French Connection : 35 ans de mafia franco-américaine
« French Connection », tout le monde a entendu parler de cette histoire de mafia, et même vu quelques films (comme celui avec Gene Hackman) qui romancent un peu ce sombre épisode des relations transatlantiques. La sortie du film « La French » avec Jean Dujardin permet de revenir en détail sur cette « connexion maffieuse » unique dans l’histoire.
La France a possédé durant le XXème siècle – grâce à son empire colonial – un accès privilégié à l’opium. Les premiers laboratoires clandestins de transformation de l’opium sont nés à Marseille, dans les années 1930, près d’un port où les marchandises en provenance d’Asie arrivaient chaque jour en grand quantité. A l’époque, dans la cité phocéenne, le parrain de la pègre était Corse, et il s’appelait Paul Carbone. Ce trafic-là était toutefois très limité, balbutiant, débutant. Ce n’est qu’à partir de 1946 qu’il prendra son essor.
LA MAFIA MARSEILLAISE
Bien avant, Paul Carbone avait accepté de laisser un bout de territoire marseillais aux frères Antoine et Mémé Guérini, eux aussi de jeunes Corses qui avaient fait leurs preuves, et qui s’occupent surtout des « filles ». Arrive la guerre, puis l’occupation. Paul Carbone décide de collaborer avec Vichy puis avec les Allemands. Mais Marseille est l’une des villes les plus incontrôlables de France : les Résistants y sont très nombreux. Les frères Guérini ont plus de flair que Carbone : ils s’allient pour leur part avec les résistants socialistes, au nombre desquels figure un certain Gaston Defferre. Le choix est bon : Defferre devient maire de Marseille dès la fin de la guerre (et il restera à ce poste jusqu’à sa mort en 1986).
LA MAFIA AMERICAINE
A New-York, pendant ce temps-là, avant guerre, Lucky Luciano et Meyer Lansky ont brisé toutes les règles : ils ont allié leurs mafias sicilienne et juive – « Cosa Nostra » et « Kosher Nostra » – et ont éliminé leur rivaux afin de dominer le « marché ». Avec succès. Luciano est rapidement condamné à 50 ans prison, mais il continue de diriger les affaires derrière les barreaux. Quelques années plus tard, alors que le débarquement de Sicile se prépare, les services secrets américains lui demandent son aide. Luciano obtempère et fait jouer ses réseaux afin d’aider à la libération de l’Europe. Lucky est chanceux, lui aussi joue une bonne carte : à la fin de la guerre, en échange de cette intervention, il sera libéré de prison… mais tout de même expulsé des Etats-Unis, vers la Sicile (dont de nombreuses villes ont été confiées à la mafia par les libérateurs).
D’abord séparés par des barreaux, Lucky Luciano et Meyer Lansky ont désormais un océan entre eux. Mais ils ne se sont jamais trahis. Lansky avait depuis longtemps établis de très bons contact avec le dictateur cubain Battista. Il avait même déménagé en Floride où il avait aussi investi dans les casinos de la Magic City. Cuba n’avait pas pu servir à la mafia durant la guerre (à cause des restrictions sur les voyages) mais dès la fin des hostilités, l’île offrait désormais à Luciano et Meyer une base arrière, un havre pacifique où ils étaient totalement protégés. Meyer y ouvre aussi des casinos, et en décembre 1946, Luciano et Meyer se retrouvent à Cuba avec leurs lieutenants. Une deuxième réunion s’en est suivie, baptisée par la presse américaine « le congrès de la Havane », où les deux parrains ont convoqué tout ce que les Etats-Unis comptaient de barons de la pègre (dont Vito Genovese), et leur ont réparti le marché en « franchises ». Pendant que Franck Sinatra assurait la partie musicale de cet événement, les parrains s’étaient fixés un objectif ambitieux : vendre de l’héroïne aux Etats-Unis. La police ayant opéré sa première saisie d’héroïne en provenance de Cuba dès le début de 1947, cela souligne la vitesse d’organisation que peut avoir la « pieuvre ». La Floride devient ainsi la porte d’entrée de la drogue pour le territoire américain. Lors du congrès de La Havane, le maffieux de Tampa, Santo Trafficante Jr, a d’ailleurs été chargé d’organiser les passes d’héroïne depuis Cuba. Le trafic fonctionne bien, mais les quantités à disposition de Luciano ne sont pas très importantes.
