Etats-Unis : Quand la tech s’immisce dans le pouvoir
L’élection de Donald Trump pour un second mandat ne marque pas seulement le retour d’une administration « populiste », mais aussi une nouvelle étape dans la relation entre la Silicon Valley (1) et Washington. Après des années d’évitement mutuel, la tech s’immisce dans les arcanes du pouvoir. Si cette présence promet des innovations potentielles, elle risque également de provoquer des frictions majeures avec le mouvement MAGA (Make America Great Again). Ce choc culturel et idéologique entre les ambitions technologiques et populistes pourrait influer sur l’avenir de l’économie et des institutions américaines.
Une entrée remarquée de la tech dans l’administration
Pour la première fois dans l’histoire politique récente des États-Unis, des figures de la Silicon Valley jouent un rôle central dans l’administration. Elon Musk dirige le nouveau Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE), tandis que des personnalités comme David Sacks et Marc Andreessen conseillent la Maison-Blanche sur des sujets clés tels que la crypto-monnaie et l’intelligence artificielle (IA). Cette alliance inédite entre tech et pouvoir pourrait en théorie dynamiser l’économie américaine par des réformes innovantes et une réduction des lourdeurs administratives. En parallèle, on a vu d’autres majors de la tech nommer de nouveaux directeurs réputés plus compatibles avec le trumpisme, et même des règles subitement changer, comme par exemple le groupe META (Facebook et Instagram) qui cesse subitement (aux USA) de recourir à des organismes de « Fact checking » (contrôle de la véracité de l’information) qui, il est vrai, contrôlait surtout les Trumpistes (et beaucoup moins les bobards des autres). En tout cas, nombreux sont les médias à tirer des conséquences de cette nouvelle élection.
Toutefois, l’intégration de « tech bros » dans les rouages de l’État se heurte à une opposition interne au sein de l’équipe de Donald Trump. Le mouvement MAGA, représenté par des figures comme Stephen Miller, prône une approche protectionniste parfois en contradiction avec la vision futuriste de la tech. Alors que MAGA aspire à restaurer un passé industriel révolu (pour le moment), la tech envisage une société en perpétuel bouleversement, alimentée par des innovations rapides et des flux globaux de talents.
Conflit des visions : le choc des ambitions
Ce contraste se reflète dans des politiques clés, notamment sur l’immigration. Tandis que MAGA cherche à limiter l’immigration pour protéger les emplois locaux, la Silicon Valley défend un accès libre aux meilleurs talents, quel que soit leur pays d’origine. Ces tensions ne se limitent pas à des désaccords sur les visas : elles illustrent des divergences fondamentales sur ce que signifie « America First ».
En pratique, la dernière passe d’arme concerne les visas H1B, pour faire venir aux Etats-Unis des personnels très qualifiés. Trump voulait autrefois supprimer ce visa, et le MAGA souhaite toujours y mettre un terme. Mais, sous l’influence de Musk, Trump semble y être aujourd’hui moins hostile.
Le problème est le suivant : les Etats-Unis forment aujourd’hui bien moins d’ingénieurs de qualité que dans les années 1950. Si une réforme de l’éducation semble nécessaire pour y pallier, ça ne règle pas le problème à court terme : un besoin immédiat d’ingénieurs.
D’autant qu’une des forces commerciales des Etats-Unis, c’est précisément de donner des visas à toutes les personnes qualifiées de la planète. C’est très bon pour l’économie américaine, mais est-ce que ça l’est pour l’ensemble de ces citoyens ? Même des personnes de gauche comme Bernie Sanders s’opposent de manière virulente à cette immigration qualifiée.
Sur un autre point philosophique, le MAGA comme la tech sont souvent animés d’un esprit libertarien et d’accord pour limiter la taille de l’Etat fédéral. Mais la tech va plus loin en considérant l’État comme un obstacle à l’innovation. Ce décalage pourrait entraîner des blocages sur des réformes cruciales, notamment en matière de régulation de l’IA ou de politiques commerciales. Bien que les deux camps partagent une méfiance commune envers la Chine, leurs approches diffèrent : MAGA perçoit la Chine comme une menace commerciale, tandis que la tech voit en elle un marché et un partenaire pour la production.
