quelques chanceux qui arrivent à vivre dans les bons quartiers », assène ainsi Donald Morrison. Son confrère James McAuley va même beaucoup plus loin (trop loin de toute évidence), et ce dès le titre de son article : « Il y a un modèle avec lequel la France devrait traiter ses Musulmans. C’est la manière dont elle traite ses Juifs. » Extrait : « La République française, bastion d’une abstraction de la liberté d’expression et de parole, a délibérément exclu les voix musulmanes – et d’autres indigénats – du discours public : Ce silence est allé de pair avec une subjectivité coloniale qui a persisté jusque dans la métropole. À la suite de l’attaque de la semaine dernière, une réalité amère est que ces mêmes voix historiquement marginalisées ont été forcées à déclarer leur allégeance – à travers l’application de la laïcité – à une République qui a longtemps effacé leurs capacités d’autonomie et a désormais sacralisé l’humiliation publique de leur religion. Nous sommes tous Charlie, après tout. »
La France des Lumières, de la gastronomie et des boutiques de luxe est de facto loin du tableau dressé par les médias américains en ce mois de janvier 2015. Dans le New-York Times du 15 janvier on peut lire : « Dans les banlieues qui entourent les grandes villes de France, ces appels à l’unité n’ont guère pénétré le sentiment d’isolement, et même de siège, qui a laissé des villes comme celle-ci (Vaulx-en-Velin, NDLR) vivre une existence parallèle au reste du pays. « Je suis Français, et je me sens français », déclare Nabil Souidi, 23 ans, «mais ici, il est interdit de dire : « Je suis Charlie » se référant au cri de ralliement de solidarité depuis l’attaque du journal. »
http://www.nytimes.com/2015/01/15/world/europe/crisis-in-france-is-seen-as-sign-of-chronic-ills.html
“C’est en France que le sort de l’europe pourraît être décidé”
Le New-York Times laisse tout de même filtrer une bonne nouvelle, sous la plume de Ross Douthat, qui assure que la France va avoir un rôle central dans les années à venir. « Non, l’âge du Roi Soleil n’est pas sur le point de revenir. Mais politiquement, culturellement, même intellectuellement, les événements en France au cours du prochain demi-siècle pourraient avoir plus d’importance qu’à tout autre moment depuis la veille des deux guerres mondiales. En effet, plus que l’Allemagne, la Grèce, la Grande-Bretagne ou tout autre acteur, c’est en France que le sort de l’Europe du 21e siècle pourrait finalement être décidé », dit-il avant de parler… du “défi de l’intégration des Musulmans » et des enjeux démographiques en Europe. « Le déclin de la France a été réel, mais l’avenir n’est pas écrit », conclut-il.
http://www.nytimes.com/2015/01/11/opinion/sunday/ross-douthat-france-the-crucible-of-europe.html?_r=0
En synthèse, les médias US sont donc beaucoup sur la ligne du “choc des civilisations” que leurs confrères européens.
Lorsque la crise économique de 2007 a éclaté, un grand nombre d’économistes ont alors déclaré, « on l’avait prévu, on vous l’avait bien dit ». Le choc créé, cette fois, par les attentats de Paris a lui aussi suscité des « urgences éditoriales » : beaucoup ont besoin de comprendre, de parler… ils sont même payés pour cela. Mais la liberté d’expression et celle de la presse n’est-elle pas à ce prix ? Il n’y a d’ailleurs pas que des idioties à avoir été écrites aux Etats-Unis.
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