« Identitaire » ou « socialiste » : le Parti Democrate américain cherche sa radicalité
Deux ans après la défaite présidentielle de sa candidate Hillary Clinton face à un politicien amateur et débutant, le Parti Démocrate cherche toujours à se renouveler, d’autant plus que se profilent les élections générales du 6 novembre. Il lui faudra gagner 25 sièges pour s’emparer de la Chambre des Représentants, et pour le moment la victoire ne lui est pas assurée.
Crédit pour les trois photos ci-dessus : Facebook et : Alexandria Ocasio-Cortez, Calexit et Christine Hellquist.
En quête de renouvellement, les militants Démocrate comme les autres électeurs progressistes américains, sont confrontés à un choix qui n’est pas nouveau, puisqu’il leur avait été déjà présenté durant la primaire présidentielle : soit accentuer une ligne « identitaire », comme l’a fait Hillary Clinton, avec une défense des minorités (de race, de sexe ou de genre) afin de leur promettre une plus grande égalité dans la société américaine (1), soit une ligne plus « socialiste » avec Bernie Sanders et ses troupes (qui n’étaient pas passés loin de la victoire lors de cette primaire).
[ot-video type= »youtube » url= »https://youtu.be/N708P-A45D0″]Mais le Parti Démocrate ne posera pas le débat en ces termes-là : personne (ou presque) n’y citera en mal la « voie identitaire ». Cela impliquerait que le Parti cesse de soutenir d’une manière spéciale des minorités qui historiquement ont un problème d’accès à l’égalité bel et bien spécial (à commencer par les femmes, les afro-américains… qui ne sont pas des « petites » minorités). Autant dire qu’il y a des plumes à perdre pour les candidats. Mais, dans la réalité, c’est ainsi que le débat se pose.
Ce qui est nouveau, c’est que certains osent dénoncer une certaine forme de « communautarisme » démocrate. C’est un fait, dès sa première vidéo de campagne électorale (1) Hillary Clinton s’était adressée à chaque minorité comme à une cible commerciale. D’autres symboles « identitaires » importants avaient jalonné la campagne, comme par exemple le mouvement « Black Lives Matters » (qui n’avait d’ailleurs pas toujours été tendre avec Mme Clinton), de même que les mouvements de défense des transexuels qui avait également obligé la candidate à réagir sur le bien fondé de leur consacrer des toilettes publiques. Or ces signaux en faveur des minorités… ne forment pas forcément une majorité, et c’est la leçon principale de l’élection présidentielle de 2016. Et il est même patent (par exemples avec les toilettes pour transexuels) qu’une grande partie de l’électorat américain n’a pas eu la sensation que le Parti Démocrate ait les mêmes problèmes et priorités que lui. Pour la classe moyenne et une grande partie des pauvres, cette « ignorance » démocrate impliquait de voter contre Hillary Clinton, et donc… pour Donald Trump (puisqu’il était le seul autre candidat important). Clinton les ayant en cours de route traités de « deplorables » : la boucle des bons sentiments était bouclée. Cette élection de 2016 entérinait une évidence : de la même manière qu’en France, les progressistes américains étaient désormais totalement coupés de leur base électorale historique : la « working class » et les pauvres.
Le seul intellectuel à avoir osé réagir sur ce sujet (dès la défaite) est Mark Lilla, par une tribune dans le New-York Times intitulée « La fin de la gauche d’identité » (2). Il a rapidement reçu beaucoup de réponses hostiles, comme par exemple Lovia Gyarkye dans The New Republic : « Mark Lilla prétend que le Democratic Party a besoin de passer par delà les politiques d’identité. Mais c’est précisément là que réside le salut du pays. » (3)
LES SOCIALISTES EN FORCE POUR LES PRIMAIRES
A quelques semaines des élections de mid-term, c’est sans véritablement avoir posé le débat, et en ordre considérablement dispersé, que les candidats Démocrates s’avancent. Néanmoins, les partisans du socialiste Bernie Sanders n’ont pas besoin de parler de ces « problèmes d’identité » pour faire valoir des points de vue différents. Il se pourrait que son courant réalise un ras-de-marée lors des prochaines primaires, et en conséquence, si c’était le cas, une immense surprise : pour la première fois l’un des deux grands partis américains deviendrait socialiste. La différence entre les « Sandersiens » et les « identitaires » : se soucier de faire avancer toute l’Amérique vers l’égalité, et pas seulement « flatter les minorités ». Ils souhaitent aller chercher tous les électeurs épris de « justice sociale », y compris évidemment les électeurs subissant des problèmes : qu’ils aient voté Trump ou pas, ça ne leur pose pas de problème de conscience. Les « identitaires », pour leur part, n’iront jamais chercher les voix des électeurs de Trump, car ils les dénoncent comme étant des « blancs racistes ».
