A LA UNE à Miami et en FlorideEtats-Unis : Musique

Les temples sacrés de la musique américaine : nos studios d’enregistrement préférés !

Du Delta du Mississippi aux gratte-ciel de New York, les États-Unis abritent les sanctuaires où s’est écrite la bande-son du XXe siècle. Derrière chaque tube légendaire se cache un lieu où la magie opérait : un micro placé par hasard, une acoustique imparfaite devenue mythique, une session improvisée qui a changé le cours de la musique. Ces studios sont bien plus que des salles tapissées de mousse : ce sont des laboratoires d’émotion, des lieux de liberté où les artistes pouvaient créer sans contrainte, loin du tumulte de l’industrie. Ici, les genres sont nés, les frontières se sont effacées, et des générations de musiciens ont trouvé leur voix. Certains de ces studios continuent d’accueillir des enregistrements aujourd’hui, d’autres se visitent comme des musées vivants. Tous partagent la même aura : celle d’endroits où l’histoire de la musique s’est jouée, note après note, dans un équilibre fragile entre technique et inspiration.

Sun Studio, Memphis (1950) – « Le berceau du rock ‘n’ roll »

Sun Studios
Sun Studios

Dans un ancien garage automobile du 706 Union Avenue, Sam Phillips a ouvert ce qui allait devenir le lieu saint du rock. C’est ici qu’en 1951 fut enregistré « Rocket 88 », considéré comme le premier single de rock ‘n’ roll. En 1953, un adolescent nerveux nommé Elvis Presley y enregistre « My Happiness » pour sa mère. Le 4 décembre 1956, une jam session improvisée réunit Elvis, Johnny Cash, Jerry Lee Lewis et Carl Perkins – le légendaire « Million Dollar Quartet ». B.B. King, Howlin’ Wolf, Roy Orbison… tous sont passés par ce studio minuscule de 600 pieds carrés. Sam Phillips avait marqué des « X » au sol pour positionner les micros aux endroits où la résonance était optimale. Ces marques sont toujours visibles aujourd’hui. Le studio a fermé dans les années 70 avant de rouvrir en 1987 comme attraction touristique et studio actif.

 www.sunstudio.com

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Capitol Studios, Los Angeles (1956-présent) – « La maison que Nat a construite »

Au cœur de Hollywood, à l’angle de Hollywood Boulevard et Vine Street, s’élève un bâtiment circulaire de 13 étages conçu pour ressembler à une pile de disques vinyles. Inauguré en 1956, Capitol Studios a été le premier immeuble de grande hauteur construit à Hollywood après la Seconde Guerre mondiale. Le fondateur de Capitol Records, Glenn Wallichs, avait d’abord rejeté le design circulaire, craignant qu’il ne ressemble à « une pile de disques », mais les architectes l’ont convaincu que cette forme réduirait les coûts de construction et améliorerait la climatisation. L’ironie veut que cette ressemblance soit devenue sa signature iconique. Frank Sinatra a été le premier artiste à enregistrer dans le nouveau studio le 22 avril 1956, capturant son album « Close to You » dans le Studio A. Nat King Cole, dont le succès commercial a valu à la tour le surnom de « la maison que Nat a construite », y a enregistré jusqu’à sa mort en 1965. Les Beach Boys y ont enregistré des portions de « Surfin’ U.S.A. » en 1963. Le studio possède une innovation révolutionnaire conçue par l’inventeur et guitariste Les Paul : huit chambres d’écho souterraines, des bunkers en béton situés à 30 pieds sous terre, capables de produire une réverbération durant jusqu’à cinq secondes. Cet effet est particulièrement audible dans le classique des Beach Boys « Good Vibrations ». Le bâtiment lui-même est devenu un monument culturel historique de Los Angeles. Sa flèche de 90 pieds au sommet clignote continuellement le mot « Hollywood » en code Morse grâce à une lumière rouge. Le studio a continué d’accueillir des légendes à travers les décennies : Prince, Barbra Streisand, Green Day, Billie Eilish, John Mayer. Les Oscars y ont été organisés deux fois au cours des deux dernières décennies. Contrairement à beaucoup de studios historiques devenus musées, Capitol Studios reste un studio d’enregistrement actif de premier plan, où l’on peut encore utiliser les chambres d’écho originales, enregistrer avec le Steinway que Nat King Cole jouait, et graver un disque vinyle sur les lathes Neumann vintage des années 1950, le tout dans le même bâtiment.

www.capitolstudios.com

RCA Studio B, Nashville (1957-1977) – « Le foyer de 1000 hits »

