La guitare électrique : cet objet américain qui a électrisé le monde

On n’a pas besoin de gratter une corde pour ressentir ce frisson. Il suffit parfois d’entendre une seule note – celle qui ouvre “Johnny B. Goode” de Chuck Berry, le solo hurlant de “Stairway to Heaven” ou encore la décharge furieuse de Kurt Cobain – pour comprendre que la guitare électrique n’est pas un simple instrument. C’est une voix. Un cri. Et c’est aussi, avant tout, un objet américain.
Une invention typiquement américaine
Ce n’est pas un hasard si la guitare électrique est née aux États-Unis. Dans les années 1930, alors que le jazz remplit les clubs et que le blues émerge dans le Sud, un problème persiste : la guitare acoustique n’est pas assez puissante pour rivaliser avec les cuivres. L’idée germe alors de l’amplifier. Plusieurs bricoleurs et musiciens s’y essayent. Mais c’est en 1935, il y a 90 ans, que les premières guitares amplifiées apparaissent, avec deux noms qui vont rester dans l’histoire : Les Paul, un génie de la bidouille passionné de musique, et Leo Fender, un réparateur de radios californien.
Ce dernier conçoit, en 1950, la Fender Telecaster, une guitare solide, simple et surtout facile à produire en série. L’année suivante, Gibson contre-attaque avec un modèle signé Les Paul. La guerre des guitares est lancée. Et avec elle, une révolution culturelle.
La guitare comme étendard de la jeunesse
Dès les années 1950, l’Amérique change. La jeunesse prend la parole, la télévision s’impose, le rock’n’roll explose. Et à l’avant de cette scène, il y a toujours une guitare électrique.
Chuck Berry, Little Richard, Elvis Presley : chacun tient sa guitare comme une arme, un accessoire, un emblème. Le guitariste devient une figure centrale. Il est à la fois musicien, performeur et héros. Pour la première fois dans l’histoire, un objet technologique devient l’extension du corps d’un adolescent.
La guitare électrique permet tout : le rythme sec, les mélodies langoureuses, le solo flamboyant. Et surtout, elle permet de faire du bruit, dans une société conservatrice où le bruit des jeunes commence à gêner.
Jimi Hendrix ou la libération totale
Au milieu des années 1960, la guitare électrique passe de l’outil au totem. Et s’il y a un prêtre de ce culte, c’est bien Jimi Hendrix. En 1967 à Monterey, il finit son concert en mettant le feu à sa Stratocaster. Ce geste résume tout : la guitare électrique devient un instrument de transgression totale, à la croisée du sexe, de la guerre, de la contre-culture et de la spiritualité.
Ce n’est pas un hasard si le rock devient alors la bande-son de la contestation : celle contre le Vietnam, contre le racisme, contre l’ordre établi. Le guitariste est perçu comme un chaman moderne. Hendrix, Santana, Clapton, Page… chacun développe un son, une signature, une identité unique. Ce que Picasso fut au pinceau, ces musiciens le sont à la guitare électrique.
Une industrie à part entière
La guitare électrique, c’est aussi une histoire de design industriel et de marketing. Chaque modèle – Stratocaster, Les Paul, SG, Flying V – a ses fans, ses codes, ses sonorités. Les fabricants américains deviennent des marques cultes : Fender, Gibson, Gretsch, Rickenbacker…
Les adolescents de toutes les classes sociales rêvent de posséder « leur » guitare, parfois même plus que leur première voiture. Hollywood s’en empare : Marty McFly dans Retour vers le Futur ou Prince dans Purple Rain illustrent cette obsession. La guitare est sexy, bruyante, insoumise. Elle est l’arme du héros romantique moderne.

Du garage au stade : l’explosion planétaire
Dans les années 1970-80, l’objet se mondialise. Il passe du garage de banlieue au stade géant. Le hard rock, le punk, le heavy metal font rugir la guitare plus fort que jamais. Eddie Van Halen brise toutes les règles avec son « tapping ». Johnny Ramone joue trois accords… mais avec une telle rage qu’il fonde un genre entier.
La guitare électrique devient alors un langage universel, utilisé de Tokyo à Lagos, en passant par Buenos Aires et Paris. On la retrouve partout : dans la pop sucrée comme dans le trash métal, dans les pubs de bière comme dans les musées. Elle est parfois ringardisée… mais jamais morte.
Une renaissance permanente
On l’a dite dépassée, enterrée par les synthétiseurs, la techno, les DJs. Mais la guitare électrique a cette capacité unique de renaître en permanence. Dans les années 1990, elle revient avec Nirvana, Rage Against the Machine ou Radiohead. Dans les années 2000, les Strokes et les White Stripes la remettent au centre.
Et aujourd’hui encore, elle continue de séduire. On la retrouve dans les tubes de Billie Eilish ou d’Olivia Rodrigo. Des gamins sur TikTok filment leurs riffs et solos. Car jouer de la guitare électrique, c’est encore un rêve. C’est faire vibrer non seulement des cordes, mais des identités, des passions, des générations entières.

Un symbole américain… adopté par le monde entier
Comme le jean ou le Coca-Cola, la guitare électrique est un objet né aux États-Unis mais devenu global. Elle incarne le meilleur de ce que l’Amérique a su proposer : l’audace, la liberté, la jeunesse, l’inventivité. Elle n’est pas juste une boîte de bois et de métal branchée sur un ampli. Elle est, pour beaucoup, un moyen de dire « je suis là, j’existe, et je fais du bruit ».
Née en 1935 à la croisée du blues afro-américain, du country blanc et des musiques populaires du Sud, la guitare électrique incarne ce mélange unique qui forge l’identité musicale des États-Unis. Avec ses six cordes branchées sur le courant d’un pays en quête d’expression, la guitare électrique est peut-être l’instrument qui traduit le mieux l’âme américaine. Elle incarne cette obsession américaine individualiste : faire entendre sa voix, coûte que coûte.
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