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Election américaine : le naufrage des médias

Le Courrier le disait depuis plusieurs mois, la presse et les télévisions américaines étaient en plein naufrage durant cette élection présidentielle – une situation qui ne va pas les réconcilier avec leurs lecteurs – et ce pour trois raisons. 

La Une historique du numéro de Newsweek, livré aux libraires et supermarchés dans la nuit de l'élection.
La Une historique du numéro de Newsweek, livré aux libraires et supermarchés dans la nuit de l’élection.

Tout d’abord, si les éditorialistes américains ont toujours pris des positions politiques et appelé à voter pour des candidats, le contenu des médias était globalement plus équilibré. Mais, cette fois, leur polarisation idéologique extrême en faveur de Mme Clinton marque évidemment un divorce profond avec le pays. Ensuite, les médias sont (presque) les seuls responsables de la poubellisation de l’élection. Ce n’est pas Hillary Clinton qui a publié des photos de Mme Trump nue, ce n’est pas Donald Trump qui les a forcé à écrire des milliers de lignes sur la moindre de ses petites phrases, en les prenant au pied de la lettre (ce que ne faisaient pas les électeurs). Les médias ont parfaitement ignoré le cri de désarroi poussé depuis des années par une grande partie de leurs concitoyens, préférant chaque jour le « buzz » et les polémiques.

Quand, par exemple, Donald Trump parle de construire un « mur avec le Mexique », les médias l’ont pris au pied de la lettre et se sont demandés comment il allait bien pouvoir ériger cet édifice. Alors que les électeurs américains n’ont pas entendu la même chose, se fichant éperdument de cette histoire de mur, ils ont simplement traduit ce que disait Trump par un : « il veut renforcer la politique migratoire ».

Couvertures des journaux américains durant la campagne présidentielle
Couvertures des journaux américains durant la campagne présidentielle

La moitié des sujets médiatisés durant cette campagne étaient totalement futiles, mais l’autre était beaucoup plus sérieuse : le résultat de l’élection (la victoire de Mme Clinton) était prédit depuis un an et demi par les instituts de sondages, et commentés jour après jour dans les médias. Comment prendre au sérieux cette élection dont la gagnante était connue depuis le départ ? Le perdant désigné était donc l’objet de quolibets de la part des journalistes. Son électorat ne valait pas d’être pris plus au sérieux que cela.

Il faut noter que ces trois échecs des médias n’ont pas eu lieu qu’aux Etats-Unis : toute la presse internationale a été influencée, et dans quelques pays (la France en tête), les  médias se sont couverts de ridicule. Il suffit de lire les articles du Figaro, le moins « anti-trump » des journaux français, pour s’en convaincre, avec de nombreux articles sur les statues de Donald Trump nu, les photos de sa femme nue, les manifestants nus aux Etats-Unis, et bien entendu la reproduction des appels d’un imprimé du Ku Klux Klan à voter pour Donald Trump (parmi les 3000 articles sur le sujet que les lecteurs peuvent toujours consulter ici : www.recherche.lefigaro.fr/recherche/donald%20trump/

D’autres médias européens (comme par exemple Le Monde ou Radio France) sont venus dans le sud, souvent en Floride, à la découverte de cet électorat de « vieux blancs racistes vivant avec des armes à feu dans des gated communities », afin de souligner la marginalité d’un électorat soutenant un candidat assuré de perdre l’élection. Une belle aide à la compréhension internationale ; une belle amitié entre les peuples, que les expatriés français ont assez moyennement apprécié.

LA REMISE EN QUESTION SERA-T-ELLE REELLE ?

Evidemment, passée la gueule de bois, les éditorialistes américains ont bien dû faire leur mea culpa. Margaret Sullivan (Washington Post)  l’assure : «Pour parler franchement, les médias ont manqué un rendez-vous avec l’Histoire (…) Beaucoup d’électeurs américains voulaient quelque chose de différent. Bien qu’ils aient crié et hurlé, les journalistes n’ont pas été à l’écoute».  Même constat pour Jim Rutenberg (New York Times) : « La technologie et la modélisation sophistiquée des données n’ont pu sauver le journalisme américain, encore une fois à la traîne de l’histoire, à la traîne du reste du pays». La remise en question va même jusqu’au prix nobel d’économie 2008, Paul Krugman : «Ce que nous savons c’est que les gens comme moi, et probablement comme la plupart des lecteurs du New York Times, ne comprennent vraiment pas le pays dans lequel nous vivons». On peut même dire que, ayant perdu toute crédibilité, ils ont aidé à l’élection de Donald Trump.

Distinguer l’opinion de l’information (Editorial de Décembre 2016)

Gwendal Gauthier, éditeur du Courrier de Floride.
par Gwendal Gauthier, directeur du Courrier de Floride.

Dans presque tous les médias, il y a une petite rubrique titrée « éditorial », qui permet à l’éditeur de donner son point de vue. Pas certain que cette tradition soit utile en elle-même, mais elle a au moins un mérite : faire la distinction entre d’une part l’opinion personnelle, et d’autre part le journalisme. Mais quand c’est tout le média qui reflète une opinion – et plus seulement l’édito – alors ça ne provoque pas seulement un gros problème pour le média en question… mais pour toute la société. Car une société qui ne croit plus en ses médias… courre un grave danger.

Il m’apparaît de ma responsabilité en tant qu’éditeur de presse de consacrer cet ultime éditorial de l’année 2016 à l’apocalypse médiatique qui vient de se produire le 8 novembre dernier. Le Courrier de Floride est fier d’avoir été l’un des rares journaux à ne pas avoir pronostiqué la défaite de Donald Trump, d’avoir parlé de « coude à coude », d’avoir écrit fin octobre qu’il ne fallait pas se fier à « des sondages qui ressemblent surtout à de la sorcellerie », et a pronostiquer, déjà, un « naufrage des médias ». Comme on peut le voir, ce n’était pas un pari ou une provocation de notre part, mais une tentative de compréhension de ce qui était en train de se passer, et c’est de notre point de vue le minimum qu’on puisse attendre d’un média.

Oui, les médias ont leur part de responsabilité dans le résultat de cette élection. Certains comme le New-York Times ou le Washington Post ont présenté des excuses à leurs lecteurs. Mais sont-ils allés enquêter après le 8 novembre (et ces excuses) sur « les raisons de la colère » ; sur les Américains dans la misère ? Non, ils ont surtout diffusé des images de milliers d’habitants des grandes villes manifestant avec des pancartes #notmypresident. Les millions de citoyens ayant voté pour Donald Trump ont de quoi être désespérés, et c’est à croire que les médias américains ont décidé qu’ils allaient aider Trump a être réélu en 2020 !!!

Malgré tout, le meilleur cadeau de Noël que vous pourriez me faire, c’est de ne pas penser comme une écrasante majorité d’américains qui ne croît plus à l’utilité des médias. Il faut simplement distinguer l’opinion de l’information.

Joyeux Noël ! Joyeux Hanoucca ! Et bonne fêtes à tous !

 

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