Les médias sont-ils des criminels ? Le grand divorce entre citoyens et médias
Aux Etats-Unis plus qu’ailleurs, plus les mois passent et plus les mass médias perdent d’estime et de crédibilité chez les lecteurs. Facebook est à son tour fortement critiqué pour faciliter la propagation de « Fake News ».
L’éditorial du Courrier de Floride
Donald Trump s’est adressé directement à la foule lors d’un meeting à Orlando en février, financé sur les fonds de sa campagne électorale de… 2020 !! A cette occasion, il a qualifié les médias « d’ennemis des Etats-Unis« . La semaine suivante, la Maison-Blanche a organisé un point presse en omettant d’inviter CNN et le New-York Times. On savait la guerre ouverte, mais la tendance ne fait que s’accentuer. Trump est le premier président occidental a avoir été élu en se passant de la bienveillance des médias. Ma conviction personnelle est que, en s’éloignant beaucoup trop de leur neutralité, ces médias l’ont même grandement aidé a être élu, et sans même s’en rendre compte, car une large majorité des Américains ne croient plus en ce que les journalistes leurs disent ; les enquêtes d’opinion le confirment à chaque fois. En France, le score (qu’il soit victorieux ou pas) de Marine Le Pen aux Présidentielles du mois d’avril confirmera que cette tendance n’est pas qu’américaine, même si les médias semblent un peu moins hostiles que par le passé envers la présidente du Front National (ils ont peut-être eu le temps de s’y habituer, contrairement à Trump !)
D’OU VIENT CE DIVORCE CITOYENS/MEDIAS
Il s’agit sans nulle doute d’une conséquence tardive de l’apparition d’internet… pour le meilleur et pour le pire. Que des candidats aux élections puissent faire passer un message direct à la population grâce à Twitter ou Facebook, qui peut s’en plaindre ? C’est plutôt un bienfait quand on peut voir la vacuité des sujets abordés durant la campagne électorale américaine, puis aujourd’hui en France où tout est centré sur des scandales plus ou moins judiciaires et bon nombre de sujets gadgets. Que des candidats veuillent (et puissent) faire passer des idées en direct est plutôt un bienfait : internet, c’est pour le meilleur. Mais aussi pour le pire. Outre les « théories du complot » – souvent ignobles – et cette grande liberté de propagation d’idées haineuses qui existe depuis la création de la « toile », depuis quelques temps se sont renforcées les « fake news », propagées notamment via les réseaux sociaux, Facebook en tête. Sous cette appellation générique de « fake news » est regroupée à la fois les articles mensongers, les faux articles (humoristiques ou pas), et les « appels aux clics » : des titres racoleurs et souvent sous forme interrogative destinés à vous faire cliquer depuis un réseau social sur une publication (1)… et en fait à peu près tout, puisque M. Trump et ses partisans qualifient aussi de « fake news » les médias les plus importants des Etats-Unis.
LE PROBLEME FACEBOOK
Le problème est si vaste que, le 11 février dernier, Tim Cook (PDG d’Apple) a déclaré : « Les fake news détruisent le cerveau des gens« . Facebook est au centre de la diffusion de ces fausses informations, et le mélange qu’on trouve entre vrais médias et sites internet pourris sur le réseau social, crée une grande confusion.
La réduction des recettes publicitaires des médias traditionnels au profit du même Facebook est un problème à mettre en parallèle : si au final le seul mass media a gagner de l’argent s’appelle Facebook… il ne faudra pas s’étonner de l’appauvrissement de l’information, car Facebook… n’en crée aucune.
L’HEURE DE LA RIPOSTE
Ciblé de toute part, le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, a été obligé de réagir en février. Beaucoup lui reprochaient même d’être le responsable de l’élection de Trump en permettant la diffusion « d’infos erronées ». Le problème est important pour Zuckerberg, car si Facebook devient « Fakebook », alors ses revenus publicitaires risquent de redescendre aussi vite qu’ils sont montés. D’un autre côté, il ne souhaite pas être accusé de « censure » : ça ferait mauvais genre dans la Silicon Valley. Alors il a décidé de ne pas supprimer les fake news, mais il demande en revanche l’aide des internautes pour les identifier. Ceci va être compliqué : un article hostile ou favorable à Donald Trump risque ainsi, par exemple, d’être dénoncé comme « fake » en quelques minutes par des dizaines de millions de personnes.
