Impressions sur les droits de douanes de Donald Trump

Depuis qu’il est président, Donald Trump annonce des droits de douanes pour de multiples pays, puis les suspends, les retire, les remets : il semble que pas grand monde n’arrive à suivre ni à savoir ce que Trump souhaite.
Même chez les Républicains, on a pu sentir des frictions avec Elon Musk, Ted Cruz, Rand Paul, sans parler des néoconservateurs ou du Wall Street Journal qui s’arrachent les cheveux avec ces histoires de droits de douane.
Tout d’abord il nous semble important de noter que Donald Trump est le premier président américain depuis très longtemps à chercher par de multiples moyens à récupérer de l’argent : licenciements de fonctionnaires avec le DOGE, droits de douane, arrêt de multiples subventions, souhait d’arrêter la (chère) guerre en Ukraine et menaces sur l’OTAN si les autres pays ne financent pas un peu plus cette organisation. Auparavant, il faut remonter à Calvin Coolidge (entre 1923 et 1929) pour trouver un président si soucieux de faire autant d’économies (et dans le cas de Coolidge ça s’est terminé (quelques mois plus tard) en Grande Dépression), ou en tout cas à Ronald Reagan, même si dans une moindre mesure Bill Clinton cherchait aussi à réduire le déficit public sur la fin de son mandat (sur pression du Congrès). Pourquoi, 36 ans après Reagan, et 96 ans après Coolidge la première économie du monde ne pourrait-elle plus dépenser sans compter et imprimer de nouveaux billets verts quand il n’y en a plus assez ?
Le déficit public ? 36220 milliards de dollars ? Pourtant, lors de la campagne électorale de 2016, Trump fut le premier républicain depuis longtemps à dire qu’il n’y avait aucun intérêt à s’attaquer au déficit public. Aurait-il changé d’avis sans le dire neuf ans plus tard ? Il a donné quelques signes dans ce sens-là. Difficile d’admettre publiquement que les Etats-Unis vont dans le mur en raison de la dette et qu’il faut changer tout le système économique, sans vouloir entraîner un krach boursier ? C’est une piste possible. Une lectrice canadienne fait remarquer : « il trahit ses propres accords internationaux, il n’a aucune parole ». C’est vrai, donc, la question est : « a-t-il le choix » ?
Elon Musk a lui même souligné en février que les seuls intérêts annuels de la dette étaient désormais plus élevés que les dépenses de la Défense.
Autre brutalité économique de Donald Trump, chacun a pu voir qu’il a annoncé le 2 avril des droits de douane importants (avant de les reporter de trois mois). Il a présenté ces droits de douane comme étant des « tarifs réciproques », montrant aux caméras de télévisions un tableau avec des pourcentage de droits de douane qu’une cinquantaine de pays (dont l’UE) imposeraient aux USA… et ce avec des pourcentages totalement fantaisistes. Par exemple Trump accuse l’Union Européenne de mettre 39% de droits de douanes sur les produits américains, expliquant à son auditoire comme on parle à des enfants de 5 ans, leur assurant que ces pays avaient été « very very bad » avec les USA. En conséquence, un grand nombre de Trumpistes croient donc ce qu’il a dit. Pourtant il suffit d’aller sur le site internet de la Maison Blanche ou d’écouter plus attentivement Trump pour voir que ces 39% correspondent en fait au déficit de la balance commerciale avec l’Europe, et non à des « droits de douane ».
Dans la réalité, jusqu’à l’arrivée de Trump, l’UE prenait 1% de droits de douane en moyenne sur les produits américains, alors que les USA prenaient 5% de droits de douane sur les produits européens : c’est à dire pas grand chose non plus.
Et pour cause, il faut quand même se rappeler que jusqu’à présent les pays libéraux (Occident, Japon, Australie etc…) ont forcé la main à des dizaines d’autres pays, depuis les années 1980, pour qu’ils dérégularisent tout ce qu’ils pouvaient, et facilitent l’avénement de la « mondialisation heureuse ». Les Etats-Unis étaient bien évidemment le grand gourou de cette mondialisation.