ALEXANDRIA, NOUVELLE PASIONARIA SOCIALISTE
Si la plus spectaculaire défaite des « socialistes » fut celle de Bernie Sanders en 2016, leur plus spectaculaire victoire date du 27 juin 2018, quand Alexandria Ocasio-Cortez, 28 ans, a écrasé – avec ses 57% – Joseph Crowley, l’un des plus éminents parlementaires du Parti Démocrate, durant la primaire de New-York. « Ocasio » est un bel exemple de l’emballement autour de la campagne de Bernie Sanders en 2015-2016 : c’est pour le soutenir qu’elle s’était elle aussi lancée en politique. Mais si le sénateur du Vermont s’est parfois présenté comme un « socialiste américain », il n’est pas, comme elle, membre des Democratic Socialists of America (DSA). Leurs destins sont toutefois liés : ce mouvement né en 1983 comptait 6000 membres avant la candidature de Sanders, et aujourd’hui 30 000. Ils sont en faveur de la création d’un système universel de santé, la gratuité des universités publiques, l’abolition de la police d’immigration et du système d’«incarcération de masse».
Le journaliste Jacob Hamburger notait en juillet lors d’une tribune dans Libération (4): « en confondant le progrès avec l’accès non discriminatoire à l’élite sociale, le Parti démocrate n’a pas pu fournir de réponse à la crise économique de 2008 ni à l’explosion des inégalités sociales aux Etats-Unis. En positionnant leur programme comme un affrontement avec l’establishment démocrate, les socialistes démocratiques le posent comme un rejet de cette vision méritocratique. L’idéal prôné par Ocasio-Cortez et ses camarades n’est pas l’accessibilité aux positions d’élite, mais une société fonctionnelle pour tout le monde. » Affrontement, c’est le mot, il suffit d’écouter la vidéo de candidature d’Alexandria Ocasio pour voir avec quelle violence la jeune femme a traité son opposant Démocrate : la rupture est consommée.
– A propos du rejet de la société méritocratique, lire notre article ici
[ot-video type= »youtube » url= »https://youtu.be/rq3QXIVR0bs »]ET LES ANTIFAS….
Donald Trump a tout fait pour provoquer la radicalisation des Démocrates avec, si possible, des mouvements d’hystérie à son encontre. Un grand nombre de ses provocations leur était destinée, comme un chiffon rouge agité devant un taureau. Durant les primaires, les militants ont en effet tendance à choisir les candidats les plus virulents… qui sont aussi les plus inoffensifs en matière électorale. Ceux-là, les ultras, sont souvent inspirés par les universités d’extrême-gauche, comme par exemple Berkeley en Californie, qui traite Donald Trump de « nazi » depuis 4 ans, et propose sans véritablement de succès la sécession de la Californie. Que ce soit l’antinazisme, le communisme ou la fuite en avant des « identitaires » : toute radicalisation conviendra au président Trump. Et, effectivement, ce n’est pas parce que de nouvelles voix se font entendre, que les Démocrates s’en retrouveront instantanément renouvelés.
En tout cas pas forcément sur la ligne socialiste. Le 14 août 2018, une candidate transgenre, Christine Hallquist (5), a gagné la primaire démocrate pour devenir gouverneur du Vermont, l’Etat dont Bernie Sanders est sénateur. C’est une première aux Etats-Unis, et Christine Hallquist a reçu le soutien et les félicitations d’Alexandria Ocasio-Cortez.
Cette nouveauté va certainement mobiliser les électeurs du Vermont durant l’élection gouvernatoriale. Mais ça représente aussi des millions de voix perdues pour les Démocrates dans le reste des Etats-Unis. Certains y verront du sexisme. D’autres continueront de penser que les Démocrates ne s’intéressent qu’aux minorités, et pas à eux. Ainsi va la démocratie américaine.
– (1) https://youtu.be/N708P-A45D0
– (2) www.nytimes.com/2016/11/20/opinion/sunday/the-end-of-identity-liberalism.html
– (3) www.newrepublic.com/article/138943/enduring-importance-identity-liberalism
– (5) www.nytimes.com/2018/08/14/us/politics/christine-hallquist-vermont.html
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