Un grand nombre de médias traditionnels s’inquiète ainsi en ce moment de ces dérives internautiques, avec un même dilemme : celui de ne pas sombrer dans la dénonciation de leurs confrères (y compris sur le web) ou dans la demande de censure. Depuis quelques mois ou années, beaucoup ont ouvert des catégories de « fact checks » : de vérification des faits, aussi bien concernant les déclarations des hommes politiques que des « légendes urbaines » circulant sur la toile. Parfois certains vont plus loin, comme le site internet du Monde qui a lancé le mois dernier un « Decodex » afin de donner une note de fiabilité aux sites internet. Mais la perte de crédibilité touche l’ensemble des médias, y compris Le Monde, avec l’acceptation croissante du concept de « Post Vérité ».
LA « POST-VERITE » ENTRE DANS LE DICTIONNAIRE
« Post Vérité » a été élu « mot de l’année 2016 » par le dictionnaire Oxford. Le concept existe depuis deux décennies, mais il s’est propagé l’an passé durant l’élection présidentielle américaine, souvent accolé au nom de « Donald Trump ». Commençons par la définition : une « post-vérité » n’est pas tout à fait un mensonge, mais une information destinée à faire plaisir à ses interlocuteurs. Ce sont au départ les « spin-doctors » entourant les hommes politiques qui ont été accusés de les propager. Ceux-là obligeraient ainsi les politiciens à ne dire uniquement… ce que les gens veulent entendre, au détriment de la vérité, et au profit des bons sentiments ; d’un abus de sentimentalisme. Quand Colin Powell brandit une fiole d’eau à l’ONU afin de faciliter la déclaration de guerre contre l’Irak (en faisant croire qu’il a en main une « arme de destruction massive »), on assiste ainsi à une exagération d’une vérité qui arrange tout le monde aux Etats-Unis (trouver un ennemi pour se venger du 11 septembre). Néanmoins, la « post-vérité » serait surtout une pratique moins spectaculaire, orientant les politiques vers des catalogues de bons sentiments : tout le monde est d’accord avec la libéralisation du cannabis (qu’importe les avis médicaux), alors beaucoup d’élus la promettent. Et les mêmes élus font aussi des campagnes de lutte contre la tabagie. Ils n’oublient pas non plus de mettre en haut de leurs programmes électoraux des actions fortes pour réduire les accidents de la route. Qui est contre ? Personne. Où est le mensonge ? Nulle part. Juste… dans l’oubli des millions de mesures nécessaires au bon fonctionnement d’un pays (mais faisant moins l’unanimité du corps électoral).
La particularité de Donald Trump est d’avoir déployé des post-vérités sur des thèmes qui, pour leur part, ne font pas l’unanimité, s’éloignent du « politiquement correct », mais qui ont été suffisamment populaires pour lui donner une majorité. Avec en tête de gondole le concept de « mur ». « Il coûtera cher et il ne servira à rien ce mur », on dit les mass médias. Et ils avaient raison. Mais ce qui intéressait Trump et ses électeurs, c’était le symbole, l’émotion, la promesse d’actions constructives, et pas seulement l’érection d’un mur. Donald Trump n’en était pas à son coup d’essai : chacun se souvient de sa campagne assurant que Barack Obama n’était « pas Américain ». Ils sont encore nombreux à le croire aujourd’hui.
Mais Trump est l’enfant des pratiques politiques qui l’ont précédé, et qui lui ont grandement facilité la tâche. Les « post vérités », il en a d’ailleurs lui-même été victime durant la campagne électorale, apparaissant subitement (par exemple) trois semaines avant l’élection, comme un « violeur » aux yeux de millions d’américains manipulés, et ce durant une dizaine de jours. Il s’agissait bien évidemment d’une exploitation (avec mensonges ajoutés) de quelques unes de ses plaisanteries douteuses, afin d’en faire une « post-vérité » : une vérité qui arrange ceux qui y croient.
