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Les USA viennent de redéfinir leur place dans le monde… et ils cherchent à bousculer l’Europe

Si certains ne comprenaient pas la logique de la politique étrangère trumpiste : cette fois c’est écrit en noir sur blanc ! C’est le 2e « National Security Strategy » (NSS) (1) produit par Donald Trump qui vient d’être publié le 5 décembre, après celui de 2017 qui avait pour sa part marqué un tournant conservateur, mais pas un changement de paradigme radical comme ce qu’on peut lire aujourd’hui. Jusqu’à présent, on pouvait qualifier le trumpisme de lignes politiques alliant conservatisme, populisme et « GBS » (Gros Bon Sens). Mais pas une vision idéologique globale, en tout cas pas émise par le pouvoir (2). Cette fois on y est. La vision du trumpisme développé dans ce document est 100% ce qu’on appelle aux Etats-Unis du « paleo-conservatisme ». Pour les Français, c’est assez simple à comprendre : c’est proche des positions politiques d’un Jean-Marie Le Pen. La politique « GBS » de Donald Trump durant ses deux mandats interdisait jusqu’à présent de lui coller une étiquette très précise car le président américain a été pendant la plupart de sa vie surtout proche des centristes démocrates (il a par exemple multiplié les dons pour Hillary Clinton entre 2002 et 2007).

Le document « National Security Strategy » :

• Il structure formellement une vision globale « America First ».
• Il institutionnalise des éléments clés du discours « MAGA / Trumpiste ».
• Il lie politique intérieure, sécurité nationale et vision géopolitique.

Entre autres, le nouveau document assure que :

  • « L’époque où les États-Unis soutenaient l’ordre mondial tout entier, tel Atlas, est révolue. »
  • Le texte confirme entre autres que les Etats-Unis doivent fortement revitaliser leur industrie militaire (constat précédemment réalisé par Biden).
  • Il réaffirme que les alliés des USA vont avoir à contribuer plus pour leur propre défense.
  • Les USA réaffirment la « doctrine Monroe », leurs zones d’influences et alliances, mais avec un énorme questionnement sur le présent et l’avenir de l’Union Européenne.

L’Europe dans le viseur

Des dirigeants de différents pays de l’Union et de l’Union elle-même, ont vivement réagi à ce qu’ils considèrent comme une tentative d’ingérence. Voici ce que dit le texte de la Maison Blanche à ce sujet : « Nous souhaitons soutenir nos alliés dans la préservation de la liberté et de la sécurité de l’Europe, tout en restaurant la confiance civilisationnelle de l’Europe et son identité occidentale. » Dès le début il est permis de déjà sentir un rappel des reproches émis à différents pays d’Europe par le vice-président J-D Vance lors de son discours à Munich en février.

Dans la partie « stratégie », le texte critique fortement les « organisations transnationales », ce qui peut aider à comprendre cette approche américaine actuelle qui a l’air assez hostile à l’égard de l’Union Européenne :
« Primauté des nations.
L’unité politique fondamentale du monde est et restera l’État-nation. Il est naturel et juste que toutes les nations fassent passer leurs intérêts en premier et protègent leur souveraineté. Le monde fonctionne au mieux lorsque les nations privilégient leurs intérêts. Les États-Unis feront passer leurs propres intérêts en premier et, dans leurs relations avec les autres nations, les encourageront à faire de même. Nous défendons les droits souverains des nations, contre les empiètements des organisations transnationales les plus intrusives qui sapent la souveraineté, et pour la réforme de ces institutions afin qu’elles favorisent plutôt qu’elles n’entravent la souveraineté individuelle et servent les intérêts américains. »

Toujours dans les généralités de ce texte pouvant permettre de comprendre son approche de l’Union Européenne, dans la liste des « Priorités » abordées, on trouve ceci :
« L’ère des migrations de masse est révolue.
Les personnes qu’un pays admet sur son territoire – en nombre et d’où elles viennent – définiront inévitablement l’avenir de cette nation. Tout pays qui se considère souverain a le droit et le devoir de définir son avenir. De tout temps, les nations souveraines ont interdit l’immigration incontrôlée et n’ont accordé la citoyenneté qu’à de rares occasions aux étrangers, qui devaient également satisfaire à des critères exigeants. L’expérience de l’Occident au cours des dernières décennies confirme cette sagesse ancestrale. Dans les pays du monde entier, les migrations de masse ont mis à rude épreuve les ressources nationales, accru la violence et la criminalité, affaibli la cohésion sociale et perturbé le travail.»