Alors, pourquoi mentir afin d’imposer ses droits de douane ? Même réponse que précédemment, s’il le fait c’est que, peut-être, il a des raisons. En reportant le problème sur « les autres », si jamais sa politique entraînait une inflation importante ou un problème boursier aux Etats-Unis, Trump pourrait assurer : « c’est de la faute des autres ». In fine, pourquoi est-il prêt à courir ce risque-là ? Soit il est complètement fou, soit… il n’a pas vraiment le choix, et donc des contraintes importantes, comme par exemple le fait d’avoir pour objectif de remplir les caisses.
Ce qu’on ne voit pas dans ces négociations tarifaires, c’est que l’administration Trump est probablement en parallèle en train de prévenir une par une de multiples industries produisant à l’étranger : « soit vous construisez des usines aux USA, soit on va vous faire souffrir ». Charles Gave, économiste français libéral (qui approuve l’idée de Trump de mettre des droits de douane) précise : « si vous cherchez qui est dans le viseur de Trump, regardez quelles sont les entreprises américaines qui payent moins de 10% d’impôts aux USA », et de citer Apple, Microsoft ou autres.
Si une dizaine d’entreprises construisaient aux Etats-Unis des usines pour y relocaliser leur production, ça serait extrêmement insuffisant pour l’économie américaine (quelques milliers de robots en plus), mais ça contenterait certainement le public de Trump (1), et lui laisserait le temps de poursuivre sa politique. Donc, c’est une piste effectivement à considérer. Une réindustialisation des Etats-Unis ne pourrait de toute façon qu’être très partielle, même si effectivement elle est peut-être souhaitable (c’est un choix politique pour le président qui relève un peu du « choix de civilisation »).
Economie d’état-nation ?
Si Trump souhaite réformer l’économie, peu d’observateurs ont su expliquer comment il souhaite s’y prendre. Pour citer encore Charles Gave : « Trump veut transformer l’économie américaine d’une économie d’empire à une économie d’Etat-nation », avec en corollaire une augmentation du niveau de vie, qui pourrait passer (ça a été évoqué par la présidence et son entourage) par la fin de l’impôt fédéral sur le revenu pour les personnes qui gagnent moins de 150000$ par an.
L’idée serait certainement populaire, mais il faudra toutefois démontrer comment il est possible de combler le déficit public en supprimant autant de recettes fiscales !
La banque canadienne Desjardins a publié le 1er avril un « point de vue économique » très complet sur les finances publiques américaines, rédigé par Francis Généreux, son économiste principal. En voici l’introduction : « Le président Trump a fait allusion quelques fois à un budget équilibré qui se produirait grâce à la baisse des dépenses et aux hausses de tarifs douaniers. Toutefois, l’ampleur des manques à gagner est si grande qu’il est difficile de voir comment cela pourrait réellement se produire. Il faut aussi considérer les coûts du prolongement des baisses d’impôt de 2017, des autres promesses d’allégements fiscaux aux entreprises et aux ménages et des nouvelles dépenses liées à la défense, à la sécurité et aux contrôles de l’immigration. Les propositions budgétaires mises de l’avant au Congrès sont d’ailleurs loin de suggérer que les déficits s’effaceront bientôt. »
Après une étude détaillée, Desjardins conclue : « La somme recueillie grâce aux tarifs ne serait quand même pas négligeable. Si on l’ajoute aux baisses de dépenses potentielles issues des actions du DOGE et, surtout, aux restrictions annoncées du rôle du gouvernement fédéral, on pourrait voir un effet total relativement important et perceptible sur le déficit. Mais, serait‐ce assez pour arriver à un budget équilibré? Il semble que non. En étant très optimiste, on pourrait réduire le manque à gagner annuel d’environ 1 000 G$ US, ce qui reste sous les déficits prévus et c’est sans compter le coût budgétaire de nouvelles baisses d’impôt. »
Pour l’anecdote, dans une autre note du 3 avril, Desjardins explique que les tensions politico-commerciales entre le Canada et les USA n’ont pas eu uniquement l’impact qu’attendait les boycotteurs canadiens : « La décélération des échanges avec les États-Unis a creusé le déficit commercial du Canada », assure la banque !
Trump, Pape Hérétique ?
