Nos considérations sur les droits de douane émis par Donald Trump

Voici des notes qui nous semblent importantes de considérer sur les droits de douane mises en place par Donald Trump le 2 avril.
Jusqu’au mois d’avril, un grand nombre d’Américains (notamment les Républicains) s’attendaient à une baisse des impôts par l’administration Trump, en raison d’un nombre de signaux envoyés par ses lieutenants, dont Elon Musk, notamment « la fin des impôts sur le revenu fédéraux pour les personnes gagnant moins de 150000$ par an ». Effectivement, si Trump arrive à ainsi baisser les impôts, il pourrait être réélu 56 fois président. Si c’est son objectif (la baisse des impôts), alors on comprend qu’il cherche à récupérer ou protéger des sommes d’argent importantes, avec les droits de douane, le licenciement de fonctionnaires (par le DOGE d’Elon Musk), ou bien en arrêtant les guerres (et donc leur financement (notamment en Ukraine)). C’est un point commun à ses politiques majeures : Trump agit là où il pense qu’il y a de l’argent à récupérer.
Le protectionnisme, « America First », était une notion on ne peut plus annoncée dans la campagne électorale de Trump ; en conséquence, il ne s’agit pas dans les notes ci-dessous de juger ce principe protectionniste : les Américains ont nettement tranché en sa faveur durant l’élection. En revanche la manière dont ce principe est actuellement mis en pratique amène à des commentaires.
D’autres considérations seront certainement ajoutées à cet article dans le courant du mois d’avril.
TRUMP VOULAIT METTRE DES DROITS DE DOUANE
Le Courrier des Amériques le précisait dans son édition du mois de mars, si Trump voulait mettre des droits de douane, c’est parce qu’il voulait… mettre des droits de douane ! Mais avec deux bémols. Premièrement, il les a dans un premier temps utilisé pour tenter de négocier des intérêts différents en fonction des pays. Arrivé à la date du 2 avril, le seul pays qui a cédé à ces négociations, c’est la Colombie qui dès le mois de janvier a accepté de reprendre ses immigrés clandestins en échange de l’abandon de droits de douane. Les autres pays n’ont rien cédé. Le deuxième « bémol », c’est que Trump n’assume pas de vouloir mettre des droits de douane. Thomas Sampson, de la London School of Economics précise à propos des « droits de douane réciproques » annoncés par Trump le 2 avril lors de son « Libération Day » : « Cette formule (des « droits de douane réciproque ») est une ingénierie inverse visant à rationaliser l’imposition de droits de douane aux pays avec lesquels les États-Unis accusent un déficit commercial. Il n’y a aucune justification économique à cela. (…).» Les droits de douane annoncés par Trump ne sont ni rationnels, ni réciproques, contrairement à ce que le panneau qu’il brandissait le 2 avril annonçait. Prenons l’exemple de l’Union Européenne. Le panneau de Trump annonçait « 39% » de taxes de l’UE sur les produits américains. Déjà, s’il y avait 39% de droits de douane en Europe, tout le monde l’aurait su de longue date. En réalité, les 39% en question, ils correspondent (selon les calculs de Trump) au déficit américain dans la balance commerciale avec l’UE. Pour être clair : l’UE vend 39% de plus aux USA, que les USA vendent en Europe. Et, donc, la Maison Blanche veut mettre une taxe pour compenser ce déficit. La taxe mise par Donald Trump correspond à la moitié du déficit (donc en l’occurence, pour l’UE, Trump met 20% de droits de douane : la moitié de 39%).
C’est ce même calcul qui est fait pour tous les pays, sauf, pour être complet : les pays qui n’ont pas un fort déficit avec les USA se voient tout de même imposer une taxe minimale de 10%.
Revenons sur le cas de l’Union Européenne, les taxes sur les produits américains sont actuellement d’environ 1%. Selon l’outil «Tariff analysis online» de l’OMC, 70% des produits américains ne sont pas taxés du tout lors de leur entrée dans l’UE. Les autres produits sont différemment taxés, comme le tabac ou différent aliments, qui ne sont d’ailleurs pas forcément plus taxés en Europe qu’aux USA. Mais, ainsi, en tout on tourne autour de 1% de taxe.
L’équation pour arriver à 39% est donc en elle même absurde. Mais en plus d’être absurde, elle appelle à des mesures de rétorsion contre les exportations américaines (rétorsions qui se mettent en place actuellement).
