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« Terre d’Espérance » : Les Huguenots à la conquête de la Floride / 1ère partie : La Rivière de mai

Voici la première partie de notre roman historique « Terre d’Espérance », sur les huguenots français partis à la conquête de la Floride.

Jean-Paul Guis
Un texte original de Jean-Paul Guis, romancier historique

L’étrave des deux vaisseaux à voile fendait majestueusement les eaux calmes de la large rivière qui s’ouvrait devant eux. Dans le reflet d’une eau cristalline se miroitaient des pavillons fleurdelisés aux armes du Royaume de France. Les bâtiments avançaient avec précaution au cœur de ce territoire que les Espagnols avaient baptisé La Florida. Mais pour ces intrépides navigateurs, cette région du bout du monde était tout simplement l’extrémité méridionale de la Nouvelle-France.

Partie du Havre-de-Grâce le 18 février 1562, la flottille française était arrivée en vue des côtes du Nouveau Monde  le 30 avril. La traversée s’était effectuée sans histoire, en suivant un itinéraire soigneusement établi afin d’éviter les routes maritimes empruntées par les vaisseaux du roi d’Espagne. Cette expédition lancée par la France dans cette partie du globe devait absolument rester secrète. Après avoir dépassé une avancée de la côte qui prendra le nom de Cap François, les navires s’étaient engagés vers l’intérieur des terres en empruntant l’embouchure d’une grande rivière. C’était le 1er mai 1562.

Debout sur le château arrière du vaisseau de tête, le regard fixé sur l’horizon, se tenait le chef de la petite escadre, le capitaine Jean Ribault. Originaire de Dieppe, il était considéré comme un des plus brillants officiers de la marine royale et avait été chargé de conduire cette mission d’exploration par l’amiral Gaspard II de Coligny. Chef du parti protestant, l’amiral avait l’oreille de la reine mère, Catherine de Médicis. Il l’avait convaincu d’établir des colonies huguenotes au Nouveau Monde afin d’aider à mettre un terme aux guerres de religion tout en augmentant le prestige et la puissance de la France. La proximité de la route des galions espagnols chargés d’or en provenance du Panama était aussi un argument alléchant pour un royaume en proie à des difficultés financières chroniques. En vérité, le grand homme voulait donner un havre de paix à ses coreligionnaires tout en portant un coup sérieux à l’ennemi juré, l’Espagne. En effet, il comptait bien lui ravir au passage une bonne partie de son or des Amériques. Ce n’était donc pas vraiment par hasard que Jean Ribault et la majorité des membres de l’expédition étaient presque tous des huguenots convaincus.

René de Goulaine de Laudonnière
René de Goulaine de Laudonnière

Le commandant en second, René de Goulaine de Laudonnière, était également un marin de talent. Malgré ses allures d’élégant gentilhomme de cour, il était aussi à l’aise sur le pont d’un navire que dans un salon. Huguenot et versé dans la diplomatie internationale, il avait été fortement recommandé par Coligny en personne auprès du capitaine Ribault.

Pour les accompagner, l’illustrateur et cartographe Le Moyne de Morgues. Il allait se faire remarquer lors de cette expédition par la précision de ses cartographies des terres de Floride. Grâce à ses nombreuses illustrations, il deviendrait bientôt la référence sur la faune, la flore et la culture amérindienne de la région à cette époque.

Tous les membres d’équipage qui ne participaient pas à la manœuvre avaient eu la permission de s’accouder au bastingage et regardaient défiler le paysage des berges luxuriantes qui s’offraient à leurs yeux. Pour parer à toute éventualité, les canonniers étaient à leur poste de combat et les soldats équipés de pied en cap. Au complet, 150  hommes de toutes conditions sociale ou religieuse. Des gentilshommes, des hommes d’armes, des marins ou tout simplement des aventuriers et même quelques criminels pardonnés. Tous des individus curieux de découvrir des horizons lointains, mais surtout attirés par les richesses mythiques du Nouveau Monde. Parmi eux, quelques catholiques, mais majoritairement des huguenots avides de trouver une terre nouvelle où ils pourraient pratiquer leur religion loin des persécutions.

Après avoir choisi un point de mouillage sûr situé au centre de la rivière, le capitaine Ribault ordonna de jeter l’ancre. Le soleil couchant venait d’enflammer le firmament pour céder peu à peu la place aux lambeaux de ténèbres qui prenaient rapidement possession des environs. Sous les tropiques, la nuit tombe vite !

– Demain matin, nous débarquerons à la première heure afin d’explorer la contrée avoisinante, décréta le capitaine Ribault à ses principaux adjoints qu’il avait invité à partager son souper. Il faudra être sur nos gardes. Nous ne savons pas quel accueil risque de nous réserver les tribus locales.

– J’ai ouï dire que depuis une cinquantaine d’années, les Espagnols ont attisé l’hostilité des Indiens à cause de leurs raids  incessants destinés à capturer des esclaves.

– J’ai aussi entendu les mêmes histoires, Monsieur de Laudonnière, répondit le chef  de l’expédition. Raison de plus pour débarquer avec une force conséquente.

Les hôtes approuvèrent ces sages propos d’un hochement de tête tout en continuant leur repas.

– Capitaine Fiquinville, vous m’accompagnerez à terre et prendrez le commandement de la troupe. Monsieur de Laudonnière restera à bord et me remplacera pendant notre absence.

Sur ces paroles, Jean Ribault se leva, indiquant à ses convives qu’il était temps de prendre congé. La journée du lendemain s’annoncerait peut-être pleine de surprise et une bonne nuit de sommeil serait bénéfique.

*

Le soleil se levait paresseusement à l’horizon que déjà, plusieurs embarcations remplies d’hommes d’armes s’avançaient vers la terre ferme à grands coups d’avirons. Rapidement, les barques atteignirent la berge et toute la troupe débarqua. Les Français venaient juste de mettre pied à terre qu’un groupe d’indigènes surgit de derrière le rideau des arbres. La troupe resserra instinctivement les rangs tout en pointant les lances vers l’avant. Les quelques soldats munis d’arquebuses attisèrent le bout incandescent des mèches de mise à feu et posèrent leurs armes en position de tir sur les fourquines (fourches de support).

Le capitaine Ribault ordonna à ses hommes de baisser les armes par un signe du bras et s’avança face aux Indiens avec des gestes d’apaisement. Après un instant d’hésitation, ces derniers vinrent à sa rencontre en poussant des cris de joie. La glace était rompue.

Hommes, femmes et enfants entouraient les explorateurs en leur faisant des gestes de bienvenue. Les Indiens étaient seulement vêtus d’un pagne autour de la taille avec le corps décoré de tatouages rituels. Les guerriers avaient des cheveux regroupés en chignon au sommet du crâne et la plupart d’entre eux étaient d’une stature supérieure à celle des Européens.  Ils s’exprimaient dans une langue incompréhensible à laquelle les Français se trouvaient bien incapables de répondre. Tout ce brouhaha s’arrêta immédiatement à l’apparition d’un personnage affublé d’un couvre-chef orné de queues de raton laveur qui s’avança vers Jean Ribault d’un pas solennel. Les Indiens s’écartèrent respectueusement au passage de cet individu qui paraissait être le chef de la tribu. Arrivé à hauteur du capitaine de l’expédition, il fit une longue harangue dans la langue de son peuple et tendit les bras en présentant une peau d’animal au poil duveteux.

Quand le huguenot accepta le cadeau, tous les membres de la tribu poussèrent des cris de joie et le chef esquissa un sourire de satisfaction. Les nouveaux arrivants venaient  de réaliser leur première alliance.

À suivre…

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