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Les USA et l’UE s’en prennent maladroitement aux monopoles des GAFAM

Le 9 décembre dernier, la FTC (Federal Trade Commission), et 46 états américains (sur 50) ont porté plainte contre Facebook pour « abus de position dominante et de monopole illégal ». Aux Etats-Unis, la loi antitrust interdit en effet qu’une ou plusieurs sociétés s’organise(nt) pour interdire la concurrence. Or Facebook est ici accusé de « maintenir illégalement son monopole sur le réseautage social personnel grâce à une conduite anticoncurrentielle de plusieurs années« . Pour Ian Conner, responsable de la FTC : « Les actions de Facebook pour consolider et maintenir son monopole privent les consommateurs des avantages de la concurrence. Notre objectif est de faire reculer le comportement anticoncurrentiel de Facebook et de restaurer la concurrence afin que l’innovation et la libre concurrence puissent prospérer« .

En l’espèce, Facebook est accusé d’avoir racheté ses concurrents Instagram et WhatsApp afin de préserver sa position de monopole.

Si le (grave) monopole des GAFAM (1) n’est pas discutable, la bonne foi de Facebook l’est peut-être sur le dossier de ces deux applications : elles se sont essentiellement développées APRES le rachat par Facebook. C’est tellement vrai que la même FTC (qui attaque aujourd’hui cette situation de monopole) avait à l’époque elle même autorisé les deux achats par Facebook !

Ainsi, le législateur fait les gros yeux… mais ce n’est pas forcément comme ça qu’il va concrètement régler les problèmes de monopoles. D’ailleurs, si Instagram et WhatsApp devaient être vendus, ce serait sûrement une belle « punition » contre Facebook, très certainement un avertissement concret pour les GAFAM…. mais on ne voit pas bien en quoi ça changerait leur situation de monopole.

L’EUROPE SE DONNE DES FRISSONS

En matière de « gros yeux », c’est chacun son tour en ce moment. L’Union Européenne a présenté le 15 décembre ses nouvelles « réglementations de l’espace numérique », mais avec là aussi les GAFAM en ligne de mire. L’objectif est de s’en prendre aux monopoles, mais comme l’UE ne sait pas plus comment faire, elle aussi continue de tourner autour du problème comme elle le fait depuis la naissance d’internet : elle fait semblant de faire des choses. Pour le commissaire européen Thierry Breton, il y a donc aujourd’hui cette déclaration de bonnes intentions : « Tout ce qui est interdit dans l’espace physique doit être interdit dans l’espace online. » (2) Dans le détail, par exemple sur le volet (important en Europe) de la « lutte contre la haine en ligne », le nouveau texte propose une obligation de moyens : grosso modo, il va falloir que les réseaux sociaux investissent de plus en plus pour faire la police… Et si les moyens ne sont pas à la hauteur de l’enjeu, c’est là que Thierry Breton revient sur le problème du monopole : « Si, de façon répétée, on ne suit pas toutes les règles, on pourra aller jusqu’au démantèlement sur le marché européen. » On peut traduire ça de cette manière : les monopoles sont interdits en Europe, mais on les autorise quand même, tout en les embêtant un petit peu, le temps de se laisser 20 ou 30 ans pour trouver la solution. L’Union Européenne vient de travailler un an pour accoucher de ça !!!!!! L’Allemagne n’avait pas attendu l’UE pour voter ce même genre de bidules qui ne servent à rien : depuis le 1er janvier 2018 la loi NetzDG (3) y condamne (en théorie) à des années de prisons et des millions de dollars d’amendes les réseaux sociaux déversant des fausses nouvelles et des propos haineux. Résultat, à peine Twitter et Facebook décidaient d’appliquer cette loi et d’enlever les propos d’une députée allemande… que tout le pays criait à la « censure » !

– 1 – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.

– 2 – Wow, Mark Zuckerberg n’a pas dû en dormir de la nuit !!!!

– 3 – Le nom de cette loi est inoubliable : La loi Netzwerkdurchsetzungsgesetz.


NOTRE ANALYSE : ET SI LES GAFAM AVAIENT CONNUS LEURS PLUS BELLES ANNEES ?

par Gwendal Gauthier, directeur du Courrier des Amériques.
par Gwendal Gauthier, directeur du Courrier des Amériques.

Mais ce n’est pas forcément pour demain. En tout cas, chacun peut le constater, ce monopole des GAFAM sur le monde numérique est cette fois encore au centre d’un grand nombre d’attentions. Ce n’est pas nouveau, mais à chaque fois la planète frémit, car l’économie numérique est une bulle fragile et centrale dans la vie économique américaine. D’autre part, l’environnement juridique de cette bulle est bel et bien en train d’évoluer, même si le législateur ne sait pas trop par où commencer. Un jour où l’autre, on le sent bien, les monopoles vont être cassés. Ses opposants, les « cyberlibertariens » et autres « libreurs » (partisans d’un internet à la liberté sans limite), semblent de moins en moins résistants face aux Etats. Petit à petit, internet a commencé à être soumis à certaines lois… et ça risque de s’enchaîner très vite : le législateur danse doucement, parfois maladroitement, mais il avance vers le cœur du problème….