RCA Studio B
Le « piano d’Elvis » au RCA Studio B

Construit en 1957 grâce au succès phénoménal d’Elvis Presley chez RCA, le Studio B est devenu le berceau du « Nashville Sound ». Sous la direction de Chet Atkins et du producteur Steve Sholes, ce style sophistiqué caractérisé par des chœurs et des cordes a révolutionné la country et établi Nashville comme centre d’enregistrement international. Elvis y a enregistré plus de 240 chansons, dont « Are You Lonesome Tonight » et « It’s Now or Never ». L’ingénieur Bill Porter a accroché des panneaux triangulaires au plafond (les « Porter Pyramids ») pour améliorer l’acoustique et marqué des « X » au sol pour positionner les artistes aux endroits optimaux. Dolly Parton, lors de sa première session en 1967, était si pressée qu’elle a percé le mur du studio avec sa voiture – la marque est encore visible ! Roy Orbison, les Everly Brothers, Waylon Jennings, Willie Nelson… Plus de 47 000 chansons y ont été enregistrées avant sa fermeture en 1977, le lendemain de la mort d’Elvis. Aujourd’hui géré par le Country Music Hall of Fame, c’est le seul studio historique de Nashville ouvert au public.

www.studiob.org

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Criteria Recording Studios, North Miami (1958-présent) – « Atlantic Studios South »

Criteria Recording Studios (Studio D).
Criteria Recording Studios (Studio D). Crédit photo : Simon Soong / Criteria Records

Fondé en 1958 par le trompettiste Mack Emerman sur la West Dixie Highway, Criteria est devenu l’annexe tropicale d’Atlantic Records dans les années 1970. James Brown, Aretha Franklin, Eric Clapton (« Layla »), les Eagles (« Hotel California »), les Bee Gees (« Saturday Night Fever ») et plus de 300 disques d’or y ont été créés dans la plus grande discrétion.

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Stax Records, Memphis (1958-1975) – « Soulsville USA »

Stax Records et son quartier à Memphis
Stax Records et son quartier à Memphis

Dans un ancien cinéma Capitol au 926 East McLemore Avenue, dans le ghetto noir de Memphis, Jim Stewart et sa sœur Estelle Axton ont créé l’un des labels de soul les plus importants de l’histoire. En pleine ségrégation, Stax était un havre d’harmonie interraciale où musiciens blancs et noirs travaillaient ensemble. Otis Redding, Isaac Hayes, Sam & Dave, Booker T. & the M.G.’s, les Staple Singers… Le « Memphis Sound » de Stax se caractérisait par des lignes de cuivres mélodiques, un orgue Hammond omniprésent et un rythme de batterie entraînant. Les Memphis Horns et la Hi Rhythm Section ont forgé un son distinctif, plus policé que la soul rurale du Sud profond. Entre 1960 et 1975, Stax a placé 167 hits dans le Top 100 pop et 243 dans le Top 100 R&B. Le studio a fermé en 1975 mais a rouvert en 2003 comme musée, sur le site original.

 www.staxmuseum.org

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Capricorn Sound Studios, Macon, Géorgie (1969-1979) – « Le berceau du Southern Rock »

Matt Lang (à gauche) s'occupe du musée et Rob Evans est l'ingénieur du son en chef du studio d'enregistrement Capricorn.
Matt Lang (à gauche) s’occupe du musée et Rob Evans est l’ingénieur du son en chef du studio d’enregistrement Capricorn.

« Il y a trois M dans l’histoire du rock ‘n’ roll : Memphis, Muscle Shoals et Macon », dit la légende. Fondé en 1969 par Phil Walden (manager d’Otis Redding) et ses associés, Capricorn a transformé une ville du Sud profond en épicentre du Southern Rock. Les Allman Brothers Band y ont enregistré des portions importantes de trois albums mythiques. Le studio au 540 Martin Luther King Jr. Blvd possédait des murs en toile de jute, un toit en bardeaux de cèdre et des fenêtres qui créaient une acoustique unique. Marshall Tucker Band, Charlie Daniels Band, Wet Willie, Elvin Bishop… Tous ont contribué à créer ce mélange de blues, soul, rockabilly et country qu’on appelle le Southern Rock. Le label a produit neuf albums de platine et dix-sept disques d’or avant de faire faillite en 1979. Jimmy Carter a déclaré qu’il ne serait jamais devenu président sans Capricorn – les Allman Brothers ont levé des fonds pour sa campagne et joué à son inauguration en 1977. Rénové par l’Université Mercer, le studio a rouvert en 2019. Le studio A original de 1972 est intact, avec ses murs en toile de jute, son tapis et pratiquement tout d’origine.

