Il y a 200 ans : l’incroyable dernier voyage de Lafayette durant 13 mois aux Etats-Unis
De nos jours, aux Etats-Unis 600 lieux ont déjà été nommés en l’honneur de La Fayette : une montagne, sept comtés et quarante localités (sans compter les statues, les véhicules militaires etc). Chaque 4 juillet, l’ambassade des Etats-Unis à Paris fait fleurir la tombe du héros. Cet héritage du héros de la Guerre d’Indépendance, cette mémoire, ont été accentués par la formidable « tournée » réalisée par Lafayette aux USA en 1824.
« Des centaines d’événements prévus pour le bicentenaire de Lafayette aux Etats-Unis »
« Gilles César » : Il faudrait quinze numéros de notre journal pour décrire les exploits américains et européens de l’illustre Gilbert du Motier, marquis de La Fayette, autrement connu (depuis la révolution française) sous le nom de « Lafayette ». Gilles César, ce sarcasme de Mirabeau décrit bien le monument international qu’est devenu le marquis en 1824 alors qu’il s’embarque pour un dernier voyage vers l’Amérique.
Quarante-sept ans plus tôt, en avril 1777, il n’avait que 17 ans quand, convaincu par Benjamin Franklin, il s’était pour la première fois embarqué pour l’Amérique, afin d’aider le général Washington a conquérir l’indépendance des Etats-Unis. Ayant quitté l’armée française, Lafayette fut immédiatement nommé Major Général de l’armée continentale. Par delà ses exploits militaires américains, il fut aussi celui qui arriva à convaincre le roi Louis XVI d’envoyer armée et finances afin d’aider les Américains à repousser les tuniques rouges vers l’Angleterre (et le Canada). Car, il faut bien distinguer : durant la Révolution américaine Lafayette était dans l’armée américaine, pas dans l’armée française, qui est arrivée par la suite, grâce à Lafayette, et qui était pour sa part dirigée par le général Rochambeau. Lafayette fut alors un peu l’émissaire entre les deux, les Américains et les Français.
Le marquis était connu pour avoir beaucoup de défauts, mais il avait indéniablement la trempe des héros, et il avait d’ailleurs été blessé dès sa première bataille américaine, à Brandywine. Il ne fut pas le seul héros français de cette guerre américaine, mais pour plusieurs raisons, il en était le plus « médiatique ».
Et ainsi, un demi-siècle plus tard, en 1824, Lafayette était devenu « le dernier général en vie » de la formidable armée continentale américaine : Washington et tous les autres étaient décédés. Le jeune âge de Lafayette lors de son engagement explique qu’il ait survécu à ses pairs.
Alors, le 13 juillet 1824, le personnage de 66 ans qui s’embarque sur le port du Havre – avec son fils Georges Washington de La Fayette – à destination de New-York, est pour les Américains qui l’ont invité à peu près aussi illustre que Louis XVI ou Napoléon, et en tout cas beaucoup plus célèbre ici que le pape (par exemple). Le voyage des Lafayette devait durer trois mois et au final il en faudra 14 pour que le général visite les 24 Etats où on le demande : 182 villes, le long de 9600 kilomètres parcourus à cheval ou en diligence et bateaux de toutes sortes !!! C’est un triomphe incommensurable. Mais il n’a pas été invité uniquement parce qu’il était le dernier général vivant. Ce voyage arrangeait tout le monde, aussi bien Lafayette qui n’était pas en odeur de sainteté vis-à-vis du pouvoir royal français (Louis XVIII), mais pour les Etats-Unis aussi il était sage de raviver l’héritage libertaire des Lumières. Le Congrès avait en effet un fort doute sur les intentions pacifiques des couronnes européennes vis-à-vis des Amériques : il n’était pas certain qu’elles n’essaieraient pas d’y reconquérir les territoires perdus après les révolutions.
Avec Lafayette, la petite histoire n’est jamais loin de la grande. A cette époque-là il était veuf, mais il avait prévu de traverser l’Atlantique avec sa maîtresse, la militante socialiste britannique Fanny Wright (38 ans plus jeune que lui) et la sœur de cette dernière. Mais la famille du marquis s’y est opposé. Fanny Wright a donc embarqué sur un autre navire. Ce qui n’a pas changé grand chose : elle a été très souvent présente avec lui lors de cette tournée. Suite à cette épopée de 1824-25, elle d’ailleurs est restée habiter aux Etats-Unis.
Le lendemain de son arrivée sur le sol américain, entouré de très nombreuses personnalités, Lafayette est transporté en bateau à Battery Park, l’extrémité sud de Manhattan (New-York), où 50 000 personnes se pressent pour voir le héros, sans compter tous ceux qui agitent des mouchoirs blancs à leurs fenêtres : la foule crie et pleure sur son trajet jusqu’à la mairie. Ce n’est pas son habitude, mais pourtant Lafayette confessera avoir aussi croulé sous l’émotion. Les compagnons de batailles sont évidemment là ; tous les survivants qui ont pu se déplacer. Les autres le rencontreront plus tard lors de son voyage, accompagné partout de cris et de canonnades pour célébrer « le héros des deux mondes ».
– Tu te rappelles qui a démarré l’attaque à Brandywine », demande l’un ?
– C’était Maxwell avec les troupes de Jersey, répond Lafayette
– J’étais avec sa brigade, précise l’homme qui se fait applaudir !
A l’automne, le général entrepris une tournée des Etats du Nord et de l’Est. Bien évidemment il visita durant son périple la tombe de George Washington et sa famille, et fut accueilli à la Maison Blanche par le président James Monroe. Il fut aussi reçu par trois ex-présidents : John Adams, Thomas Jefferson et James Madison. Les géants étaient là pour se rencontrer, et il ne pouvait bien évidemment passer à côté de la présence de Joseph Bonaparte, ex-roi de Naples et ex-roi d’Espagne (et frère de l’autre), réfugié à Philadelphie après la défaite de Waterloo.
