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Rêves Brisés (suite de notre roman historique « Terre d’Espérance » sur l’arrivée des Français en Floride)

« L’odyssée de l’horreur – Part II » – Voici la 5ème partie de notre roman historique « Terre d’Espérance », sur les huguenots français partis à la conquête de la Floride.

– La 1ère partie est ici !

Jean-Paul Guis
Un texte original de Jean-Paul Guis, romancier historique

Le capitaine Albert marchait d’un pas tranquille en direction du quai qui se trouvait le long de la rivière Chenonceau qui bordait la forteresse de Charlesfort. Comme tous les jours, il s’assiérait face au charmant cours d’eau. Le capitaine aimait cet endroit paisible, bercé par le chant des oiseaux tropicaux. Le clapotis des vaguelettes qui venait mourir contre les piliers de bois lui procurait une sensation de quiétude absolue. Ce calme permettait au commandant du fort de réfléchir et surtout de prendre des décisions au sujet des problèmes inquiétants qui perturbaient la nouvelle colonie française dont il avait la charge.

Depuis le départ pour la France de la flottille de Jean Ribault, les destinées de Charlesfort s’étaient tout d’abord présentées sous des auspices favorables. Immédiatement après l’achèvement des derniers travaux de fortification, la petite garnison avait noué des contacts amicaux avec les tribus environnantes. Les échanges de marchandises et de nourriture avec les indiens menaient bon train et les invitations par ces derniers aux fêtes de saison s’enchainaient les unes aux autres. Les banquets en compagnie de ces voisins accueillants se succédaient tant et si bien que les Français oublièrent de mettre en œuvre la culture du sol autour de la forteresse afin de subvenir à leurs besoins alimentaires pendant les quelques mois d’hiver. En effet, les réserves de nourriture  des natifs étaient comptées et celles du fort étaient loin d’être éternelles. Pour comble de malchance, un incendie malheureux s’était déclaré et avait ravagé la quasi-totalité des bâtiments de la petite colonie. Par bonheur, leurs voisins étaient venus à la rescousse pour la reconstruction des édifices dans le style du pays.

Tous ces enchainements de circonstances avaient provoqué un certain laisser-aller au sein de la troupe. En contrepartie, le capitaine Albert avait réagi à cette situation avec une rigueur extrême. Un dénommé Guernache, ancien tambour aux Gardes françaises (unité prestigieuse de la Maison du Roi), fut condamné à être pendu pour un motif si futile qu’il en a été oublié par l’histoire. Comme personne ne voulait exécuter la sentence, Albert fit donc lui-même office de bourreau. La situation arriva à son comble quand un autre soldat, Lachère (dont nous reparlerons plus tard), fut exilé sur une île déserte et abandonné à mourir de faim. Tout en se remémorant ces événements dramatiques, le capitaine qui ne regrettait pas ses cruelles décisions sentait bien qu’un vent de mutinerie menaçait de balayer son autorité. Comment sortir de cette impasse et reprendre la situation en main ?

Le commandant de Charlesfort était tout à ses pensées quand un groupe de soldats brandissant des rapières et des poignards lui barra soudain le passage. Devant leur attitude menaçante, Albert fit un pas en arrière et mit la main à l’épée.

– Que me voulez-vous ? lança-t-il d’un ton qui se voulait assuré. Si vous êtes ici pour me chercher querelle, je vous ferai tous pendre. Mon autorité est absolue et mes décisions sont sans appel !

– Mort au tyran ! jeta un des agresseurs.

– À moi ! On m’assassine ! eu encore le temps de crier le capitaine.

Sans un mot, les pseudo-bourreaux le percèrent cruellement de leurs armes sans que personne ne vienne le secourir.

*

Les voiles pendantes comme des feuilles mortes, le petit brigantin était immobilisé au beau milieu de l’océan. Les vents étaient subitement tombés depuis environ trois semaines. Le navire qui avait quitté Charlesfort à destination de la France se trouvait bloqué par des calmes plats après avoir parcouru seulement un tiers du chemin. A son bord se trouvait la garnison de mutins qui suite à l’assassinat de leur chef avait élu un nouveau capitaine : Nicolas Barré. À sa décharge, il faut dire que ce dernier n’avait eu d’autre choix que d’accepter afin d’éviter la colère de ses compatriotes.

