Jeux d’Alliances (suite de notre roman historique « Terre d’Espérance » sur l’arrivée des Français en Floride)
« Jeux d’Alliances » – Voici la 8ème partie de notre roman historique « Terre d’Espérance », sur les huguenots français partis à la conquête de la Floride.
– Et la 7ème (celle d’avant) est ici !
Les embarcations remontaient lentement les eaux calmes d’une rivière bordée de végétation touffue. Depuis la forêt tropicale, s’échappaient des cris rauques de bêtes sauvages qui s’entremêlaient au chant mélodieux des oiseaux de paradis. Au passage des chaloupes, des perroquets multicolores dérangés dans leur quiétude matinale, prenaient leur envol vers la berge opposée pour aller se perdre au cœur des futaies. Leur chemise blanchâtre collée à la peau par la sueur, les marins souquaient ferme, respirant avec peine dans la moiteur ambiante. À la proue de la barque de tête, un homme à l’allure élégante, la pointe de l’épée posée sur le bordage, tentait de percer du regard les feuillages touffus qui peuplaient les rives.
– Cela fait des heures que nous avançons et je ne vois toujours pas âme qui vive, laissa tomber avec découragement le gentilhomme à l’épée.
– Je crois que nous devons être patients, Monsieur d’Ottigny, rétorqua un individu assis juste en arrière et encadré par deux Indiens.
– Sergent Lacaille, veuillez demander à nos guides ce qu’ils en pensent.
Après une brève palabre dans une langue aux accents rugueux, l’interprète informa le lieutenant d’Ottigny que l’expédition ne s’était pas encore enfoncée assez profondément au cœur du territoire d’Outina, redoutable roi des Thimogona.
– Ils me disent de ne pas s’en faire, Monsieur. Nous n’allons sûrement plus tarder à apercevoir des chasseurs.
À la fois inquiet et curieux, René de Laudonnière, le commandant de la petite colonie française de Fort Caroline, avait envoyé une mission de reconnaissance vers l’intérieur des terres afin de prendre contact avec la peuplade belliqueuse des Thimogona. Il voulait savoir à quel genre d’ennemis il fallait attendre s’il décidait de partir en guerre aux côtés de son nouvel allié, le grand chef Satouriona. Mais en fait, le capitaine huguenot désirait plutôt faire connaissance que de livrer bataille. Ces tribus se trouvaient en direction des légendaires monts Appalaches. Au dire des Indiens, cette région merveilleuse regorgeait d’or et de pierres précieuses. Une alliance avec Outina pouvait donc se révéler très lucrative pour la colonie huguenote. Par la suite, la difficulté serait de parvenir à calmer la fureur de Satouriona qui se sentirait trahie. Mais pour le moment, il était encore trop tôt. Laudonnière aviserait plus tard sur la conduite à tenir. Le français se doutait bien qu’il menait un jeu délicat et des plus dangereux, mais il était confiant dans la supériorité de ses armes à feu pour résoudre tout problème avec les Timucua.
Le sergent venait à peine de terminer sa phrase que soudain, trois pirogues surgirent au détour d’une boucle formée par le cours d’eau. En les apercevant, les deux guides indiens assis aux côtés de Lacaille se dressèrent comme un seul homme et se mirent à crier dans la plus grande excitation : « Thimogona ! Thimogona ! » L’un deux s’empara même d’une hallebarde et fit mine de sauter dans la rivière afin de passer à l’attaque.
– Lacaille, calmez nos deux Timucua ! ordonna d’Ottigny. Nous ne sommes pas ici pour nous battre. Je veux juste parlementer.
À la vue de tout ce remue-ménage, les Thimogona virèrent de bord et pagayèrent frénétiquement vers la berge. Cherchant leur salut dans la fuite, ils pensaient qu’ils allaient être massacrés séance tenante. Talonné pas les français, les chasseurs sautèrent prestement sur la terre ferme et disparurent parmi le rideau des arbres.
– Laissez les guides dans la barque et venez avec moi ! commanda d’Ottigny au sergent interprète.
Après avoir fait quelque pas sur la rive, les deux hommes se trouvèrent rapidement bloqués par l’épaisseur de la végétation.
– Je crois que nous les avons perdus, jeta le lieutenant avec lassitude.
– Peut-être pas, fit Lacaille. Il se pourrait qu’ils nous observent à travers les broussailles.
– Vous pensez ?
– Essayons de faire des gestes amicaux.
Après plusieurs minutes, des visages tatoués apparurent entre les branchages. Les deux huguenots exhibèrent quelques colifichets et les Indiens finirent par s’approcher à la vue de ces présents de paix. La glace était rompue !
***
Le commandant de la colonie française était pleinement satisfait de la mission d’exploration de son fidèle second, Monsieur d’Ottigny. Ce dernier avait fait ample moisson d’informations.
Le lieutenant avait réussi à rencontrer un vassal d’Outina, le paraousti Molona qui lui avait appris qu’une cinquantaine de rois rendaient hommage au chef suprême des Thimogona. Comparé aux trente vassaux de Satouriona, Laudonnière comprenait mieux l’empressement que le Timucua avait eu à contracter une alliance avec les huguenots. C’était là une occasion inespérée de triompher de cet ennemi puissant et de rentrer dans la légende. Cette victoire lui permettrait aussi de devenir le plus grand monarque de la région.
Outina, de son côté, avait également d’autres adversaires qui lui faisaient une guerre sans merci : les souverains Potavou, Onathéaqua et Houstaqua. Tous les trois étaient redoutables et des plus cruels. Pour René de Laudonnière, la présence de toutes ces peuplades belliqueuses compliquait sérieusement l’échiquier diplomatique. Si tous ces potentats pensaient que le but des Français était de les faire s’entretuer les uns les autres, une alliance de circonstance risquerait de submerger les Européens. De la part de Laudonnière, une politique de neutralité paraissait donc être le meilleur parti à prendre. Cependant, le capitaine Vasseur qui était allé rejoindre d’Ottigny au camp de Molona, avait promis d’aider Outina à vaincre ses ennemis. Ce à quoi, le Thimogona avait répondu que son suzerain offrirait de grandes quantités d’or en signe de remerciements. Soudain, l’attrait de ce métal précieux compliquait encore un peu plus les choses.
La situation devint franchement intenable quand un beau matin, Satouriona se présenta devant Fort Caroline à la tête de plusieurs centaines de guerriers. Il était prêt à partir en expédition contre les Thimogona et venait quérir l’aide de ses alliés. Brusquement, la réalité était binaire. Pour le chef Timucua, si le traité d’alliance n’était pas respecté, les Français seraient désormais ses ennemis.
À suivre
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