Réjean Tremblay : chroniques d’un Québécois en Floride, entre soleil, moto et… liberté de parole

Journaliste, chroniqueur et scénariste québécois de longue date, Réjean Tremblay partage avec Le Courrier des Amériques son regard unique sur la Floride, où il passe plusieurs mois chaque année depuis 50 ans, à Lake Worth (au sud de Palm Beach) après avoir résidé longtemps à Hypoluxo (juste à côté). Entre balades à moto à Key West, découvertes artistiques à West Palm Beach et réflexions sur la presse et la société québécoise, Réjean Tremblay évoque avec franchise ce qui le séduit dans l’État ensoleillé et ce que cette expérience lui apporte en termes de recul sur le Québec. Une conversation à la fois personnelle et incisive !
LE COURRIER DES AMERIQUES : N’avez-vous pas l’impression que les médias de masse canadiens ont un peu tendance à faire dans le catastrophisme quand ils parlent de la Floride, pendant la pandémie, les ouragans etc…
Réjean TREMBLAY : Je suis descendu en Floride en auto le 15 septembre de cette année, avec l’Audi de Julie plaquée au Québec. Je suis passé aux douanes terrestres, j’ai revisité les Etats-Unis en passant par la I81, et les gens m’appelaient et me demandaient… si j’étais en sécurité. On me demandait « comment ça se passe », alors je répondais « ben y a du soleil, on se baigne ». Pendant la pandémie je considère que ça nous a sauvés mentalement d’être ici en Floride. J’ai trouvé que la crise de la Covid a été traitée avec civisme ici.
LE C.D.A : Il y a eu beaucoup de questions sur le formulaire I-94, vous ça ne vous a pas inquiété ?
Réjean TREMBLAY : Mais pourquoi les Américains arrêteraient une voiture de Québécois pour un I-94 ?!
LE C.D.A : Avec votre expérience, comment expliquez-vous que les Québécois soient si divisés dans leur perception des États-Unis et de la Floride en particulier ?
Réjean TREMBLAY : Depuis soixante ans la société québécoise a toujours été divisée, 50/50 indépendantiste/fédéraliste. Depuis 10 ans il y a la moitié qui est pour Bell Radio Canada et les autres pour Québécor. La société québécoise a tendance à se fractionner comme ça.
L’histoire du 51e Etat… Tout le monde a pris parti contre les USA et c’est la première fois que tout le monde était unanime !
LE C.D.A : Ici on a pris ça comme une mauvaise plaisanterie de la part de Trump, une manière de faire pression, de dire « c’est soit les droits de douanes, soit le 51e Etat ».
Réjean TREMBLAY : Il y a des Québécois qui pensent que Trump à cause de la fonte des glaces, va prendre le prétexte pour aller installer son armée dans nord du Québec.
Les Canadiens n’ont pas aimé cette histoire de 51e Etat. Mais d’un point de vue québécois… si on imagine que le Québec était un Etat américain… confrontés à la compétitivité américaine sur les marchés je ne suis pas certain qu’on trouve ça facile. Il faut travailler dur aux Etats-Unis. C’est plus facile dans un pays socialiste que dans un pays capitaliste.
LE C.D.A : Le boycott de la Floride semble limité en dessous de -20%…
Réjean TREMBLAY : Les gens disent qu’ils « boycottent à cause de Trump », parce que ça fait mieux que de dire que c’est en raison de l’inflation, du taux de change ou de l’économie au Québec !
LE C.D.A : Vous avez souvent critiqué le conformisme des médias québécois : est-ce que vous trouvez plus de liberté dans la presse américaine, ou c’est juste un autre système avec ses propres biais ?
Réjean TREMBLAY : Ce que je constate surtout c’est que, depuis 5 ans, il y a un clivage très net entre les médias traditionnel et tous les médias alternatifs sur les réseaux sociaux, YouTube, les podcasts… Parce qu’ils ont une base de 350 millions de personnes qui parlent anglais, les médias traditionnels américains sont mieux armés pour résister. Au Québec avec 7.5 millions de personnes qui parlent français, c’est très limite comme taille pour avoir des médias riches, financièrement solides. Alors quand la publicité s’en va sur les réseaux sociaux en parallèle il est difficile d’exiger des médias traditionnels qu’ils investissent des sommes majeures : ça ne peut pas se produire. Alors il y a un vent de panique en ce moment.