Pour montrer à quel point elle est absurde : prenons l’exemple d’un petit pays équatorien pas très riche, dont les habitants n’ont pas les moyens de s’acheter des Ford Mustang. Est-ce leur faute si les Américains veulent boire tout leur café, et créent donc une balance commerciale défavorable aux Etats-Unis ? Faut-il pour autant pénaliser des deux côtés de la frontière, à la fois les exportateurs de café et les buveurs de café ?
Autre exemple : si tout d’un coup les pays qui achètent des avions (c’est à dire tous les pays y compris les USA) se mettent à acheter des Airbus à la place des Boeings parce que les Boeings ont plein de problèmes… alors ça change fortement les balances commerciales France-USA, mais… en quoi est-ce serait de la faute de la France ?
Le protectionnisme qui se cache derrière ces calculs absurdes peut peut-être avoir un intérêt pour l’économie américaine (réindustrialisation etc…). Mais en tout cas les calculs sont bel et bien absurdes, et la Maison Blanche le sait mieux que personne. Si la présidence est prête à prendre ce risque, c’est qu’elle est déterminée à mettre fin à la mondialisation et à s’orienter vers une politique protectionniste.
En février Le Courrier écrivait que si l’orientation économique de Trump était protectionniste et pas favorable à une poursuite de la mondialisation, ça ne voulait pas dire non plus que Trump n’allait pas continuer de protéger les intérêts américains à l’étranger et les partenariat avec les pays alliés de longue date. Apparemment on s’est trompé sur ce point-là.
LES MEDIAS REPUBLICAINS TRES CRITIQUES
Un grand nombre de supporters de Donald Trump répète une théorie à propos des pays étrangers sur « les gentils » et « les méchants ». L’annonce des « tariffs » le 2 avril a entraîné de la part de tous les gouvernements la préparation de mesures de contre-attaque. Certains comme l’Italie les souhaitent très mesurées. Mais on peut quand même constater qu’il n’y a que des « méchants » face à un seul « gentil ».
Fox News laisse la parole à un grand nombre de pro-Trump, et des ouvriers – par exemple dans le secteur automobile – sont très heureux de ces droits de douane. Mais il y a peu de médias républicains à soutenir ces mesures. Pas de surprise chez les néo-conservateurs, systématiquement opposés à Trump : « Les Etats-Unis ont commis un suicide », titre The Bulwark. Le sénateur libertarien Rand Paul s’est aussi opposé aux droits de douanes, dont il rappelle qu’il s’agit « d’un impôt ». Plus central chez les Républicains, le Wall Street Journal (le quotidien le plus vendu aux Etats-Unis), avait déjà imprimé le mot « Dumb » (débile) dans son éditorial du 31 janvier. Cette fois, dans l’édito du 3 avril le « board » du journal canonne : « Il y aura certainement des coûts plus élevés pour les consommateurs et les entreprises américains. » (…) « Au fil du temps, cela signifiera l’érosion progressive de la compétitivité des États-Unis. » (…) « Les tarifs unilatéraux de M. Trump font exploser ces accords et invitent à des représailles. » (…) « La fin du leadership économique des États-Unis. » (…) « Une opportunité majeure pour la Chine ». (Et on passe beaucoup de critiques dont une analyse similaire à la notre du calcul absurde des « tariffs » que pratiqueraient les autres pays à l’encontre des USA).
A PROPOS DE LA REINDUSTRIALISATION
Notons toutefois, au passage, qu’une éventuelle réindustrialisation ne peut être liée qu’à la stabilité. Or, quand Trump dit que les droits de douane imposés le 2 avril (et avant contre le Mexique et le Canada) pourraient changer si les autres pays baissent les leurs, ça ne va pas dans le sens de la stabilité. Par exemple, pourquoi un industriel américain voudrait-il créer une usine de chaussures dans le Wisconsin si, dans six mois, les taxes sur les chaussures chinoises risquent d’être baissées ?
Plusieurs « spécialistes » de courants économiques assurent que ce ne serait pas dans l’intérêt des Etats-Unis d’avoir des usines de produits à faible valeur ajoutée, « plutôt que d’investir dans des fabriques de produits de haute technologie ». Alors déjà chacun peut constater que les iPhones sont fabriqués en Chine. Mais, surtout, on ne voit pas bien pourquoi une industrie en gênerait une autre… L’argument semble faible. En tout cas du point de vue chinois tout est bon à prendre : chaussures et iPhones ! Pas du point de vue américain ?
L’ART… ET LA MANIERE
La manière humiliante dont Donald Trump s’est adressé à plusieurs pays (Canada, Mexique et Union Européenne en tête, mais aussi Lesotho etc) a eu des effets économiques négatifs directs sur l’économie américaine. Le boycott est très fort au Canada. Et si en Europe il ne s’agit pas (pour le moment) d’un mouvement politique d’ampleur, les répercussions sont tout de même directes et importantes sur les produits américains.