LA « CONNEXION »
En 1947, le port de Marseille devient l’un des premiers points de crispation de la Guerre Froide. Les Américains en ont fait le centre vital de la reconstruction de l’Europe via le Plan Marshall, auquel le leader soviétique Joseph Staline est opposé. Or le stratégique port de Marseille est tenu par les dockers communistes de la CGT. Un nouveau syndicat, non-communiste, y est alors créé, tenu par un Corse. Les frères Guérini mettent leurs réseaux à contribution et s’allient à ce nouveau syndicat pour casser les grèves communistes. Il y aura de nombreux blessés, et un mort. Les communistes attaquent en retour les établissements de plaisir de la ville.
La CIA ferme les yeux sur les trafics à Marseille, en Sicile et à Cuba, moins importants pour elle que les enjeux de la guerre froide, et c’est ainsi que la connexion s’effectue. Luciano va pouvoir profiter du port de Marseille, et 80% de l’héroïne arrivant aux Etats-Unis vient alors de France. En 1959, les communistes prennent le pouvoir à Cuba. Meyer Lansky revient alors habiter à Miami (où il est mort d’un cancer en 1983 sans jamais avoir été condamné). Mais des Corses installés à New-York avaient déjà organisé de nouvelles portes d’entrée de la « came » aux Etats-Unis. Les enquêteurs les surnomment « L’Union Corse », qui comprendra 17 « familles ». La Floride n’est plus vraiment au centre du trafic, et Santo Trafficante a d’ailleurs préféré commencer à y travailler avec les latinos. Comme les Etats-Unis donnent l’asile politique à tous les Cubains, Fidel Castro en profite : il vide ses prisons de tous les criminels et trafiquants qui terminent en Floride où ils écriront à la poudre blanche une histoire moins glorieuse que leurs prédécesseurs (mais ceci est une autre histoire, celle du film « Scarface »).
Lucky Luciano est mort d’une crise cardiaque en Sicile en 1962 (il a été enterré à New-York) ; Antoine Guérini a été assassiné en 1964 et Mémé est mort de mort naturelle en 1982.
Après la phase de mise en place du trafic par leurs soins, la French Connection va se poursuivre avec leurs successeurs. Les années 1960 sont florissantes, et les années 1970 offrent des perspectives meilleures encore : la jeunesse américaine veut goûter aux drogues, tant les hippies que les fans de rock. Pour la petite info, des Suisses ont aussi fait partie de cette French Connection, avec plusieurs interpellations dans les années 1960, dont un faux bossu, Willy Lambert, arrêté en 1969 à Miami avec 12 kilos d’héroïne dans sa bosse !
En 1970 il y aurait eu 49 tonnes d’héroïne à entrer sur le territoire US, et 14100 Américains en sont morts cette année-là.
Le gouvernement Nixon s’en inquiète, décrète la toxicomanie « ennemi public n°1 » et accuse alors le gouvernement français de « laxisme » face au trafic. Jusqu’alors, la France fermait aussi les yeux sur une drogue qui ne faisaient que transiter par ses ports. Mais le « vieux continent » est désormais aussi touché par la drogue. En février 1972, six laboratoires clandestins sont démantelés à Marseille. En 1974, les Siciliens réimplantent directement ces laboratoires chez eux. Mais les trafiquants ne désertent pas Marseille pour autant, et la ville est toujours considérée comme la capitale mondiale de l’héroïne.