www.capricorn.mercer.edu

Hitsville U.S.A. / Motown, Detroit (1959-1972) – « Le son de la jeune Amérique »

Au 2648 West Grand Boulevard, dans une modeste maison de deux étages, Berry Gordy Jr. a emprunté 800 dollars à sa famille en 1959 pour lancer Motown Records. Ancien boxeur, ouvrier chez Ford et propriétaire d’un magasin de disques en faillite, Gordy a transformé un ancien studio de photographie en ce qui allait devenir la plus grande usine à tubes de l’histoire américaine. Le studio fonctionnait 22 heures sur 24, ne fermant que de 8h à 10h pour la maintenance. Entre 1961 et 1971, Motown a placé plus de 100 titres dans le Top 10. Le secret ? Une « chaîne de montage » inspirée de l’expérience de Gordy chez Ford : des auteurs-compositeurs brillants comme Holland-Dozier-Holland, des producteurs visionnaires, les Funk Brothers (le groupe maison dont les membres ont joué sur plus de tubes que les Beatles, les Stones, Elvis et les Beach Boys réunis), et le « Département de développement personnel des artistes » qui enseignait aux jeunes talents de Détroit comment marcher, parler et se comporter comme des vedettes. La Motown a révolutionné la musique en créant un son soul poli qui traversait les barrières raciales en pleine ségrégation. Smokey Robinson, les Supremes, les Temptations, Marvin Gaye, Stevie Wonder, Martha and the Vandellas… Le Studio A est intact avec son piano Steinway de 1877 (restauré par Paul McCartney en 2011), son orgue Hammond B3, et cette acoustique unique. Gordy a déménagé le label à Los Angeles en 1972. Depuis 1985, Hitsville est un musée géré par Esther Gordy Edwards, la sœur de Berry. L’anecdote de Stevie Wonder, aveugle de naissance, qui mémorisait l’emplacement exact de chaque type de bonbon dans la machine à friandises du bureau pour se servir en douce, résume parfaitement l’atmosphère familiale du lieu.

www.motownmuseum.org

FAME Studios & Muscle Shoals Sound Studio, Alabama (1959 et 1969) – « Le miracle du Sud profond »

« Il y a trois M dans l’histoire du rock ‘n’ roll : Memphis, Muscle Shoals et Macon. » Dans une minuscule ville d’Alabama de 13 000 habitants, deux studios rivaux ont créé le « Muscle Shoals Sound » – ce mélange funky, dur et viscéral de soul, blues, rock et country. Rick Hall a fondé FAME (Florence Alabama Music Enterprises) en 1959, d’abord au-dessus d’une pharmacie, puis dans un entrepôt à tabac, avant de construire le studio actuel sur Avalon Avenue. Hall a décrit le son comme « funky, hard, gutty, down to earth ». Aretha Franklin y a trouvé son son. Wilson Pickett y a enregistré « Mustang Sally ». En 1969, les quatre musiciens de session principaux – Barry Beckett (claviers), Jimmy Johnson (guitare), Roger Hawkins (batterie) et David Hood (basse) –, surnommés « The Swampers » par Leon Russell et immortalisés dans « Sweet Home Alabama » de Lynyrd Skynyrd, ont quitté FAME pour créer leur propre studio concurrent : Muscle Shoals Sound Studio au 3614 Jackson Highway à Sheffield, dans un ancien magasin de cercueils. Premier studio possédé et géré par des musiciens de session, il a rapidement attiré les Rolling Stones, Bob Dylan, Paul Simon, Rod Stewart. Le premier album enregistré là-bas ? « 3614 Jackson Highway » de Cher en 1969, dont la pochette montre le bâtiment et a inspiré l’enseigne iconique. Jerry Wexler d’Atlantic Records, impressionné par le travail des Swampers chez FAME, leur a prêté l’argent de départ et leur a apporté des clients. Ce qui rend Muscle Shoals remarquable, c’est que dans l’Alabama en pleine lutte pour les droits civiques – où le gouverneur George Wallace bloquait physiquement l’entrée d’étudiants noirs à l’université – des musiciens blancs et noirs travaillaient ensemble en harmonie. Rick Hall et les Swampers se sont brouillés après la scission mais se sont réconciliés avec le temps. Les deux studios continuent d’opérer aujourd’hui.

www.famestudios.com and www.muscleshoalssoundstudio.org

Electric Lady Studios, New York (1970-présent) – « La maison que Jimi a construite »