LA GOLD CARD NE RAPPORTERA PAR 1 TRILLION DE DOLLARS
Autre calcul fantaisiste : Quand Trump a indiqué que sa future « Gold Card » à 5 millions de dollars pourrait compenser une baisse d’impôts, cette annonce est totalement fantaisiste. Le président a en effet assuré qu’il pourrait en vendre 1 million pour ainsi gagner un total de 5 trillons de dollars. Or, Le Courrier s’y connaît un peu dans le domaine de l’immigration. L’année record pour le visa EB-5 fut 2015, et le visa coûtait alors 500.000$. Il s’en est « vendu » 11500 cette année-là. Maintenant, avec une Gold Card dix fois plus cher, il est bien évident que Trump en « vendrait » dix fois moins, et en tout cas pas « 1 million », loin de là. D’autant que, depuis 2015, Trump a lui même limité le nombre de EB-5 délivré aux ressortissants Chinois, qui constituaient une énorme partie des 11500 en question.
L’ANALYSE DE LA CAISSE DESJARDINS
La banque canadienne Desjardins a publié le 1er avril un « point de vue économique » très complet sur les finances publiques américaines, rédigé par Francis Généreux, son économiste principal. En voici l’introduction : « Le président Trump a fait allusion quelques fois à un budget équilibré qui se produirait grâce à la baisse des dépenses et aux hausses de tarifs douaniers. Toutefois, l’ampleur des manques à gagner est si grande qu’il est difficile de voir comment cela pourrait réellement se produire. Il faut aussi considérer les coûts du prolongement des baisses d’impôt de 2017, des autres promesses d’allégements fiscaux aux entreprises et aux ménages et des nouvelles dépenses liées à la défense, à la sécurité et aux contrôles de l’immigration. Les propositions budgétaires mises de l’avant au Congrès sont d’ailleurs loin de suggérer que les déficits s’effaceront bientôt. »
Effectivement, avant de vouloir « baisser les impôts », il va déjà falloir réussir à poursuivre la baisse d’impôts initiée par Trump durant son premier mandat.
Après une étude détaillée, Desjardins conclue : « La somme recueillie grâce aux tarifs ne serait quand même pas négligeable. Si on l’ajoute aux baisses de dépenses potentielles issues des actions du DOGE et, surtout, aux restrictions annoncées du rôle du gouvernement fédéral, on pourrait voir un effet total relativement important et perceptible sur le déficit. Mais, serait‐ce assez pour arriver à un budget équilibré? Il semble que non. En étant très optimiste, on pourrait réduire le manque à gagner annuel d’environ 1 000 G$ US, ce qui reste sous les déficits prévus et c’est sans compter le coût budgétaire de nouvelles baisses d’impôt. »
Dans une autre note du 3 avril, Desjardins note par ailleurs que les tensions politico-commerciales entre le Canada et les USA n’ont pas eu uniquement l’impact qu’attendait les boycotteurs canadiens : « La décélération des échanges avec les États-Unis a creusé le déficit commercial du Canada », assure la banque.
Le Courrier mentionne cette étude de Desjardins, car effectivement le déficit public des Etats-Unis, s’il n’est pas mentionné par Donald Trump comme étant son principal problème… pourrait bien l’être. En effet, si en 2016 Trump fut le premier républicain à ne pas se soucier du déficit public (il assurait que c’était accessoire), 9 ans plus tard, les Etats-Unis sont contraints à des restructurations. Alors, entre « sauver Wall Street » et « sauver l’économie américaine », certains commentateurs assurent que Trump aurait été obligé de faire un choix et de provoquer volontairement une récession : il conviendra de suivre cette piste dans les semaines qui viennent. On parle bien ici de « commentateurs », car il n’y a pas encore d’expert à donner raison à Trump sur cette stratégie.
TRUMP PREND UN RISQUE MAJEUR POUR LUI MÊME
De manière inévitable, les bourses ont dévissé un peu partout sur la planète suite au « Liberation Day » du 2 avril. Trump a assuré que la bourse américaine « allait remonter ». Si ce n’était pas le cas, et si les autres répercussions des droits de douane avaient un impact direct sur les Américains (une forte inflation, une récession etc..), alors Trump courre le risque de se retrouver avec des démissions dans son cabinet et une mise en minorité au Congrès : le Parti Républicain n’assumera pas forcément cette révolution protectionniste.
Si, au contraire, la politique de Trump est un succès, alors les résultats ne pourront pas être visibles avant un certain nombre de mois.
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