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On a testé pour vous : le concert de blues phénoménal de Kingfish

Certes, il n’est pas tout seul dans ce « renouveau blues » (il y a aussi des noms comme The Marcus King Band, ou encore Rhiannon Giddens et son banjo…), mais il y aura tout de même un avant et un après « Kingfish ». Depuis la disparition de BB King et de Johnny Winter, les guitare-héros étaient un peu standardisés, claptonisés, au point où on se demandait si en ce début de XXIe siècle ce n’était pas simplement le XXe qui se refermait aussi doucement qu’une note bleue sur une corde de guitare. Ce ne sera pas le cas : le blues a désormais un présent.

Alors, la première fois qu’on a entendu jouer Christone « Kingfish » Ingram, comme des millions d’autres personnes c’était sur Youtube pour une de ses performances phénoménales sur des reprises comme « Purple Rain », avec des solos de guitare qui n’en finissent pas et alors qu’il n’était pas même majeur. En voyant ça, on avait un peu peur que ce soit encore un de ces ados qui fait du sport avec ses doigts. En concert, certes il lui arrive aussi de jouer avec ses dents, mais on a toutefois eu une impression inverse de ce qu’on aurait pu redouter : Kingfish – qui a désormais 24 ans – est même un peu « roots », obnubilé par la fusion entre lui et la guitare telecaster fabriquée à son nom par l’enseigne Fender. Oh il en a une deuxième de guitare « Kingfish » derrière lui durant le show… mais c’est exactement la même (au cas où il casse une corde). La fusion est totale : le jour où il est allé « at the crossroads » pour vendre son âme au diable, il devait avoir cette Fender avec lui, c’est obligatoire, car c’est comme ça qu’on devient un guitare-héros dans l’Etat du Mississippi (1). Plus sérieusement, Christone souffre du syndrome d’Asperger, une forme d’autisme qui est souvent accompagnée de compétences exceptionnelles dans le domaine où les personnes se surinvestissent.

Durant le show, hormis le synthé qui s’énerve parfois, la section rythmique est bien sage. Le seul élément explosif de ce concert, c’est Christone et sa telecaster. On le reverra dans quelques années, c’est certain, avec des choristes embauchées à la sortie d’une église, et peut-être même quelques cuivres jazzy. Mais pour le moment, écouter Kingfish c’est prendre l’autoroute pour le Sud, et pas forcément de la manière la plus douce. Il aime aussi bien jouer avec les silences que de s’approcher de riffs agressifs que n’auraient pas reniés Jimmy Hendrix ou Billy Gibbons ! Mais, Christone Ingram est tout sauf un musée. Comme disait Johnny Hallyday, le blues servait « à chanter les peines et les espoirs », et la « peine » est aujourd’hui parfois plus d’actualité que « l’espoir » pour un très grand nombres de communautés noires : pas besoin d’aller chercher très loin, quand on est du Mississippi, pour voir – et avoir – des bleus à l’âme. Si la lutte pour les droits civiques a de bien beaux musées dans le sud des USA, la peine n’y est pas encore rangée.

Il décrit l’ambiance quand il est allé jouer à la Maison Blanche en 2014. « Être un jeune Noir originaire du Mississippi et se retrouver à Washington, c’est exceptionnel, d’autant qu’à l’époque, Michael Brown et Trayvon Martin venaient d’être assassinés. Cette conjonction d’événements m’a subitement donné envie d’écrire des paroles à ce sujet. Ce que nous vivons aujourd’hui est le blues du XXIe siècle. Il faut absolument que nous composions des chansons en phase avec notre réalité. Évidemment, je préférerais imaginer des œuvres positives et heureuses mais la situation n’évoluera pas si nous ne commentons pas dans nos chansons les exactions d’aujourd’hui. Le monde de l’art doit se mobiliser pour éclairer les consciences. Par conséquent, j’écris davantage aujourd’hui. Depuis les heures sombres de la ségrégation raciale, la situation a tout de même progressé. Je ne dis pas que les brutalités policières n’existent plus, je dis juste qu’elles font partie de notre blues actuel. Pour autant, il ne faut pas réduire cette forme d’expression à une tonalité totalement négative. Le blues peut être heureux, il peut être contestataire, il peut être un contre-pouvoir positif. Il est de notre devoir de le rappeler sans cesse. Tous les jeunes Américains noirs, qu’ils soient bluesmen ou non, doivent protester ! ». (Kingfish – Octobre 2021).

Le blues est-il dès lors une nécessité, qui n’attend que l’apparition récurrente de nouveaux magiciens, tel Christone, à envoûter ?

En mai 2019, il enregistre son premier disque (logiquement nommé « Kingfish ») sur le prestigieux label de blues Alligator Records, et est salué par toutes les critiques. Depuis lors, il accumule les récompenses. En avril 2022 il a publié son deuxième LP pour sa part baptisé « 662 », du nom de l’indicatif téléphonique du nord du Delta du Mississippi. Il a reçu le Grammy Award du meilleur album blues de l’année.

Ainsi, s’il y a de plus en plus de concerts de groupes de « revival », pour le blues, pas besoin. Il y a une actualité. En concert, Kingfish multiplie les ovations des foules qui se mettent debout toutes les 5 minutes pour l’applaudir… Pas besoin d’en rajouter, si ?

– 1 – En tout cas c’est la légende qu’a laissé courir Robert Johnson !

www.christonekingfishingram.com


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