Au 52 West 8th Street dans Greenwich Village à Manhattan, Jimi Hendrix a réalisé un rêve audacieux : créer le premier studio d’enregistrement commercial appartenant à un artiste. En 1968, Hendrix et son manager Michael Jeffery ont acheté The Generation, un club de nuit en faillite que Hendrix fréquentait régulièrement. L’idée initiale était de rouvrir le club, mais l’ingénieur Eddie Kramer a convaincu Hendrix de transformer l’espace en studio d’enregistrement. Les frais astronomiques des longues sessions d’enregistrement d’Electric Ladyland avaient convaincu Jimi qu’il avait besoin de son propre espace créatif. La construction a pris presque le double de temps et d’argent prévu : les permis ont été retardés, le site a été inondé par de fortes pluies pendant la démolition, et des pompes ont dû être installées après la découverte que le bâtiment se trouvait sur l’affluent d’une rivière souterraine. Un prêt à six chiffres auprès de Warner Brothers a été nécessaire pour sauver le projet. Conçu par l’architecte et acousticien John Storyk, le studio présentait des fenêtres rondes et une machine capable de générer une ambiance lumineuse dans une myriade de couleurs. L’artiste Lance Jost a peint l’intérieur dans un thème spatial psychédélique. Hendrix a passé seulement dix semaines à enregistrer à Electric Lady, la plupart du temps alors que les dernières phases de construction étaient encore en cours. Une fête d’ouverture a été donnée le 26 août 1970, et le lendemain, Hendrix a créé son dernier enregistrement studio : un morceau instrumental calme connu sous le nom de « Slow Blues ». Trois semaines plus tard, le 18 septembre 1970, Jimi Hendrix mourrait à Londres à l’âge de 27 ans. Mais son studio allait devenir un sanctuaire pour des générations d’artistes. John Lennon, Led Zeppelin (qui y ont mixé « Houses of the Holy »), The Clash, AC/DC, David Bowie, Stevie Wonder, Patti Smith (qui a enregistré « Horses » en 1975, avec « Elegie » enregistré le cinquième anniversaire de la mort de Hendrix), Kiss, les Rolling Stones… Dans les années 80 et 90, enregistrer à Electric Lady était devenu un rite de passage pour les groupes de rock aspirant à la grandeur. Au tournant du millénaire, le studio est devenu le foyer des Soulquarians, un collectif fondé par Questlove, J Dilla, James Poyser et D’Angelo, qui ont créé des albums révolutionnaires comme « Things Fall Apart » des Roots et « Like Water for Chocolate » de Common. Plus récemment, Daft Punk y a enregistré « Get Lucky » avec Nile Rodgers et Pharrell Williams pour leur album multi-récompensé « Random Access Memories ». Kanye West, Lady Gaga, Taylor Swift, Rosalía… Le studio continue d’attirer les plus grands noms. Nile Rodgers, qui a enregistré des disques de Chic à Electric Lady dans les années 70, résume la magie du lieu : « Quand un musicien entrait là-dedans, il ressentait vraiment : ‘Wow, je peux faire de la grande musique ici.' » Le bâtiment lui-même a une histoire fascinante : avant d’être The Generation, il abritait « The Village Barn », un club de musique country qui a donné naissance au premier programme de musique country à la télévision américaine. Et avant cela, en 1929, c’était le Film Guild Cinema, l’un des premiers exemples d’architecture moderniste à New York. Electric Lady continue d’opérer aujourd’hui, 55 ans après son ouverture, toujours fidèle à la vision de Hendrix d’un espace où les artistes peuvent être eux-mêmes et créer sans limites.

www.electricladystudios.com

Le studio de Prince à Paisley Park se visite toujours

Le légendaire studio d’enregistrement de Prince à Paisley Park, près de Minneapolis, est ouvert au public sous forme de visites guidées. Les visiteurs peuvent découvrir les espaces de création de l’artiste, mais l’accès complet aux studios d’enregistrement reste réservé aux formules VIP.

www.paisleypark.com

Le point commun ?

De Detroit à Memphis, de Muscle Shoals à Nashville, de Miami à Londres, ces studios partagent une philosophie : créer un environnement où les artistes peuvent être eux-mêmes, loin des pressions de l’industrie. Pas de chronomètres, pas de comptables pressés, juste de la musique. Que ce soit les « X » au sol de Sam Phillips et Bill Porter, les panneaux triangulaires de Porter, l’atmosphère familiale de Stax et Motown, le son viscéral de Muscle Shoals, ou la perfection technique d’Abbey Road, chaque studio a développé ses propres « secrets » acoustiques et humains. Beaucoup ont également été des havres d’harmonie interraciale en pleine ségrégation. Et comme Criteria à Miami, ils prouvent qu’on n’a pas besoin d’être à New York ou Los Angeles pour changer le monde – juste d’avoir une vision, une console d’enregistrement et des artistes prêts à repousser les limites.


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