« Fake News » pendant l’ouragan : merci Facebook !
L’ouragan Irma a été de nouveau l’occasion d’une recrudescence de fausses nouvelles diffusées sur les réseaux sociaux, en particulier sur Facebook.
Il y a eu les fausses alertes ou informations erronées circulant au sujet de l’ouragan en Floride (que nous évoquons par ailleurs) aux – bien plus graves – rumeurs concernant l’état des lieux sur l’île de Saint-Martin (Antilles). Avec ou sans Facebook, la panique aurait gagné l’île, puisqu’une très grande partie des bâtiments y ont été détruits, laissant les habitants hagards. Et puis, les rumeurs, c’est quelque chose qui existe depuis l’aube des temps aux Antilles. Mais la démultiplication via Facebook de fausses informations a pris des proportions invraisemblables, à un moment où les populations des îles étaient désemparées, sans moyen de communication.
– « Les Blancs ont été évacués en premier » : faux. Ce sont les touristes qui ont été évacués en premier.
– Plus de 1000 morts : faux (11 morts et 7 disparus).
– Les morts flottant dans les mares : faux.
– Les morts cachés dans un supermarché (pas plus vrai).
– Les prisonniers évadés de la prison de Saint Marteen : faux.
– Les « chasses aux blancs » dans les rues de Saint-Martin : faux. Il y a eu des pillages de « survie », par des personnes qui n’avaient pas de quoi se nourrir. Et il y a malheureusement eu aussi des pillages de pure délinquance. Mais finalement peu d’altercations (1).
Le fait que des sites internet marginaux inventent ces informations est un petit problème en soi. Le gros problème, c’est leur diffusion sur les réseaux sociaux. Peu importe que la source soit crédible ou pas, plus la « fake news » est énorme, et plus elle va se répandre à grande vitesse sur Facebook. Et le temps que les victimes, les gouvernements ou les médias sérieux, arrivent à vérifier et contredire les fausses nouvelles en question… trop tard, le mal est déjà fait.
CA POURRAIT ETRE PIRE A L’AVENIR
On a pu voir des entreprises technologiques arriver à créer de toute pièce un discours de Barack Obama. Qu’adviendrait-il si, à la veille d’une élection, un discours scandaleux était ainsi inventé à un candidat, puis posté sur Facebook ? Le mal serait irréparable.
Les législations devront donc évoluer dans tous les pays du monde, mais ça ne se fera pas sans mal. Fin juin, l’Allemagne a par exemple voté une loi imposant des amendes pouvant monter à 59 millions de dollars en cas de diffusion de « contenu illégal » sur internet. « Les fausses nouvelles sont une menace pour notre culture du débat », avait prévenu en janvier le ministre de la Justice. Mais, par « contenu illégal », le législateur allemand entend « les discours de haine, la pornographie et la propagande diffamatoire », c’est à dire des contenus interdits d’exposition depuis toujours. Donc pas grand chose de nouveau sous le soleil de la porte de Brandebourg. Car il est très difficile, aussi bien pour les parlementaires que pour les réseaux sociaux, d’établir des règles contre les « fake news ». Il n’est pas illégal de mentir en société, à partir du moment où ces mensonges n’entraînent pas des conséquences criminelles ou délinquantes. Il en est donc de même sur les réseaux sociaux : Pourquoi Madame Untel, qui a répercuté 300 fois sur Facebook une alerte ouragan (alors qu’il n’y en avait pas) serait-elle inquiétée par la justice ?
FACEBOOK FAVORISE DE FACTO LES FAKE NEWS
Facebook, plus grand pourvoyeur de « fake news » du monde, mais aussi l’un des pionniers de l’internet libre, n’a pu que constater cette nouvelle loi allemande avec résignation. « Nous ne sommes pas confortables avec ça » a déclaré son vice-président en Europe, Richard Allan. Et on le comprend : en Allemagne, c’est désormais à Facebook de définir, et le plus vite possible, ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas ; renforçant encore un peu plus son rôle de nouveau « Dieu » de l’information, et rompant avec la neutralité que tente de s’imposer le réseau social depuis sa création. Mark Zuckerberg lui-même (le créateur du réseau), a admis que le public avait le droit de s’inquiéter du déversement de « fake news » sur Facebook, mais que « identifier la ‘vérité’ est quelque chose de compliqué ». Effectivement, il y a maints gouvernements et religions qui s’y sont essayés avant lui !
D’expérience, il est aussi possible d’affirmer que les « fake news », tout comme les « trash news » (les articles idiots ou vulgaires), se diffusent bien plus vite et largement sur Facebook que les informations vérifiées (qui sont souvent moins sensationnelles que les fake news). En conséquence il est non seulement permis aujourd’hui d’affirmer que Facebook est le principal vecteur de fake news, et que c’est problématique, mais qu’en plus il leur permet d’avoir plus de visibilité que les articles des médias qui vérifient leurs informations. Comme dit par ailleurs, il n’est pas possible de nier que Facebook a aussi permis de créer des groupes d’entraide et de solidarité à cette occasion.
– 1 – Nous ne souhaitons en rien contester le caractère dramatique et inadmissible des pillages qui se sont produits à Saint-Martin, mais juste rappeler la réalité, après avoir pris connaissance des réponses apportées par le service public, et en avoir discuté avec les journalistes des Antilles. Voici ce que déclarait à nos collègues de France-Antilles le procureur de la République de Basse-Terre, Samuel Finielz, une semaine après le passage d’Irma sur Saint-Martin : « Le bilan actuel de la délinquance, c’est qu’aucun crime n’a été signalé aux services de gendarmerie depuis le passage du cyclone. Cela signifie qu’il n’y a pas eu de viols, de meurtres ou de tentatives de meurtre. En revanche, je peux confirmer qu’il y a eu des tirs d’arme à feu, dans le cadre de l’autodéfense. Ces tirs ont été commis par des personnes présentes sur des barrages, installés à l’entrée de quartiers ou de résidence. Et surtout, il s’est agi à chaque fois de tirs en l’air, afin de faire fuir des rôdeurs. (…) Ce matin, un journaliste m’a appelé, au même titre qu’un avocat d’ici, pour me dire qu’il y avait 300 corps qui avaient été découverts dans un container. C’est faux! »
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