En octobre à Yorktown, il reconnait et embrasse James Armistead Lafayette, un homme de couleur, ancien espion, qui avait adopté comme nom de famille celui du Marquis !
Le 10 décembre 1824, Lafayette s’adresse au Congrès, qui lui alloue la somme de 200000$ et des terrains près de Tallahassee en Floride : une aubaine vu les finances de Lafayette !
Il passa l’hiver dans la région de Washington avant de débuter en février 1825 son voyage vers le sud. Partout la même ferveur l’attendait, et les échanges de souvenirs avec les anciens de la Révolution. Dans les territoires proches du fleuve Mississippi, les descendants de Français lui rendent tous les honneurs, de Mobile à La Nouvelle-Orléans. Au nombre des millions d’anecdotes on évoquera l’Alabama où il visita la Société Coloniale de la Vigne et de l’Olivier. Elle avait été fondée sept ans plus tôt par des officiers de l’Empereur Napoléon 1er ayant fuit la France où la monarchie avait été restaurée. Environ 200 militaires s’étaient ici lancés dans l’agriculture sur des terres encore vierges, et dont ils découvriront plus tard qu’elles étaient peu propices à leurs projets. Quoi qu’il en soit, les villes de Démopolis, Aigleville ou encore Arcola avaient poussé par là, autant de symboles qui seront regroupées dans un comté qui s’appelle aujourd’hui encore « Marengo », nom d’une bataille italienne de l’Aiglon, Bonaparte, (comme la bataille du Pont d’Arcole).
Le retour de Lafayette ? Il faudra attendre les premiers shows d’Elvis Presley pour voir un « US Tour » américain d’une telle ampleur ! Les anecdotes sont innombrables sur cette tournée d’adieu du général, et elles sont rédigées par Auguste Levasseur, le secrétaire de Lafayette, qui l’accompagne depuis Le Havre. Le 1er mars 1825, l’équipée s’était arrêtée à Fayetteville (Caroline du Nord), la seule ville du trajet à porter son nom. Peut-être aurait-il voulu faire un minuscule détour par la grande Lafayette de Louisiane… s’il avait su que 59 ans plus tard elle s’appellerait ainsi ! Mais pour le moment elle se nommait Vermilionville. Ceci dit, le comté où se trouve Vermilionville venait déjà d’être renommé « Lafayette County » quand le marquis est passé juste à côté. En tout cas le sud (très francophile et gagné aux idées des Lumières) adore à ce moment-là ce symbole de l’Union. Trente-six ans plus tard, pourtant, le Sud oubliera les beaux souvenirs et voudra se séparer de l’Union, avec le début de la Guerre de Sécession.
Le 29 mars, Lafayette va visiter la tribu des Creeks dans le centre de la Géorgie.
Arrivé à Nashville le 4 mai, là comme ailleurs des milliers de personnes l’acclament, un bal est donné en son honneur, et il rencontrera de nouveau le général Andrew Jackson, le futur président, cette fois à son domicile de The Hermitage.
Le 8 mai, l’équipe de la « tournée Lafayette » quitte Nash’ et monte à bord du bateau à vapeur Mechanic à destination de Louisville (Kentucky). Lafayette se dit très étonné auprès de Levasseur que le navire aille si vite sur la rivière Ohio alors que l’obscurité est tombée. Vers minuit le Mechanic s’échoue sur un banc de sable dans l’Indiana et il commence à couler ! Lafayette prend place à bord d’une chaloupe avec huit autres personnes, mais arrivé sur la berge, il n’y trouve pas son fils ! Lafayette retourne alors au bateau dont quasiment seul le toit est désormais visible, avec les rescapés et son fils dressés dessus. De retour sur la berge, ils allumeront des feux pour se sécher, dormiront là, et seront récupérés le lendemain par un autre navire passant par hasard sur l’Ohio. Devinez comment s’appelle aujourd’hui l’endroit où ils ont dormi ? Lafayette Spring !
On aura bien le temps d’évoquer d’autres anecdotes durant ces treize mois de bicentenaire, mais voilà, après le Kentucky, Lafayette est remonté fin mai 1825 en Pennsylvanie, et il a passé cet été-là dans le nord. Le voyage et les rencontres continuent, quasiment tous les jours. Le 26 juillet il est de nouveau sur le champ de bataille de Brandywine, lieu de sa première blessure. Fin août il retourne encore à Mount Vernon, chez le regretté George Washington. Il revient enfin dans la capitale américaine le jour de son 68e anniversaire, le 6 septembre 1825. Il s’adresse alors de nouveau au Congrès, puis va dîner à la Maison Blanche avec le nouveau président américain, John Quincy Adams. Le lendemain, Lafayette prononce un discours d’adieu plein d’émotion à la Maison Blanche. Il monte à bord d’une frégate militaire américaine, et pas n’importe laquelle, puisque son nom est « Brandywine . Elle l’emmène jusqu’en France. Lafayette ne reviendra plus en Amérique et décèdera neuf ans plus tard dans son autre pays, la France, en 1834.
Ce voyage n’était pas que du tourisme, de la commémoration ou de l’amitié. Les spécialistes des écrits de Levasseur notent que son récit relate un point de vue très critique de Lafayette, par exemple vis à vis de l’esclavage et de la condition des tribus « indiennes ». C’est toujours l’esprit libéral qui se dégage sur son passage et la poursuite des rêves de révolutions du XVIIIe siècle : des grandes idées et épopées qui seront remémorées en 2024 et 2025.
« Des centaines d’événements prévus pour le bicentenaire de Lafayette aux Etats-Unis »
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