Ensuite, des chapitres sont consacrés aux relations avec différentes zones mondiales, avec globalement toujours une approche pacifiste, ce qui est la marque de Trump depuis 2015 (et également très « paleo-conservatrice »). Mais la partie sur l’Europe rompt totalement avec ce qui avait été mis en place au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale.
« Promouvoir la grandeur européenne
Les responsables américains ont pris l’habitude d’envisager les problèmes européens sous l’angle de dépenses militaires insuffisantes et de stagnation économique. Il y a une part de vérité dans cette analyse, mais les véritables problèmes de l’Europe sont encore plus profonds.
L’Europe continentale a perdu des parts du PIB mondial – passant de 25 % en 1990 à 14 % aujourd’hui – en partie à cause de réglementations nationales et transnationales qui sapent la créativité et l’esprit d’entreprise. Mais ce déclin économique est éclipsé par la perspective, bien réelle et plus inquiétante, d’un effacement civilisationnel. Les problèmes majeurs auxquels l’Europe est confrontée incluent les actions de l’Union européenne et d’autres organismes transnationaux qui portent atteinte aux libertés politiques et à la souveraineté, les politiques migratoires qui transforment le continent et engendrent des tensions, la censure de la liberté d’expression et la répression de l’opposition politique, l’effondrement des taux de natalité et la perte des identités nationales et de la confiance en soi.
Si les tendances actuelles se poursuivent, le continent sera méconnaissable d’ici 20 ans, voire moins. Dans ces conditions, il est loin d’être certain que certains pays européens disposeront d’économies et d’armées suffisamment fortes pour rester des alliés fiables. Nombre de ces nations persistent actuellement dans cette voie. Nous souhaitons que l’Europe reste européenne, qu’elle retrouve sa confiance en elle sur le plan civilisationnel et qu’elle abandonne son approche inefficace de réglementation excessive.
Ce manque de confiance en soi est particulièrement manifeste dans la relation de l’Europe avec la Russie. (…) »

Après un développement de ces rapports avec la Russie, le texte revient au sujet de l’UE :
« Pourtant, l’Europe reste stratégiquement et culturellement vitale pour les États-Unis. Le commerce transatlantique demeure l’un des piliers de l’économie mondiale et de la prospérité américaine. Les secteurs européens, de l’industrie manufacturière à la technologie en passant par l’énergie, restent parmi les plus dynamiques au monde. L’Europe abrite une recherche scientifique de pointe et des institutions culturelles de renommée mondiale. Non seulement nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer l’Europe, mais le faire serait contre-productif au regard des objectifs de cette stratégie. La diplomatie américaine doit continuer à défendre la véritable démocratie, la liberté d’expression et la célébration sans complexe du caractère et de l’histoire propres à chaque nation européenne. L’Amérique encourage ses alliés politiques en Europe à promouvoir ce regain d’esprit, et l’influence croissante des partis patriotiques européens est en effet source d’un grand optimisme.
Notre objectif doit être d’aider l’Europe à corriger sa trajectoire actuelle. Nous aurons besoin d’une Europe forte pour nous aider à être compétitifs et pour travailler de concert avec nous afin d’empêcher toute puissance adverse de dominer l’Europe.
L’Amérique est, naturellement, sentimentalement attachée au continent européen – et, bien sûr, à la Grande-Bretagne et à l’Irlande. Le caractère de ces pays est également stratégiquement important car nous comptons sur des alliés créatifs, compétents, confiants et démocratiques pour établir des conditions de stabilité et de sécurité. Nous voulons travailler avec des pays alliés qui souhaitent retrouver leur grandeur passée.
À long terme, il est plus que plausible que d’ici quelques décennies au plus tard, certains membres de l’OTAN deviennent majoritairement non européens. Dès lors, la question se pose de savoir s’ils percevront leur place dans le monde, ou leur alliance avec les États-Unis, de la même manière que ceux qui ont signé la charte de l’OTAN.
Notre politique générale pour l’Europe devrait privilégier :
• Le rétablissement des conditions de stabilité en Europe et de la stabilité stratégique avec la Russie ;
• Permettre à l’Europe de se prendre en main et de fonctionner comme un groupe de nations souveraines alliées, notamment en assumant la responsabilité principale de sa propre défense, sans être dominée par une puissance adverse ;
• Cultiver la résistance à la trajectoire actuelle de l’Europe au sein des nations européennes ;
• Ouvrir les marchés européens aux biens et services américains et garantir un traitement équitable aux travailleurs et aux entreprises américains ;
• Contribuer au développement de nations saines en Europe centrale, orientale et méridionale par le biais de liens commerciaux, de ventes d’armes, de collaboration politique et d’échanges culturels et éducatifs ;
• Mettre fin à la perception, et prévenir la réalité, d’une OTAN en expansion permanente ; et
• Encourager l’Europe à agir pour lutter contre la surcapacité mercantiliste, le vol de technologies, la cyberespionnage et autres pratiques économiques hostiles. »