La polarisation sociale et culturelle
La méfiance entre les populations qui soutiennent MAGA et les élites de la tech pourrait aggraver la polarisation sociale. Les républicains trumpistes, populistes, dénoncent déjà l’influence jugée excessive de la Silicon Valley sur la société, accusant les grandes entreprises technologiques de censure et de parti pris politique. Cette perception pourrait s’accentuer avec la présence de dirigeants tech dans l’administration, renforçant l’idée d’une connivence entre pouvoir et entreprises privées.
De plus, les valeurs progressistes associées à la tech, telles que la diversité et l’inclusivité, ne sont clairement pas semblables à certains aspects conservateurs du mouvement MAGA. Cela pourrait alimenter des conflits sur des thématiques sensibles, notamment la modération des contenus en ligne, les droits des minorités ou encore la privacité des données.
Les risques économiques et institutionnels
Sur le plan économique, la cohabitation entre la tech et le populisme pourrait entraîner des perturbations. Par exemple, une guerre commerciale plus agressive, soutenue par MAGA, pourrait entraver les activités globales des entreprises technologiques. De même, l’incapacité à résoudre les tensions internes pourrait ralentir les réformes promises, menant à une frustration généralisée.
L’ingéniosité de la Silicon Valley pourrait aussi devenir une faiblesse si ses représentants sous-estiment les complexités de la politique. Transformer des idées novatrices en réformes acceptables pour le Congrès exige une habileté politique qui fait défaut à nombre de leaders tech, davantage habitués à contourner les obstacles qu’à les négocier.
Enfin, la perception de collusion entre l’administration Trump et la Silicon Valley pourrait renforcer l’idée d’un capitalisme de connivence. Les gains financiers spectaculaires réalisés par Elon Musk depuis l’élection illustrent ce risque, alimentant les soupçons de favoritisme et de corruption.
Une opportunité de transformation
Malgré ces défis, l’arrivée de la tech dans le pouvoir n’est pas sans potentiel positif. La coopération entre les factions pourrait, dans un scénario optimiste, modérer les excès de chaque camp. Les idées technologiques pourraient étayer des réformes économiques, tandis que la base populiste de MAGA pourrait assurer une certaine adhésion populaire.
Par ailleurs, la volonté commune de déréguler et d’innover pourrait créer une dynamique favorable à la croissance. Si l’administration parvient à maintenir l’équilibre entre les exigences des marchés financiers et les priorités économiques nationales, elle pourrait poser les bases d’une économie plus compétitive.
D’un point de vue international maintenant, ça apporte aussi des nouveautés. Les leaders de la tech étaient partout considérés comme des « bienfaiteurs de l’humanité », puisque les autres pays (notamment francophones) n’ont pas les personnalités équivalentes. AUjourd’hui leur statut pourrait changer. Déjà, de super-héros de la tech, en Europe Elon Musk est en quelques semaines devenu « un politicien américain d’extrême droite qui se mêle des affaires des Européens ».
En conclusion, l’incursion de la tech dans les sphères du pouvoir sous l’administration Trump représente un pari audacieux. Ce rapprochement pourrait à la fois accentuer les divisions politiques et apporter des réformes à fort impact. Tout dépendra de la capacité des différentes factions à travailler ensemble, sans se laisser submerger par les conflits idéologiques ou les intérêts individuels. Peut-être ne faut-il pas exagérer le « choc de civilisations » entre MAGA et la Tech, mais chacun aura remarqué l’omniprésence d’Elon Musk au plus haut niveau du pouvoir, donc il va bien falloir qu’il y ait des « calages » de réalisés.
Si l’avenir économique et social des États-Unis n’est pas forcément ici en jeu, l’issue de cette expérimentation politique pourrait tout de même soit être une source de chaos… soit un moteur de transformation positive. En tout cas elle est clairement en train de redéfinir la relation entre Washington et la Silicon Valley.
Les Etats-Unis ayant une histoire marquée par le progrès technique, et une facilité d’adaptation légendaire, on peut envisager que tout ça soit finalement positif !
– 1 – On continue d’employer le terme générique de « Silicon Valley », même si la tech est désormais dispersée sur le territoire américain, de Houston à New-York en passant par Miami. La Silicon Valley a néanmoins rebondit fortement dans le secteur de l’intelligence artificielle et elle reste ainsi leader de la tech aux USA.
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