UNE HAINE ANCESTRALE (suite de notre roman historique « Terre d’Espérance » sur l’arrivée des Français en Floride)
« Une haine ancestrale » : Voici la 10ème partie de notre roman historique « Terre d’Espérance », sur les huguenots français partis à la conquête de la Floride
– Et la 9ème (celle d’avant) est ici
L’épée au côté pour les officiers et l’arquebuse sur l’épaule pour la troupe, la douzaine de soldats français s’avançait sous les acclamations de la population du village indien. Conduit par le capitaine Vasseur et l’enseigne d’Erlach, le détachement avait fière allure. Envoyé en mission diplomatique par René de Laudonnière, le but était de conclure une alliance avec le paraousti Outina, grand roi du peuple Thimogona. En gage de bonne foi, la restitution des prisonniers qu’avait fait Satouriona lors de sa dernière expédition guerrière (voir épisode précédent : Le sentier de la guerre). Le petit groupe d’anciens captifs marchait allègrement à la suite de leurs libérateurs, ravi d’avoir échappé aux perspectives d’une vie d’esclavage.
Outina attendait les huguenots devant le bâtiment de la chefferie. Son corps musclé couvert de tatouages rituels était revêtu de la tenue chatoyante réservée à son rang. Une coiffe composée de plumes multicolores assortie d’un manteau en peau de panthères contrastait avec l’apparat plus dépouillé de son entourage.
– Voici donc enfin ces puissants étrangers venus d’au-delà de la grande eau (la mer), pensa-t-il tout en gardant une expression de marbre.
Laudonnière avait vu juste. Outina était flatté de l’importance que lui témoignaient les Européens. En réalité, le chef huguenot désirait s’attirer les bonnes grâces du cacique afin que celui-ci le conduise vers la légendaire région des monts Appalaches qui parait-il, regorgeait de gisements aurifères. Malgré les louables intentions d’établir une colonie pour pratiquer librement leur religion, la fièvre de l‘or s’était emparée des calvinistes. La perspective de capturer les lourds galions espagnols chargés de richesses en provenance du Pérou ou de Colombie n’était plus suffisante !
Arrivés devant le paraousti, les deux gentilshommes effectuèrent une révérence de cour en faisant tournoyer leurs chapeaux de feutre. Un interprète traduisit ensuite les raisons de cette visite inopinée. Outina vira soudain les talons et pénétra dans l’édifice de la chefferie. D’un signe de la main, un sorcier invita Vasseur et d’Erlach à suivre. Au passage des Français, il secoua frénétiquement des hochets en gémissant toute une série d’incantations destinées à éloigner le mauvais sort.
Satisfait des bonnes intentions de ses visiteurs, le roi des Thimogonas confirma son intérêt dans une alliance. Apparemment, le chef avait déjà oublié la participation des Français à l’attaque d’un de ses villages aux côtés des Timucuas. Rapidement, il révéla qu’il avait un adversaire farouche qui répondait au nom de Potavou. Le conflit entre les deux tribus se perdait dans la nuit des temps. Outina proposa d’emblée à ses visiteurs de se joindre à l’expédition qu’il était justement en train de préparer contre son ennemi juré.
En soirée, le grand roi organisa un festin en l’honneur de ses hôtes. Pendant toute la fête, la casina (breuvage alcoolisé fabriqué par les Indiens de Floride) coula à flots. Cependant, le seigneur d’Erlach pesait le pour et le contre de se joindre à une attaque contre Potavou. Il n’avait aucune idée des forces qu’il allait devoir affronter et des conséquences diplomatiques. De guerre lasse, il finit par faire part de son dilemme à Vasseur. Les deux hommes conclurent que le capitaine rentrerait dès le lendemain à Fort Caroline avec la moitié du contingent huguenot. L’enseigne et le reste de la troupe participeraient à la bataille.
À la fin du repas, les deux officiers informèrent Outina de leur décision. Enchanté, ce dernier leur répondit que le départ pour la guerre était imminent.
