La francophonie a-t-elle un avenir dans l’ère numérique ?
« La francophonie dans l’ère numérique », c’était le thème d’une conférence passionnante donnée le 22 mars à l’université FIU de Miami à son initiative et celle des consulats de France, Canada et Haïti de la même ville de Miami, dans le cadre du « Mois de la Francophonie ». La langue française est-elle adaptée à la révolution numérique ? Voici des éléments de réponse !
Le consul de France, Clément Leclerc, a en introduction présenté les faits et enjeux de la francophonie, en notant par exemple que le français est la 3ème langue la plus parlée de la planète dans le monde des affaires, après l’anglais et le mandarin ; et qui atteint aussi le même niveau d’utilisation par exemple dans les achats sur un site internet comme Amazon. Rassemblant près de 300 millions de locuteurs, la francophonie atteindra même les 700 millions de personnes d’ici 2050, faisant alors basculer l’épicentre de la langue française sur le continent africain.
PHOTO : Clément Leclerc, Gandy Thomas, Peter Machonis, Géraldine Blattner et Jessica Fievre.
Le français est-il compatible avec le numérique ? Oui !
Sur les sites internet, les réseaux sociaux ou les plateformes marchandes, le français s’est immédiatement fait une place importante. Il est cependant évident qu’il n’est pas aussi performant que l’anglais. Pour Peter Machonis (professeur de linguistique française à FiU) le français est effectivement une langue très appréciée, mais moins utilisée. Géraldine Blattner (professeure associée de linguistique et de français à la FAU), précise que, peut-être, la rigidité du français, soumis à une régulation importante de l’Académie française ou de l’Office de La Langue Française, la rend moins malléable pour le grand public sur internet, et culpabiliserait des politiciens francophones qui, à la manière d’un Donald Trump sur Twitter, voudraient l’employer sur les réseaux sociaux. Les politiciens anglo-saxons semblent en effet avoir moins de complexes à réduire, adapter… ou charcuter leur propre langue.
Effectivement, d’une part un français assez décomplexé est utilisé sur les réseaux sociaux (personne ne semble plus avoir peur de faire des fautes linguistiques ou d’orthographe), mais de l’autre, tout ce qui est officiel (articles de presse ou publications de personnalités) est au contraire soumis à une vérification assez contraignante des « gardiens du temple » de la francophonie qui font des remontrances à la moindre incartade d’avec la « pureté » linguistique. « Et aujourd’hui la principale manière par laquelle les étudiants de Miami s’informent étant Twitter, il est plus facile de leur conseiller d’utiliser ces plateformes à meilleur escient, plutôt que de leur dire d’aller lire des articles du Monde qui pourraient les démoraliser« , commente Géraldine Blattner. Il faudra donc suivre les évolutions de la langue avec attention !
La francophonie dans les pays multilingues
Impossible de passer outre sur ce sujet épineux, quand une conférence se déroule (comme celle-ci) en Amérique du Nord, vu que d’importantes questions se posent sur le maintien ou le rayonnement de la langue française, aussi bien dans les provinces francophones du Canada, qu’en Haïti ou en Floride. Outre qu’il soit nécessaire pour chacun de continuer d’une manière ou d’une autre à pratiquer son français, « si on ne veut pas le perdre« , Jessica Fievre, (directrice de publication de Sliver of Stone Magazine), a appuyé sur le fait qu’internet donne justement accès à une grande offre de publications et de réseaux sociaux en langue française, et qu’il faut les promouvoir. Pour le cas particulier de l’anglicisation en Haïti, un « journaliste » canadien (qui nous a demandé de retirer son nom de cet article deux ans après sa publication !!!!!!!!!!) a répondu à un étudiant de FiU qu’il faudrait certainement faire la même chose là-bas qu’au Québec où a été créé l’Office de la Langue Française.
Dans les régions américaines évoquées, nous sommes certes loin de la « défrancisation » qu’a subi la Louisiane depuis un demi-siècle, mais les craintes sont toujours bien présentes.
Le numérique est-il compatible avec le français ? Ca se discute !