Le capitaine Barré était un marin accompli qui avait commandé en second la malheureuse expédition au Brésil  conduite par le chevalier de Villegagnon. Engagé comme cartographe par Jean Ribault, il avait été aussi un des premiers navigateurs français à croiser au large des côtes de Floride une dizaine d’années auparavant. Autant dire qu’en faisant un tel choix, les révoltés de Charlesfort avaient considérablement augmenté leurs chances de retourner au pays à bord de ce frêle esquif.

Immédiatement après l’élection de leur nouveau leader, les membres de la garnison décidèrent à l’unanimité de rentrer en France. Les mutins pensaient qu’ils avaient été oubliés dans ce coin perdu du bout du monde et que la famine suivie de la mort était tout ce qu’il y avait à espérer. Cependant, pour mettre ce projet à exécution, il fallait construire un bateau capable d’effectuer la longue traversée du retour car Jean Ribault avait ramené les deux seuls navires de l’expédition. Le bois ne manquait pas, mais les toiles pour confectionner la voilure, les câbles pour faire les cordages, le goudron pour étancher la coque et les ferrements pour assembler la charpente ne figuraient pas dans les entrepôts de la petite colonie. Pire encore, les menuisiers et charpentiers nécessaires à la construction d’un tel navire manquaient à l’appel. En effet, seuls des soldats aguerris étaient restés sur place sans aucun représentant de ces précieux corps de métiers. Refusant de se laisser décourager par de tels obstacles, la garnison se mit au travail. Rapidement, une aide toute à fait inattendu fit son apparition. Au courant de ce projet, les Floridiens des tribus voisines coupèrent de grands arbres dans la forêt et vinrent les apporter au chantier. Cette générosité soudaine découlait-elle de sentiments purement amicaux ou du désir de voir ces étrangers quitter le pays une bonne fois pour toutes ? Nul ne le sera sans doute jamais.

Une fois la carcasse du navire achevée, les indiens montrèrent aux Français comment substituer le goudron par de la résine et leur offrirent des cordages tressés avec des lianes. De leurs côtés, les membres de la garnison utilisèrent leurs draps de lit et tout le linge disponible pour confectionner des voiles. Le résultat se révéla au-delà de toute espérance et le capitaine Barré déclara que ce petit brigantin serait capable d’affronter les tempêtes d’hiver de l’Atlantique Nord.

L’équipage se tenait autour de son chef qui serrait fermement dans la main droite une poignée de bouts de pailles. Nicolas Barré tremblait d’horreur en pensant lequel d’entre ses hommes tirerait le brin le plus court ! Lentement, chacun commença à prendre une tige, le capitaine héritant du dernier brin qui lui resterait dans la main. Ce tirage à la courte paille découlait d’une imprévoyance fatale. Cette longue période de calme plat n’ayant pas été anticipée, les vivres n’avaient pas été stockés en quantités suffisantes. Après avoir fait bouillir en dernier recours le cuir des ceintures et des chaussures, la famine avait commencé à faire des ravages. L’eau faisant également défaut, les Français en avaient été réduits à boire leur urine. Face à cette situation, l’impensable avait été décidé. La survie du groupe contre la vie d’un d’entre eux. Dévorer un de leur compagnon afin de subsister jusqu’à la reprise des vents !

Maintenant, tout le monde tenait un brin devant lui. Nicolas Barré demanda à ses hommes de s’approcher afin de comparer les longueurs. Très rapidement, il s’avéra que la courte paille avait été tirée par le pauvre Lachère, le même qui avait été exilé sur une île déserte par le trop sévère capitaine Albert. Hébété, le malheureux tenait à la hauteur de son visage ce brin minuscule aux abominables conséquences. Le capitaine s’approcha et lui passa le bras autour du cou afin d’essayer de l’apaiser. Il lui murmura quelques paroles inaudibles par ses compagnons quand Lachère s’affaissa comme une masse. Un autre soldat venait de lui enfoncer par surprise un poignard en plein cœur. La mort fut quasi-instantanée.

Quelque temps plus tard, le vent repris et le petit brigantin finit par croiser un vaisseau de Sa Gracieuse Majesté au large des côtes d’Angleterre. La reine Elizabeth 1ere allait bientôt être au courant des projets secrets de colonisation de la Floride par la France.

À suivre…

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Voir le portrait que nous avons consacré à Jean-Paul Guis

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