*
Les Thimogonas, accompagnés des Français, se mirent en route dès le lendemain. Après une longue marche, ils arrivèrent en vue du village de Potavou vers le milieu de la nuit. Outina disposa discrètement ses guerriers tout autour de la petite agglomération. Sous le couvert de la végétation, l’enseigne d’Erlach posta ses arquebusiers face à l’unique entrée qui se découpait dans une palissade de bois. Ses hommes mèneraient l’assaut en utilisant l’effet aussi bien dévastateur que bruyant de leurs armes à feu. Cette attaque surprise au petit matin assurerait à Outina une victoire totale. Ce genre de tactique était très prisée par les indiens de Floride qui préféraient la ruse aux batailles rangées.
La lumière du jour était en train d’engloutir progressivement les ténèbres. D’un signe de la tête, Outina fit comprendre à d’Erlach que le moment était venu de se préparer. Les soldats relevèrent délicatement le percuteur de leurs arquebuses, les guerriers encochèrent une flèche à leurs arcs. Pour l’occasion, le jeune officier avait laissé son épée au fourreau et s’était muni d’une arme à feu. Il était un des meilleurs tireurs de la petite colonie de Fort Caroline. Il avait aussi jugé que la puissance de son détachement devait être des plus destructrices, car les ennemis paraissaient nombreux et redoutables. Les Français devaient assurer la victoire de leur nouvel allié au risque de perdre la crainte et le respect qu’ils inspiraient aux tribus locales. Si cela devait se produire, ils seraient irrémédiablement submergés et l’établissement de leur colonie se transformerait en échec. Le rêve de l’Amiral de Coligny et de tous les huguenots sombrerait dans l’oubli. Que de poids sur les épaules du jeune aristocrate !
Le roi des Thimogonas leva sa massue pour donner le signal de la charge quand une foule bruyante d’environ deux cents guerriers apparut à l’entrée du village. L’effet de surprise s’était évanoui.
Une onde glaciale traversa le dos du seigneur d’Erlach. Leurs adversaires étaient au moins deux fois plus nombreux que les forces d’Outina. Confiant dans la supériorité des armes des Français, le chef n’avait pas pris le temps de rassembler tout son monde. Dans tous les cas, il était trop tard pour reculer. Il fallait vaincre où mourir.
– Messieurs ! lança d’une voix calme le jeune officier à ses hommes. En ligne et au pas jusqu’à portée de tir.
Dans un alignement parfait, les soldats d’élite se mirent à avancer comme à la parade. De leur côté, les guerriers adverses continuaient à gesticuler en proférant des menaces dans leur langue natale. Quand la petite troupe fut à bonne distance, l’enseigne ordonna aux arquebusiers de s’arrêter. Depuis le début de la marche, d’Erlach avait remarqué un brave de haute stature et à la coiffure de plumes richement ornée. Il en conclut qu’il devait s’agir du fameux Potavou. S’il pouvait l’abattre d’un coup d’arquebuse bien ajusté, l’issue de la bataille tournerait sûrement en faveur des attaquants. En effet, la mort de leur roi provoquerait le désarroi chez l’ennemi. En général, les Floridiens arrêtaient les combats quand le chef tombait.
– À mon commandement ! lança l’officier. En joue !
Essayant de se concentrer le plus possible sur sa cible, l’enseigne visa posément le paraousti. Il ne fallait pas rater. La survie de tous dépendait de son adresse.
– Feu ! hurla-t-il.
Le tir roulant fit des ravages dans la masse compacte des guerriers. Atteint d’une balle en pleine poitrine, Potavou s’effondra comme un bloc. Soudain, un cri strident partit de derrière les Français. Outina venait de donner à ses hommes le signal de l’attaque. La victoire était assurée, les ennemis refluaient en désordre. Alors, les Thimogonas se lancèrent à la curée. Après avoir rechargé leurs armes, les Français leur emboitèrent le pas.
À suivre…
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