Petite analyse du Courrier des Amériques :

La conceptualisation par les USA en termes de « zones d’influence » n’est pas nouvelle : les Américains se considèrent depuis longtemps dans un partenariat privilégié avec l’Europe comme avec les autres pays d’Amérique. Néanmoins, on sent assez bien dans ce texte la continuité de réflexion avec la théorie émise par Samuel Huntington du « Choc des Civilisations » publiée en 1996 : si tous les blocs se regroupent par « civilisation », quelle sera la civilisation de l’Europe dans 20 ans, et dans quel bloc sera-t-elle ? C’est la question que pose clairement ce texte. Autres observations : l’Union Européenne va avoir du mal à avaler le concept de « nations saines » pour désigner ce qu’elle considère au contraire être des « nations malsaines » en son sein (en tout cas si on pense à la Hongrie et quelques voisins). Et le concept de « aider l’Europe à corriger sa trajectoire actuelle » reste déjà en travers de la gorge de beaucoup : c’est ce qui est qualifié de « tentative d’ingérence » !
Ce document sur la sécurité des USA paraît juste après le livre de Mathieu Bock-Côté (Les Deux Occidents) expliquant ce qui séparerait idéologiquement selon lui les deux rives de l’Occident : des Etats-Unis très conservateurs face à des posts-nations européennes très à gauche. Alors, c’est le cas aujourd’hui : c’est certain qu’il y a une différence idéologique. Néanmoins, depuis une trentaine d’années, les Occidentaux sont vraiment moins « idéologisés » qu’auparavant. Alors, il est permis de se poser la question en regardant les deux rives de l’Atlantique :

  • À quel point les Européens sont-ils durablement à gauche ? Quand on observe les avancées constantes des mouvement conservateurs et populistes dans la plupart des pays… ça ne va pas forcément dans ce sens-là.
  • Et, pour le cas des Américains, ils ont certes voté deux fois pour Trump en raison du « GBS » mis en avant par le candidat, mais… est-ce pour autant une adhésion de tout le pays au paléo-conservatisme ? Comme souligné en introduction, ce texte de la Maison Blanche est l’un des tout premiers dans lequel la Présidence américaine propose une analyse globale. Il semble donc un peu tôt pour dire que tout le pays est conquis par le conservatisme. Il faudra attendre le résultat des élections de mi-mandat, en novembre 2026, pour voir si c’est une réalité.
    Après leur défaite en 2024, pour leur part les Démocrates semblent n’avoir rien changé au logiciel qui les avait fait gagner avec Obama et Biden, donc il n’est pas possible de dire que ce serait « toute l’Amérique » qui serait devenue « plus conservatrice ».

En tout cas, grâce à ce document tout le monde sera d’accord sur ce point : les intentions de la Maison Blanche sont désormais beaucoup plus claires !


– 1 – Vous pouvez lire le National Security Strategy ici : https://www.whitehouse.gov/wp-content/uploads/2025/12/2025-National-Security-Strategy.pdf

– 2 – On peut citer le « Projet 2025 » et d’autres textes importants signés par des proches de Trump, mais pas directement émis par la Maison-Blanche sous sa présidence.

Au printemps on se demandait encore quelle était le poids respectif des paléos-conservateurs et des Libertariens (comme Elon Musk) dans la constitution du Trumpisme.


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