Le Trumpisme est-il un post-libéralisme ?
Il y a libéralisme et libéralisme !
Précisions pour les jeunes qui ne connaissent pas les définitions : aux Etats-Unis quand on parle d’un « liberal », c’est généralement pour définir quelqu’un qui est très à gauche, « progressiste » ou « socialiste ». Mais dans les pays francophones, ce n’est pas le cas. « Libéral » y est employé dans un sens économique et dans un sens sociétal. Au niveau économique un libéral est favorable au libre marché, qui doit, pour eux, être le moins possible régulé par les gouvernements. Au niveau sociétal, un « libéral » est favorable au plus grand nombre de libertés possibles pour les individus.
Dans l’article qui suit, quand on parle de libéral (ou de « post-libéral »), c’est au sens francophone : on parle d’une philosophie de personnes plus ou moins favorables aux libertés économiques et individuelles dans la société.
Depuis 2015 beaucoup ont cherché à définir le Trumpisme et souvent avec difficulté. A peu près tout le monde sera toutefois d’accord sur l’emploi du mot « nationalisme », un nationalisme qui est idéologiquement assez léger par rapport à ce qu’on a pu connaître en Europe, par exemple. Cette légèreté est tant vraie qu’on avait jusqu’à présent bien du mal à trouver beaucoup de contenu idéologique dans ce nationalisme. Durant le premier mandat de Trump, son ex-conseiller Steve Bannon était à peu près seul à promettre qu’il allait donner du fond, de la substance, à ce mouvement. Mais on n’avait pas vu grand chose arriver jusqu’à maintenant.
A défaut, comme chacun a pu le constater, il y a eu d’autres qualificatifs pour le Trumpisme : « fasciste » pour les uns, ou bien, à l’opposé, par exemple on trouve le président argentin Milei qui salue en Trump une victoire libérale. Sans compter qu’un grand nombre d’électeurs de Trump sont de facto des libertariens.
En Europe ou au Canada, beaucoup sont persuadés que les Trumpistes sont des espèces de monstres « d’extrême droite », mais dans la réalité (beaucoup vont faire un bond, mais… c’est la réalité) : il n’y a guère plus que l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette à séparer l’idéologie des millions d’électeurs libertariens américains avec par exemple, celle des militants de la Fédération Anarchiste. Certes Les Libertariens ont une vision « nationale » (américaine) de leur libertarianisme, c’est une différence. Les Anarchistes Français objecteraient : « mais ils ne portent pas de jeans troués comme nous » ? Ben si. Et ils s’offusqueraient : « mais ils ne fument pas des pétards comme nous » ?! Ben si. En tout cas certains. (1)
Tellement de bêtises ont été écrites sur Trump et les Trumpistes dans les médias occidentaux qu’on préfère d’emblée casser les clichés. Les Trumpistes sont souvent assez libertaires : ils veulent un gouvernement le plus petit possible, avec des impôts les plus miniatures possibles, et que le Fédéral ne leur casse pas les pieds.
En parallèle, un tiers des Américains se définissent comme « Conservateurs », et ceux-là votent certes, aussi, pour Trump. Mais ce qu’ils cherchent bien souvent à « conserver », ce sont les « libertés individuelles », c’est à dire le droit des individus et/ou des Etats à décider, et pas au gouvernement fédéral. Ce n’est donc pas incompatible avec l’idéologie libertarienne.
Ensuite, les « conservateurs » peuvent être plus divisés entre d’une part ceux qui ont des inspirations religieuses, et les autres. Par exemple certains vont être défavorables à l’avortement, alors que d’autres en défendent le principe au nom des « libertés individuelles ».
Dans les faits, on a pu voir que dans certains Etats des gens votaient majoritairement pour Trump mais qu’ils votaient aussi majoritairement pour l’avortement. Contrairement à ce que pensaient les Démocrates, le fait que la Cour Suprême (à majorité trumpiste) ait annulé la loi nationale sur l’avortement, et redonné aux Etats la liberté de décider sur le sujet, n’est pas vue comme une mauvaise chose par un certain nombre d’électeurs, y compris (un certain nombre) favorables à l’avortement : c’est ce qu’a montré cette élection de novembre. Un grand nombre de libertaires trouve normal que ce soit aux électeurs de décider dans leur Etat, et pas au gouvernement fédéral d’imposer sa loi. Si tout le monde s’était habitué à vivre avec Roe V/S Wade, finalement le renvoi vers les Etats est ainsi une position qui semble être considérée comme assez « américaine ».
Autre observation par rapport aux conservateurs : si de toute évidence Trump et Vance ont des aspects conservateurs, par exemple sur le thème de l’avortement ils ont adopté une position plus modérée que les précédents candidats républicains, ou en tout cas plus « pragmatique », renvoyant la responsabilité du délai d’avortement aux Etats ; Trump ayant même a de nombreuses reprises critiqué le passage à 5 semaines du délai d’avortement en Floride comme étant trop strict. Auparavant le parti était défavorable à toute forme d’avortement.