Pour prendre un peu d’altitude sur ce dossier, voici un autre point de vue intéressant, celui de l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine, dans un entretien avec Le Figaro : «Les Européens ont cru en la mondialisation heureuse qui était en réalité une américano-globalisation, dans l’intérêt de ces derniers. Il s’agissait surtout, pour l’Europe, d’éviter d’être l’idiot du village global.» Selon l’ancien ministre des Affaires étrangères (1997-2002), le Vieux Continent est «déstabilisé car Trump est une sorte d’hérétique en chef dans le monde américano-globalisé des dernières décennies auquel les Européens ont cru avec la naïveté des Bisounours. C’est comme si à l’époque de la Chrétienté, le pape devenait hérétique». (…)
«De Roosevelt à Biden, il y avait l’Occident, mais c’est la fin de ce concept un peu fumeux. Nous sommes en train de redevenir ce que nous étions avant la fin de la Seconde Guerre : des cousins issus de germain, pas plus. Quand vous écoutez JD Vance à Munich , il parlait comme Soljenitsyne (à Harvard, en 1978, NDLR), déplorant tous deux l’abandon des valeurs chrétiennes» (…).
«Tout le monde a été naïf sur la Chine mais aujourd’hui, ce n’est plus vrai, on sort de cette époque où les Américains faisaient entrer la Chine dans l’OMC alors que celle-ci ne remplissait aucun critère, et Clinton disait : on les fait entrer, ils vont s’enrichir, puis ils deviendront démocratiques. Voyez un peu le raisonnement. Il n’y a pas que les Allemands qui ont fait des erreurs avec le gaz russe», rappelle l’auteur d’un «Nouveau dictionnaire amoureux de la géopolitique» (Plon). »
Dès le mois de février, Le Courrier des Amériques assurait que « Trump souhaite mettre des droits de douanes car… il souhaite mettre des droits de douane ». Certes, dans un premier temps il négocie. Cet hiver il avait menacé sans succès d’en mettre et aucun pays n’avait accepté de négocier avec lui. Donc il a annoncé le 2 avril qu’il mettait effectivement des droits de douanes importants. Puis il les a suspendus. Il négociera sans aucun doute avec certains pays. Peut-être sera-t-il plus contraignant avec d’autres (la Chine ?). Le « tarif » minimal qu’il a mis en place est de 10%. Au final ce ne serait pas étonnant qu’il généralise quelque chose comme ça.
Encore une fois, il s’agit ici d’émettre des analyses rationnelles sur la stratégie économique de Trump. Pour la plupart des analystes, depuis le 20 janvier la réponse est différente de ce qu’on vient d’expliquer, et elle peut ainsi être résumée : « Trump est complètement dingue ». Mais ça rejoint un peu la version du « pape hérétique » : comment ne pas le traiter de fou puisqu’il est en train de renverser la table. (2)
On n’aura jamais autant cité Charles Gave : pour lui « Donald Trump est le meilleur joueur du monde de bonneteau, ce jeu de rue avec une balle cachée sous trois gobelets : sa réalité n’est pas celle que vous voyez. »
Effectivement, on vois bien les gobelets de Trump… reste à savoir s’il y a vraiment une balle dessous !
Le Wall Street Journal pense que Trump fait déjà machine arrière (ce serait bien la première fois !) sur le «tariffs» et le Journal se demande «Est-ce que c’est le moment Mitterrand» (3), comparant l’action de Trump aux volontés réformistes du président socialiste français, qui fut élu en 1981 avec un programme radical mais qui, confronté aux caprices de la bourse, dû abdiquer son socialisme dès 1983.
En tout cas le «job approval» de Trump est le plus faible pour un président depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, et le président entre donc en période de turbulences. D’autant que, dernière minute, Elon Musk vient d’annoncer qu’il allait prendre du recul par rapport à ses activités politiques.
– 1 – C’est malheureux à dire, mais c’est vrai !
– 2 – A noter qu’il est souvent traité de « fou » par les habitants d’autres pays qui ne serait pas avantagés par des droits de douane américains !
