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Histoire d’une confinée à New-York City

Charlotte Jimenez, professeur de français à New York
Par Charlotte Jimenez, professeur de français à New York. www.frenchwithcharlotte.com

Ce long épisode du « confinement » aura été une si étrange et longue expérience, parfois angoissante. Mais nulle par ailleurs qu’à New-York City l’hiver 2020 n’aura été aussi rude. Une française raconte son expérience :
7 heures, le réveil sonne dans mon petit appartement à New York. Réveiller ma fille de 5 ans, la faire déjeuner, l’habiller en évitant toute situation conflictuelle du type “pas un pantalon, je ressemble à un garçon”, “je veux ces sandales à paillettes”, et j’en passe. Démêler ses cheveux, plus les cris et les pleurs qui s’en suivent. Nous voilà fin prêtes, comme d’habitude à toute vitesse, parce qu’être en avance ne fait pas (encore) partie de mon vocabulaire.


Nous voici dans le train. Au programme: jeu de Barbies, devinettes, révision de “flashcards”. À seulement 7h45 du matin, j’ai déjà l’impression qu’il est midi. Descendre à l’arrêt de l’école. Curieusement, le train est moins bondé que les jours précédents. Je me prends même à penser que les gens de nos jours et dans cette société sont vraiment paranos et hypocondriaques. On descend les quelques blocs qui nous séparent de la station et de son école de l’Upper West Side, un quartier résidentiel de Manhattan avec beaucoup d’intellectuels. Un bisou de bonne journée, et je pars en direction de l’Alliance Française où mes élèves m’attendent. Une de mes étudiantes m’annonce que quand même elle va éviter de prendre les transports publics pendant une ou deux semaines, histoire de ne pas mettre en danger ses parents si jamais elle attrape la bête. Sage décision Susannah, je comprends. Moi-même je commence à envisager de ne pas envoyer ma fille à l’école pendant une semaine même si je ne sais pas bien pourquoi. Quelques emails plus tard, je découvre que mon boulot décide de fermer ses portes pendant deux semaines “pour commencer”.
Sur ce, pensive, je vais chercher ma fille, et là, l’alarme “mauvaise mère” sonne dans ma tête, bip-bip-bip: seulement dix enfants étaient en classe aujourd’hui. Donc d’après mes calculs, environ 60% des mamans sont des mamans protectrices et responsables, ce qui me laisse dans les 40% restantes. Pas très rassurant.


Allez, c’est décidé, Mélissa la semaine prochaine tu restes avec maman à la maison, ça laissera le temps de désinfecter les écoles, les rues, mon travail, et d’ici une ou deux semaines, ce “Corona je ne sais quoi” sera parti. Bon, on fait quand même le détour chez mon étudiante pour son cours particulier, on appelle Mamie pour lui souhaiter son anniversaire, on passe par la librairie “Barnes and Noble” pour lire quelques “Fancy Nancy”, et on prend le train Uptown direction la maison. “Encore des gens avec un masque!” R I D I C U L E. Les gens croient que le virus circulent là devant nous, quels ignorants!
Le lendemain, Monsieur De Blasio (le maire de la ville), en collaboration avec le Gouverneur Andrew Cuomo, annonce la fermeture des écoles pour une durée d’un mois “pour commencer”. Non mais un mois, c’est pas un peu beaucoup? Si on s’y met à plusieurs, on peut désinfecter l’école en deux temps trois mouvements.