« LA FRENCH »
C’est à ce moment-là que prend place l’histoire racontée dans le film La French avec Jean Dujardin. Depuis 1970, un ancien du clan Guérini, Gaëtan Zampa, a pris leur succession. En 1977, le juge Pierre Michel (incarné par Dujardin) doit remplacer temporairement un de ses collègues qui s’occupe du Grand Banditisme à Marseille. Durant 4 ans, le juge Michel aura des résultats spectaculaires dans sa lutte contre la French Connexion, arrêtant de nombreux trafiquants, avec des méthodes parfois nouvelles (certainement très exagérées dans le film, mais quand même très innovantes). Le 21 octobre 1981 à 12h49, Pierre Michel rentre déjeuner chez lui. Une moto rouge l’y attend. Un homme la conduit. Son passager abat le juge de 3 balles de 9mm. Le conducteur, François Checci, est sorti de prison en septembre 2014, et le tireur, Charles Altiéri, a été libéré en octobre. Leurs commanditaires auraient évidemment été liés à la French Connection. En tout cas, et si le juge Michel y a laissé sa peau, il aura au moins mis un terme à « La French » et à la mafia marseillaise (même si d’autres sortes de banditismes ont depuis lors pris le relais) mais en tout cas cette connexion mafieuse entre l’Europe et les Etats-Unis, via la Sicile était terminée. Gaëtan Zampa fut l’un des tous derniers parrains, et il s’est pendu dans sa prison en août 1984, sans qu’il n’ait été possible d’affirmer qu’il était officiellement le commanditaire du meurtre du juge Michel.
– Pour en savoir plus sur l’histoire du Juge Michel, vous pouvez acheter La mort du juge Michel: Contre-enquête sur l’assassinat d’un incorruptible, de Thierry Colombié aux Editions De La Martinière. Site internet – Bande-annonce du livre.
LE FILM « LA FRENCH »
Marseille, 1975. Pierre Michel (Jean Dujardin) est un jeune magistrat arrivant de Metz avec sa famille. D’abord aux Stupéfiants, il est ensuite nommé juge du grand banditisme, et il est déterminé à s’attaquer à la French Connection. Malgré l’avis de son entourage, le juge Michel part tout seul dans une croisade antidrogue lutter contre Gaëtan Zampa, parrain intouchable du « milieu ». Le film réalisé par Cédric Jimenez a coûté 17 millions d’euros, un beau budget pour un polar français, et il a été bien accueilli par la critique. Moins par la famille du juge Pierre Michel car, personne ne l’avait caché, La French est une interprétation très libre de la vie de Pierre Michel. Jean Dujardin est comme souvent totalement crédible, et Pierre Lellouche est un parfait Gaëtan Zampa : on s’y croirait, et La French est sans nul doute un bon film populaire. Une sortie est envisagée sur les écrans américains, probablement vers la fin mars.
D’autres films ont été tournés auparavant sur ce thème, et en 1971, « The French Connection » (sorti au Québec sous le nom « La Filière Française ») a gagné l’Oscar du meilleur film, et quatre autres Oscar, dont celui du meilleur interprète masculin pour Gene Hackman. L’essentiel du film se passait à New-York dans les années 1960 et il est resté célèbre entre autre pour sa course poursuite en Pontiac LeMans dans Brooklyn (et ses vues incroyables du New-York de l’époque). Les acteurs français y étaient des seconds rôles. Une suite a été réalisée : « French Connexion 2 » en 1975, (l’année où le juge Michel était nommé à Marseille) avec cette fois au côté de Gene Hackman des comédiens comme : Bernard Fresson, Philippe Léotard ou Jean-Pierre Castaldi. Auparavant (juste après le fameux« Congrès de la Havane » et alors que Meyer Lansky habite entre Miami et Cuba), les gangsters en Floride inspirèrent aussi le grand John Huston qui met face à eux Lauren Bacall et Humphrey Bogart dans le film Key Largo sorti sur les écrans dès 1948.
Antoine Guérini a été assassiné en 1967 et non pas en 1964…
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