– 3 – www.wsj.com/opinion/francois-mitterrand-donald-trump-tariffs-trade-economy-markets-7e80c7e9
NOTES SUPPLEMENTAIRES SUR LES TARIFFS :
A PROPOS DE LA REINDUSTRIALISATION
La réindustrialisation des Etats-Unis serait certainement plus difficile à réaliser qu’à annoncer. Même pour les usines robotisées, certains pays d’Asie comme la Chine ont une avance technologique déconcertante sur les USA. Mais une réindustrialisation ne peut être liée qu’à la stabilité. Or, quand Trump dit que les droits de douane imposés le 2 avril (et aussi avant cette date contre le Mexique et le Canada) pourraient changer dans le futur si les autres pays baissent les leurs (de droits de douane), ça ne va pas dans le sens de la stabilité. Par exemple, pourquoi un industriel américain voudrait-il créer une usine de chaussures dans le Wisconsin si, dans six mois, les taxes sur les chaussures chinoises risquent d’être baissées ? Plusieurs « spécialistes » de courants économiques assurent que ce ne serait pas dans l’intérêt des Etats-Unis d’avoir de nouvelles usines de produits à faible valeur ajoutée, « plutôt que d’investir dans des fabriques de produits de haute technologie ». Alors déjà chacun peut constater que les iPhones (par exemple) sont fabriqués en Chine. Mais, surtout, on ne voit pas bien pourquoi une industrie en gênerait une autre… L’argument semble faible. En tout cas du point de vue chinois tout est bon à prendre : chaussures et iPhones ! Pas du point de vue américain ? L’autre problème pour arriver à réindustrialiser massivement, serait de trouver la main d’œuvre qualifiée : heureusement les robots de suffisent pas !
L’ART… ET LA MANIERE
La manière humiliante dont Donald Trump s’est adressé à plusieurs pays (Canada, Mexique et Union Européenne en tête, mais aussi Lesotho etc) a eu des effets économiques négatifs directs sur l’économie américaine. Le boycott est très fort au Canada. Et si en Europe il ne s’agit pas (pour le moment) d’un mouvement politique d’ampleur, les répercussions sont tout de même directes et importantes sur les produits américains.
LA GOLD CARD NE RAPPORTERA PAS 1 TRILLION DE DOLLARS
Autre calcul fantaisiste : Quand Trump a indiqué que sa future « Gold Card » à 5 millions de dollars pourrait compenser une baisse d’impôts, cette annonce semble assez irréaliste. Le président a en effet assuré qu’il pourrait en vendre 1 million pour ainsi gagner un total de 5 trillons de dollars. Or, Le Courrier s’y connaît un peu dans le domaine de l’immigration. L’année record pour le visa EB-5 fut 2015, et le visa coûtait alors 500.000$. Il s’en est « vendu » 11500 cette année-là. Maintenant, avec une Gold Card dix fois plus cher, il est bien évident que Trump en « vendrait » dix fois moins, et en tout cas pas « 1 million », loin de là. D’autant que, depuis 2015, Trump a lui même limité le nombre de EB-5 délivré aux ressortissants Chinois, qui constituaient une énorme partie des 11500 en question.
LES MEDIAS REPUBLICAINS TRES CRITIQUES
Un grand nombre de supporters de Donald Trump répète une théorie à propos des pays étrangers sur « les gentils » et « les méchants ». L’annonce des « tariffs » le 2 avril a entraîné de la part de tous les gouvernements la préparation de mesures de contre-attaque. Certains comme l’Italie les souhaitent très mesurées. Mais on peut quand même constater qu’il n’y a que des « méchants » face à un seul « gentil ». Fox News laisse la parole à un grand nombre de pro-Trump, et des ouvriers – par exemple dans le secteur automobile – sont très heureux de ces droits de douane. Mais il y a peu de médias républicains à soutenir ces mesures. Pas de surprise chez les néo-conservateurs, systématiquement opposés à Trump : « Les Etats-Unis ont commis un suicide », titre The Bulwark. Le sénateur libertarien Rand Paul s’est aussi opposé aux droits de douanes, dont il rappelle qu’il s’agit « d’un impôt ». Plus central chez les Républicains, le Wall Street Journal (le quotidien le plus vendu aux Etats-Unis), avait déjà imprimé le mot « Dumb » (débile) dans une tribune dès le mois de février. Cette fois c’est l’éditorial du 3 avril qui canonne : « Il y aura certainement des coûts plus élevés pour les consommateurs et les entreprises américains. » (…) « Au fil du temps, cela signifiera l’érosion progressive de la compétitivité des États-Unis. » (…) « Les tarifs unilatéraux de M. Trump font exploser ces accords et invitent à des représailles. » (…) « La fin du leadership économique des États-Unis. » (…) « Une opportunité majeure pour la Chine ». (Et on passe beaucoup de critiques dont une analyse similaire à la notre du calcul absurde des « tariffs » que pratiqueraient les autres pays à l’encontre des USA).
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