LE C.D.A : Excepté YouTube, on sent quand même que les réseaux sociaux sont de moins en moins performants dans la diffusion de nouvelles…
Réjean TREMBLAY : A partir du moment où les réseaux sociaux deviennent des égouts à ciel ouvert, la publicité va retourner vers des endroits plus fiables.
LE C.D.A : La Grande-Bretagne est passe d’instaurer l’identité numérique. Emmanuel Macron le souhaitait aussi. Est-ce que ça assainirait les réseaux sociaux ?
Réjean TREMBLAY : Oui c’est certain que ça pourrait les assainir, mais d’un autre côté ça donne un instrument de contrôle encore plus fort.
LE C.D.A : Si vous deviez donner un conseil à un jeune journaliste qui voudrait faire une carrière longue et libre comme la vôtre, quel serait-il ?
Réjean TREMBLAY : Devenir riche le plus vite possible (rires) ! Est-ce que je dirais à un jeune de 22 ans de se lancer dans le journalisme ? Oui, mais je ne serai pas certain de conseiller les médias traditionnels. Si j’avais 22 ans aujourd’hui je préférerai faire ce métier de journaliste comme entrepreneur, avoir un podcast, un site internet etc, et bâtir moi-même ma clientèle. On est en train de découvrir actuellement plein d’archipels de podcasts, qui collaborent entre eux et qui ont du succès.
LE C.D.A : Le fait de passer beaucoup de temps en Floride vous donne-t-il un regard différent sur le Québec ?
Réjean TREMBLAY : Quand on vit dans une société c’est difficile d’avoir un regard distancié sur cette même société. Quand on reste 4 et 5 mois ici en Floride, la mentalité entrepreneuriale, la mentalité plus individualiste, ça permet d’avoir un regard un peu distancié sur la société québécoise et son Gouvernemaman qui prend soin de tout le monde, avec ses campagnes incessantes « la sécurité d’abord ».
LE C.D.A : Quels sont vos endroits favoris pour aller se promener à moto en Floride ?
Réjean TREMBLAY : Key West, le pont de Marathon, Islamorada : c’est la plus belle balade de moto ! J’aime bien aussi partir autour du lac Okeechobee, ça prend 5 ou 6 heures. Plus simplement, rouler sur Alligator Alley en allant vers Naples, c’est toujours incroyable. Contrairement à d’autres Etats, ce ne sont pas ici les grands espaces qui sont bien, mais… la chaleur, l’ambiance.
J’ai toujours considéré que Boca Raton c’était la frontière : en descendant vers le sud ça devient « la Floride des cartes postales » et des films. Je trouve que les comtés de Palm Beach, Martin ou St Lucie c’est un peu plus « la Floride du vrai monde ».
LE C.D.A : Et vos endroits favoris pour aller se promener SANS moto ?
Réjean TREMBLAY : Atlantic Avenue à Delray Beach, par exemple au restaurant Elisabetta : on mange sur la terrasse et on est très heureux à regarder le monde. Julie aime les boutiques sur l’avenue.
LE C.D.A : Et vos endroits préféré pour les artistes ?
Réjean TREMBLAY : Sur Worth Avenue à West Palm Beach il y a de très belles galeries. On a une nouvelle maison mais on n’a plus de place pour les tableaux ! Je suis tombé en amour avec des peintres arméniens, comme Tatossian.
LE C.D.A : Est-ce que vous avez une anecdote marquante vécue ici, quelque chose de typiquement « Floride » ?
Réjean TREMBLAY : J’en ai trop ! J’ai couvert Les Expos de Montréal durant 30 ans en Floride. Mais si je résumais la Floride, la pression sociale tombe complètement sur mes épaules quand j’arrive ici, c’est vraiment spécial. Et c’est pareil pour la plupart de mes amis québécois : au bout de 3 jours on est « tubins ».
LE C.D.A : Qu’est-ce qui vous rend le plus heureux aujourd’hui ?
Réjean TREMBLAY : Julie !
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