Il faut rappeler que la pratique religieuse est en baisse constante aux USA : -12%, en tout, en vingt ans : seulement 44% des Protestants se rendent à un office chaque semaine (-4%), et même -12% pour les catholiques (seuls les Juifs (+7%) et les Musulmans (+4%) sont au contraire plus pratiquants).
De plus en plus d’Américains déclarent ne pas être affiliés à une Eglise, passant de 16% (2017) à 28% (2023). Il y a en conséquence une adaptation des politiques (y compris le Parti Républicain) au nouveau visage du conservatisme, qui est de facto un peu moins inspiré par les églises.
Sources :
- https://news.gallup.com/poll/642548/church-attendance-declined-religious-groups.aspx
- https://www.pewresearch.org/religion/2024/01/24/religious-nones-in-america-who-they-are-and-what-they-believe/#:~:text=Today%2C%20about%2028%25%20of%20U.S.,when%20asked%20about%20their%20religion.
Bien sûr, les Républicains seront toujours « trop conservateurs » pour certains citoyens, et il n’y a pas QUE des libertaires dans l’électorat trumpiste. Il y a aussi des paléo-conservateurs, des centristes, des extrémistes… c’est comme ça dans un pays où il n’y a que deux partis politiques : l’un et l’autre rassemblent des groupes aux intérêts très différents. Mais à l’heure de définir les Américains, et notamment les électeurs trumpistes, c’est à la fois un exercice assez complexe, et qui ne correspond pas, dans la réalité, aux caricatures des médias Français ou Canadiens.
C’est quoi le post-libéralisme ?
Après avoir démontré cette pluralité de l’électorat républicain, parlons du « post-libéralisme ». Il s’agit d’un concept qui émerge dans le débat politique pour désigner une réaction critique face aux limites du libéralisme classique. À la différence de ce dernier, qui valorise la liberté individuelle, les marchés libres et un rôle minimal de l’État, le post-libéralisme cherche à rééquilibrer ces priorités en intégrant des dimensions communautaires, culturelles et morales souvent délaissées par le libéralisme. Il repose sur l’idée que la primauté absolue donnée à l’individu et au marché a affaibli les structures sociales, créé des inégalités profondes, et fragilisé des valeurs partagées essentielles pour la cohésion d’une société.
Concrètement, le post-libéralisme propose une intervention plus affirmée de l’État, non pas pour contrôler, mais pour protéger ce qu’il considère comme des biens communs : la famille, la culture nationale, les institutions locales ou encore les traditions religieuses. Il peut ainsi apparaître comme une tentative de recentrage face à une mondialisation jugée excessive. Cependant, il n’est ni uniforme ni monolithique : certains courants post-libéraux insistent sur des valeurs conservatrices, d’autres sur des principes solidaires ou écologiques.
En somme, le post-libéralisme n’est pas un rejet total du libéralisme, mais une volonté de dépasser ses limites. Il invite à réfléchir à ce que signifie d’être libre dans un monde où les interdépendances économiques, sociales et culturelles sont inévitables.
Si, comme on va le voir, le nouveau Trumpisme est suspecté de « post-libéralisme » (ce qui ne va pas plaire à Javier Milei) il est à noter que ce courant d’idée est né dans la gauche britannique. Il a en effet principalement émergé au Royaume-Uni, notamment à travers les travaux d’intellectuels et de think tanks comme Blue Labour ou des auteurs tels qu’Adrian Pabst et John Milbank. Ces penseurs critiquent les excès du néolibéralisme et du progressisme individualiste tout en prônant une approche axée sur les valeurs communautaires, les responsabilités sociales, et une réaffirmation des identités locales ou nationales. Mais le terme est également lié à des débats politiques au sein du Parti conservateur britannique, où certains membres cherchent à réconcilier une politique économique plus interventionniste avec des valeurs conservatrices, dans une tentative de répondre aux fractures sociales et culturelles exacerbées par la mondialisation.
Trump est-il « post-libéral » ?
Certainement. Jusqu’à présent, quand il réalisait des incartades au libéralisme-roi, au globalisme, à la liberté de mouvement des biens (douanes) ou des personnes (immigration), Trump en appelait au « Bon sens ». Mais aujourd’hui, personne dans son entourage ne semble refuser cette appellation de « post-libérale ». Sur Wikipedia, aussi bien le futur vice-président (JD Vance) que le numéro 2 du gouvernement (Marco Rubio) laissent leur nom au nombre des personnalités définies comme « post-libérales » ; ce qui représente une évolution certaine pour le cas de Marco Rubio. Mais elle n’est pas si surprenante que ça quand on sait que, les deux personnes ici mentionnées (Vance et Rubio), sont des Catholiques. La notion de « bien commun » est (en théorie) pour eux supérieure à d’autres idéologies ; en tout cas si ces autres idéologies limitent le « bien commun » (2).