Comme indiqué plus haut, la langue française se débrouille très bien sur internet, mais elle est tout de même moins performante que l’anglais en ce début « d’ère numérique », et certains pensent que ça pourrait être pour des raisons purement linguistiques. Mais le « journaliste canadien anonyme » pointe du doigt un autre problème qui inquiète – entre autres – sa profession de journaliste : celle des structures mêmes du numérique. Si le français est adapté au numérique… le numérique est-il adapté au français ? Dans leur quasi totalité, les structures du numérique émanent d’entreprises privées, « comme Google, qui avec Google Actualités puise dans nos médias traditionnels, et vendent de la publicité« , explique-t-il. En effet, où Google paie-t-il ses impôts ? Combien Google Actualités salarie-t-il de journalistes ? Zéro. « La francophonie ne dispose pas de la masse critique de lecteurs sur internet pour concurrencer ce genre de réseaux. C’est pourquoi les gouvernements doivent prendre des mesures, notamment vis-à-vis de ces sociétés qui recueillent des infos dans leurs pays, mais n’y payent pas d’impôts (ou bien sont domiciliées dans des paradis fiscaux). C’est la seule manière de sauver notre situation dans beaucoup de pays francophones et de faire en sorte que des médias puissent retrouver une rentabilité en utilisant la langue française.«
Présent dans le public, Gwendal Gauthier (Le Courrier de Floride) confirme que le pillage est un problème pour les médias (si toutefois la planète tient à continuer d’avoir des informations vérifiées, et pas uniquement des « fake news »), mais il précise que de son point de vue ce n’est pas uniquement le problème des médias, mais de « tous les biens culturels« . « La langue française est un vecteur important dans l’ère numérique, qui transporte de l’amitié, de l’information, de la culture et du commerce. Mais ce vecteur circule entre des plateformes (Windows, IOS…) qui n’émanent pas de pays francophones, et sur des réseaux qui ne le sont pas plus (Amazon, Yahoo, Facebook, Google, Youtube, iTunes etc etc…).«
Effectivement, il suffit par exemple de regarder le nombre de films francophones à disposition sur Netflix aux Etats-Unis pour voir que la transmission des productions culturelles francophones y sont le parent pauvre… En revanche, il semble qu’il leur soit beaucoup plus facile d’exporter des films hollywoodiens vers les pays francophones. L’exportation des productions culturelles de toutes les nations francophones passe ainsi par des réseaux, certes « franco-friendly », mais jusqu’à un certain point. Comme le précisait Sinotte, d’une part « la masse critique » n’est pas francophone, et de l’autre les monstres de l’internet ne se bousculent pas pour payer le plus d’impôts possibles à Montréal, à Paris ou à Port-au-Prince (c’est le moins qu’on puisse dire) et ainsi contribuer aussi bien à la production locale culturelle que médiatique.
Présent également lors de cette conférence, Gandy Thomas (Consul Général d’Haïti à Miami) pense qu’il faut se doter de « moyens de masse ». Effectivement, la « régulation d’internet » étant très difficile à envisager, d’une part la lutte contre les pilleurs semble une priorité, mais d’autre part, pour les pays francophones, le challenge de pouvoir créer ou susciter des structures numériques capables d’aller défier celles nées aux Etats-Unis, pour envisager de se faire un peu plus de place, en français, au soleil de l’ère numérique.
Le français et le numérique… parlons-en !
L’éditorial du Courrier de Floride
Sur l’utilisation de la langue française, je ne serai pas le premier à en parler, mais laissez-moi tout de même me joindre au cœur de protestations contre deux très ridicules manifestations récentes de déphasage linguistique ; tout d’abord le slogan de candidature de la Ville de Paris pour les Jeux Olympiques de 2024, « Made for Sharing » (!!!), mais aussi quant au discours prononcé en anglais, en Allemagne (!!!), par l’un des principaux candidats à l’élection présidentielle française, Emmanuel Macron. Quelle que soit la dimension (petite ou grande) qu’on prête à ces deux problèmes… ils n’en demeurent pas moins symptomatiques.
L’élection présidentielle française constitue justement le bon moment pour vérifier si les différents candidats ont pris conscience de la révolution numérique qui s’est emparée de la planète ; de savoir s’ils ont prévu quelque chose, ou bien s’ils comptent continuer de la regarder passer comme si la France (et les autres pays francophones) ne pouvaient rien y faire, à part applaudir les performances de Mark Zuckerberg et de Larry Page. Ne perdez pas de temps à regarder les programmes des candidats… c’est un désastre !
En 2011, Olivier Poivre d’Arvor avait publié un livre intitulé « Bug Made in France : L’histoire d’une capitulation culturelle. » Le résumé : « Et si, dans les années qui viennent, l’hégémonie américaine en matière de technologie culturelle, au sens le plus large du terme, allait placer la France, pourtant assurée d’une certaine forme de supériorité et d’avance dans le champ intellectuel comme artistique, au rang de puissance mineure ? De pays dominé, confiné à la muséification de ses richesses, résigné à un acte de capitulation culturelle et linguistique inédit dans son histoire ? Car le retard français est patent et sans espoir de rattrapage face au monopole américain et à la concentration commerciale. Non seulement les États-Unis possèdent et maîtrisent les outils du «hardware» et du «software» mais ils contrôlent Internet et ont inventé tous les nouveaux outils de la connaissance moderne : Google, Facebook, Wikipedia, Amazon, iTunes, Yahoo, YouTube, Twitter… La véritable révolution culturelle, celle de l’accès, de la participation du public à l’édification du savoir, a été gagnée par le Nouveau Monde. Notre «logiciel», fondé sur la vieille Encyclopédie et son pouvoir de «prescription», est à l’évidence hors d’usage. »
Qu’est-ce qui a changé en 6 ans depuis la publication de ce livre ? Rien. (A part qu’Amazon te le vend toujours pour 12,20€.) Pour la révolution du nucléaire civil et militaire, il y a quelques décennies, on n’avait pas mis longtemps à copier les autres grandes nations, et à ne dépendre de personne. Pour le lancement de satellites dans l’espace non plus. Mais, cette fois, pour la maîtrise de nos moyens de communication, d’information et de nos productions culturelles… là, en revanche, personne ne semble pressé.. ni même vraiment intéressé ! L’enjeu de ne me semble pourtant pas moindre…
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