Avant d’en arriver là, il aura fallu que les pionniers du net tombent de leur (très élevé) piédestal. Désormais, par exemple, Zuckerberg n’est plus le nom d’un ange branché, mais celui d’un ennemi très concret des libertés planétaires.

UN MONOPOLE NON-DESIRE

Le « problème » de Facebook, comme des autres GAFAM, c’est qu’ils sont de facto en position de monopoles, sans même chercher à l’être. C’est d’ailleurs ce qu’ils répondent : « nous n’avons pas cherché à être géniaux ». Dans la réalité, le génie n’y est pas pour grand chose. En effet, les internautes veulent simplement échanger leurs idées, marchandises, conceptions, photos ou vidéos sous le même entrepôt, et pas dans un autre. Et si au départ certains hésitaient entre Dailymotion et Youtube…. il semblerait que ce genre de débats soit tranché depuis bien longtemps. Les consommateurs conservent bel et bien aujourd’hui leur « liberté d’aller ailleurs »… mais tout le monde utilise pourtant les mêmes entrepôts : un pour discuter, un pour mettre ses vidéos, un pour acheter des choses etc…

Si au contraire les GAFAM avaient chacun un « bon petit concurrent » qui leur permettait de perdurer sans être ainsi accusé de « position de monopole », ils en seraient peut-être satisfaits. Mais ça ne changerait pas la nature du problème : monopole il y a. Il y a un monopole « de fait », qui ne devrait pas exister, et les GAFAM ne font rien pour le renforcer illégalement. Ils n’en ont pas besoin. Pour utiliser une métaphore, c’est un peu comme si les GAFAM avaient inventé les routes et qu’ils étaient propriétaires de tout le réseau. Quel chef d’entreprise serait assez idiot pour venir tenter de « casser les monopoles » en créant de nouvelles routes à côté de celles qui existent déjà ?

UN AVENIR ECONOMIQUE SOMBRE POUR LES GAFAM ?

Rappelons au passage qu’on parle ici d’un « monopole du gratuit » pour Facebook, Amazon, Google ou Youtube : leurs « entrepôts en ligne » ne font que prélever des taxes marginales sur nos (considérables) échanges, mais ils sont en accès gratuits pour les consommateurs. Ils ne peuvent pas dire qu’on abuse de leur argent.

Et à l’heure de s’en prendre aux monopoles des GAFAM, il faut aussi savoir que les modèles économiques de ces entreprises sont dorénavant clairement menacés. Les seuls investissements réalisés dans le développement de leurs logiciels l’ont été au profit de l’intelligence artificielle (IA), et dans le seul domaine de la publicité. Or d’autres lois se développent actuellement pour interdire la collecte et la manipulation des données personnelles, qui sont finalement le seul enjeu pour ces entreprises. La dernière loi votée par l’Etat de Californie le 3 novembre donne le ton : il n’est pas évident que les réseaux sociaux puissent avoir un avenir très performant du côté de l’Intelligence Artificielle.

Alors, entre avantages qui s’estompent et inconvénients qui s’accumulent… alors même que leur taille continue d’enfler, c’est tout l’avenir économique des GAFAM et des réseaux sociaux qui s’assombrit. En parallèle, comme chacun le sait, ils sont (très justement) accusés d’accentuer mille problèmes concernant la liberté d’expression, la censure, les interférences politiques, la rémunération des journalistes, la diffusion de fausses nouvelles etc… Leur monopole ne va bientôt plus être très désirable, et il ne serait pas même étonnant que certains propriétaires commencent à être tentés de vendre…. avant que leur nom ne devienne synonyme d’un trop grand nombre de problèmes.

En conclusion de cette analyse, sur tout un tas d’aspects problématiques liés aux GAFAM, Il nous apparaît assez curieux que des Etats reprochent à des sociétés privées de ne pas assurer le service public (police, censure, liberté d’expression…). Et aujourd’hui, ils viennent en plus leur reprocher d’être en situation de monopole !?! Qu’attendent les Etats pour monter des « entrepôts publics » qui obéiraient à leurs propres lois et réglementations ? Ca règlerait d’un seul coup les deux problèmes (service public et monopole), et ça permettrait aux Etats d’être confrontés à l’applicabilité de leurs propres lois.

En attendant, il y a urgence, et les Etats en ont pris conscience. Donc ils se dépêchent… de faire de la fumée.

Gwendal Gauthier

(directeur du Courrier des Amériques)


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