Alors, il n’est pas nouveau que Trump commette des entraves au libéralisme, mais ça se confirme et ça représente une réelle révolution aux Etats-Unis. Depuis Ronald Reagan et jusqu’à présent, la droite américaine avait un seul et même discours magique sur le sujet (3) : « il suffit de baisser les impôts pour que l’Amérique redevienne riche et que tous les problèmes soient réglés ». Alors, nul ne sait si le post-libéralisme aura plus de succès que le libéralisme-tout-court. Mais en tout cas depuis des décennies il devenait évident que cet adage reaganien ne fonctionne plus : les problèmes n’ont pas été magiquement réglés par le libéralisme du gouvernement Bush, et la classe moyenne américaine ne s’est pas plus enrichie sous le premier mandat de Trump. Les pauvres sont toujours pauvres, les retraités ne sont pas globalement dans une bonne situation, sans parler des déséquilibres régionaux (et cette situation économique – dramatique pour certains – ne date pas de l’élection de Joe Biden).
Ainsi, il semblerait que l’administration Trump qui sera mise en place en janvier 2025 ait d’une part la volonté libérale d’alléger l’Etat (c’est le but du nouveau « Department of Government Efficiency » commandé par Musk et Ramaswamy), mais que son équipe n’ait, en même temps, plus aucun tabou idéologique sur le libéralisme. Leur but est de « make America great again », et si le libéralisme n’y arrive pas, alors ils essayeront d’autres solutions. En réinstaurant des barrières douanières ou en promouvant la relocalisation des industries, Trump s’inscrit dans une logique de protection des emplois américains. Ce positionnement post-libéral cherche à renforcer l’autonomie économique nationale tout en réaffirmant des valeurs conservatrices qui trouvent un écho auprès d’une base électorale soucieuse de préservation culturelle. Lors des meetings de l’automne dernier, Trump a évoqué l’idée d’un programme de « patriotisme économique » visant même à favoriser les entreprises américaines dans les marchés publics, renforçant ainsi son positionnement post-libéral en matière de politique industrielle.
Notons que cet aspect du Trumpisme n’est pas isolé : il s’inscrit dans une dynamique globale où des leaders comme Viktor Orbán ou Giorgia Meloni tentent également de réconcilier souveraineté nationale et interventionnisme économique dans leurs pays respectifs (Hongrie et Italie). Cependant, la spécificité américaine réside certainement dans le poids du libertarianisme, qui rend le post-libéralisme de Trump unique en son genre.
Que Trump ait tort ou raison, le message envoyé durant la campagne électorale – celui d’un changement radical par rapport au passé (passé républicain comme démocrate) – semble avoir été une raison de son succès : les électeurs semblent moins croire aux anciennes formules magiques.
En conclusion, il est difficile de savoir si l’Amérique s’est « trouvée une nouvelle voie », ou bien si elle « continue de se chercher » mais en tout cas le trumpisme de 2025 ne sera pas celui de 2017 !
Le fait que Trump puisse être classé (à peu près à l’unanimité) dans cette appellation nouvelle n’empêchera pas les uns et les autres de lui attribuer d’autres catégories politiques qu’ils jugeront positives ou négatives, mais au moins il y a ainsi un début de compréhension objective qui peut naître de cette « grille de lecture » : en partant du postulat « post-libéral ».
On ne manquera pas de souligner le paradoxe fondamental de cette évolution : d’un côté, l’adhésion à une vision libertaire visant à limiter le rôle de l’État, et de l’autre, des politiques protectionnistes ou interventionnistes qui s’inscrivent dans une logique de réaffirmation du contrôle étatique et national.
En conséquence… il est donc bien difficile de prédire l’avenir politique américain avec certitude !
Gwendal GAUTHIER
Directeur du Courrier des Amériques
– 1 – On peut même dire que les Américains (Blancs comme Noirs) font partie des peuples les plus drogués de la planète, que ce soit à la cocaïne, au cannabis ou au (si mortel) Fentanyl (etc…).
– 2 – En effet, si beaucoup de Protestants se sont – dans l’histoire américaine – PARFOIS accommodés de la notion de « winners-losers » (et de « maîtres-esclaves »), les catholiques ont généralement une autre approche, plus « égalitariste » (à commencer par celle, disruptive, des frères Kennedy mettant un terme à la ségrégation).
– 3 – Il suffit de réécouter les débats télévisés de la primaire républicaine de 2024 pour se rendre compte que la totalité des candidats présents répétaient ce même adage (NB : Trump n’y a pas participé).
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