Bon, prenons les choses du bon côté. Ma fille est fatiguée, elle s’endort tous les jours dans le métro en allant et revenant à l’école (alors qu’elle est plutôt du genre hyperactive). L’hiver new yorkais n’est pas rude cette année, mais s’il faut rester à la maison quelques temps, mieux vaut que ce soit en hiver, et qu’on soit débarrassés au printemps. C’est super, moi qui ai toujours rêvé de lui faire du “homeschooling”: éducation centrée sur l’enfant, apprentissage à son rythme, pas de trajets, pas de “mauvaises” fréquentations. Je vais pouvoir m’entraîner un peu. D’ailleurs, je suis prof, alors quoi de plus logique et de plus naturel que de faire l’école à la maison pour MA fille? Alors ça commence, on se connecte à la plateforme “Edmodo” où les gentilles maîtresses laissent le travail. Fastoche, les doigts dans le nez Charlotte, tu vas y arriver, c’est de ton domaine de compétences, tu vas t’éclater avec ta fille!” Autant dire que les premiers jours se passent comme sur des roulettes: jongler entre le travail à préparer, se connecter aux “live” avec les enseignants. Ah mais j’avais oublié, il faut aussi manger, se loger, se vêtir. Zut! Le travail, j’avais oublié ce détail. Et c’est là que mon “cauchemar” a commencé: “maman, sur quel bouton je dois appuyer”, “maman, je dois lire le livre sur Epic”, “maman, faut faire le travail que la maîtresse elle a mis”, “maman, j’ai faim”, “maman, j’ai soif”, “maman je peux regarder la télé”, “maman viens avec moi aux toilettes, j’ai peur”, tout ça avec mes élèves devant moi sur mon écran d’ordinateur. Je dois donc gérer une petite fille de 5 ans, mes étudiants (de 2 à 99 ans) et examiner la priorité à chaque moment. Dieu merci, mon ordinateur se laisse porter facilement, et se transporter de pièce en pièce. Je peux donc accompagner ma chère petite tête blonde (je rigole, elle est plus brune que blonde!) devant les toilettes, tout en continuant d’expliquer les règles d’accord du passé composé. Moi qui me faisais l’effet d’être une bonne mère parce que chez moi, les écrans étaient limités au strict minimum, c’est-à-dire quelques heures de Netflix par semaine, pas d’ipad, pas de téléphone ni de jeux vidéo, et bien autant vous dire que mes efforts faits pendant cinq ans ont été ravagés par ce fichu corona. D’ailleurs pendant ses cours, je l’ai prise en flagrant délit plusieurs fois: envoi d’émojis à ses camarades de classe, visionnage sur Youtube du dernier clip de Taylor Swift, envoi de messages à mes contacts Whatsapp, et j’en passe. Par contre, on a bien développé le langage non verbal: le regard désapprobateur qui veut dire “arrête ça tout de suite!”, le pouce qui veut dire “ok” ou plutôt “tant que tu me laisses tranquille ok”, la tape sur la jambe (la mienne, on se calme!) pour dire “éteins cet écran tout de suite”. Un seul regard suffit pour se comprendre maintenant.


Alors par contre dans les magasins, mon accent franchouillard filtré avec le masque devient apparemment incompréhensible: “One Diet Coke please” “OK, one ice cream”, “No, one Diet Coke”, et bon là c’est le moment où je dois choisir entre baisser mon masque pour recevoir le bon article, ou bien avoir un paquet surprise. Normalement, j’opte pour l’option numéro un même si je me fais assez fréquemment fusiller du regard par la vendeuse en face. Ben quoi, “excuse my French!”
L’hiver est passé, le printemps a filé à toute vitesse, et l’été s’est installé comme personne ne l’aurait imaginé. Tous les new yorkais sont masqués, et on essaye d’ailleurs de mettre sa touche personnelle dans son masque. Tout le monde utilisait au début des masques chirurgicaux (moi y compris), en pensant “allez que quelques semaines”, et on peut voir maintenant une majorité de la population avec des masques en tissu. Des masques Mickey Mouse pour les enfants, roses pour les filles, et j’en passe. C’est d’ailleurs devenu un vrai business la vente de masques, je devrais peut-être m’y mettre… New York est une ville très chaude et très humide en été, on transpire toute la journée, donc le port du masque est un vrai calvaire: impression d’étouffement, de chaleur décuplée, et pire: est-ce qu’on va tous se retrouver avec la marque du masque au lieu de la marque du maillot de bain à la fin de l’été? Les piscines et les plages sont fermées, donc probablement…

Charlotte Jimenez

www.frenchwithcharlotte.com



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