J’ai déjà noté dans certains éditoriaux du Courrier que les médias occidentaux, y compris européens, ont également fait œuvre de post-vérités à son encontre. Les principaux journaux français, par exemple (Le Monde et Le Figaro en tête, mais pas seulement), ont publié des articles et reportages sur les électeurs racistes de Trump, ou ceux membres du Ku Klux Klan etc… Mensonge ? Pas du tout, c’est une vérité. Mais c’est surtout une « post vérité » de limiter une majorité d’Américains à cette catégorie ultra-marginale de l’électorat Trump.
Que ce soit des « fake news », des « théories du complot », des « post-vérités », et qu’elles sortent aussi bien de la bouche d’hommes et femmes politiques de droite comme de gauche, ou sous la plume des médias papier, télé ou internet, on arrive à un même résultat : d’une part un relativisme et un scepticisme de la part de citoyens se désintéressant de plus en plus de la politique et de l’information. On peut les comprendre, mieux vaut être sceptique que manipulé. Et d’autre part une ignorance politique croissante. Que des manifestants se promènent au lendemain d’une élection avec des pancartes « not my president » (aussi bien contre François Hollande que contre Barack Obama ou Donald Trump) pouvait paraître à prime abord comme de juvéniles et sympathiques provocations. Mais vu l’ampleur des manifestations, il faut noter le désarroi de ces personnes ne comprenant plus du tout ce qu’à voulu dire la majorité qui vient légitimement d’exprimer par les urnes un avis contraire au leur. La révolution du paysage médiatique depuis une vingtaine d’années devrait certainement être un peu plus réfléchie, sinon la catastrophe va s’accentuer. Et les médias ne seront pas les seuls « criminels ».
(1) Rappelons que les médias traditionnels s’interdisent généralement la forme interrogative (sauf dans les éditoriaux, d’où le titre de cette page !). Les médias sont censés être là non pas pour vous poser des questions dans leurs articles, mais pour vous informer. Quand vous voyez un titre du genre « Mais que s’est-il passé dans les rues de Miami hier soir ? », nous vous conseillons de fuir le « média » en question : ça n’en est pas un.
REPARLONS DE ZUCKERBERG
Le génial inventeur de Facebook a aussi, dans le même temps, publié un manifeste pour rendre son réseau social plus « civique », et avec un nouveau système de filtres de l’information. Les articles de presse locale seraient désormais soumis à l’élection des internautes. Qui lui donnerait tort ? Mais Zuckerberg, par ailleurs champion de la propagation de fake news, s’arroge ainsi le droit de réformer – à sa guise et selon ses lubies – la manière dont la planète entière consomme désormais de l’information. On peut déjà lui apprendre quelque chose : avec son système de mise au vote des articles, les plus populaires sur Facebook seront ceux consacrés au sport et à la prostitution à Manille.
Comme le dit la journaliste Adrienne Lafrance en conclusion de son article dans The Atlantic : « Zuckerberg ne veut pas que Facebook tue le journalisme tel que nous le connaissons. Vraiment, vraiment, il ne le souhaite pas. Mais ça ne veut pas dire qu’il ne va pas le faire. » Quand les médias traditionnels mettent en avant la politique, ou encore les travaux des institutions et associations, ce n’est pas pour faire plaisir au plus grand nombre de lecteurs. C’est par civisme. Avant de vouloir l’enseigner aux autres ce civisme, Zuckerberg pourrait peut-être retourner l’apprendre sur les bancs de l’université. Mais, qu’est-ce que vous voulez, le « manifeste » de Mark Zuckerberg a déjà reçu 91000 « likes », et pas un seul « grrrr » (la nouvelle icône « j’aime pas »). Ca valide sa théorie. Lors des élections en Union Soviétique, les décisions de la dictature totalitaire étaient plébiscitées par 98% de la population. Avec Zuckerberg… c’est 100%.
www.facebook.com/notes/mark-zuckerberg/building-global-community/10154544292806634
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