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Non, il n’y a pas eu de défaite américaine en Afghanistan

L’opinion publique internationale a eu la sensation à la fin du mois d’août que les armées américaines fuyaient l’Afghanistan après une défaite militaire. Il convient donc de rétablir quelques vérités.

Nous avons consacré un long article au mois d’avril dernier sur les possibilités d’influences stratégiques et militaires internationales des Etats-Unis. Après des « années Trump » en retrait de la scène internationale, beaucoup se demandent ce que sera l’avenir de la puissance américaine. Laisser dire que les Etats-Unis ont subi une « défaite » en Afghanistan n’aide pas à la compréhension de cette réalité. Voici en conséquence un résumé de ce qui s’est passé en Afghanistan.

Des talibans à Kaboul le 17 août 2021
Des Talibans à Kaboul le 17 août 2021 (photo :domaine public – par VOA – https://www.youtube.com/watch?v=nAg7egiXClU, Public Domain, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=109038417

Suite aux attentas du 11 septembre 2001, l’intervention en Afghanistan a débuté avec une cible militaire, Ben Laden, le chef d’Al Qaida qui avait revendiqué ces attentats de New-York. Ben Laden a été éliminé par les Américains 10 ans plus tard, en 2011. La guerre en Afghanistan a donc été gagnée ce jour-là. Pour arriver à éliminer Ben Laden et son encadrement, les armées occidentales (et non pas « Les Américains » (1)) avaient auparavant, en 2001, dû attaquer le gouvernement des Talibans qui protégeait Ben Laden dans leur pays. Les pays d’Europe ont déclenché l’article 5 de l’OTAN afin d’aller également faire la guerre en Afghanistan, alors que ce n’était pas souhaité par les Américains. Au début de cette opération militaire, les Talibans avaient quitté leur capitale sans combattre.

Après l’élimination de Ben Laden, les Etats-Unis et leurs alliés ont commis l’erreur de penser qu’ils pourraient aider le « nouveau » gouvernement à former son armée, afin de résister au retour des Talibans.

Emmanuel Macron, par exemple, a ainsi commenté le départ des Américains : « On ne peut pas imposer la démocratie, un gouvernement depuis l’extérieur« . Moralement, ça se discute certainement. Mais, techniquement, Emmanuel Macron a tort, et les Etats-Unis l’ont prouvé, notamment en RFA où au Japon, pays où ils ont imposé la démocratie par la force militaire. Mais, encore une fois leur intervention initiale en Afghanistan n’était pas pour exporter un système politique, mais de se débarrasser de Ben Laden.

Il est vrai, néanmoins, que les Américains ont depuis la Seconde Guerre Mondiale voulu récidiver les tentatives d’exportation de la démocratie. Le courant politique qui dominait la classe politique américaine aussi bien en 1991 (Guerre du Golfe) qu’en 2001 (Afghanistan), les néo-conservateurs, sont les promoteurs de cette « exportation de la démocratie » ; du « droit d’ingérence ». Mais les Américains ne sont pas les seuls : dans un grand nombre d’autres pays occidentaux il y a aussi des intellectuels influents qui sont favorables aux interventions.

Toutefois, dès 2013, le président Obama préparait le retrait des troupes, ce qu’il arrivera à commencer. Mais à mesure que les alliés s’en vont, les Talibans regagnent des forces, et une pression internationale importante se fait sentir pour que les Américains n’abandonne pas le gouvernement afghan.

Dès sa campagne électorale de 2015, Donald Trump s’oppose aux interventions américaines et déclare que, s’il est élu président, il ne débutera pas de guerre et qu’il retirera les troupes des endroits où elles se trouvent. Sa position est d’autant plus tranchante que ses militants du Parti Républicain avaient auparavant soutenu les interventions à l’étranger des George Bush, père comme fils. Mais la majorité des Américains regrettent aujourd’hui d’avoir soutenu ces opérations.

Les dernières images en provenance d'Afghanistan (comme celle-ci en date du 27 août) n'a pas aidé à la compréhension des événements...
Les dernières images en provenance d’Afghanistan (comme celle-ci en date du 27 août) n’a pas aidé à la compréhension des événements… (Crédit Photo : 1st Lt. Mark Andries – https://www.dvidshub.net/image/6809085/spmagtf-cr-hkia-ramp-ceremony, Public Domain, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=109475190

En février 2020, le président Trump signe l’accord de Doha avec les Talibans (et le gouvernement Afghan), et il annonce suite à cette accord que les Etats-Unis vont quitter l’Afghanistan. Il n’y a donc aucune « défaite ». Les services de renseignements américains connaissent déjà la conséquence de leur départ : les Talibans vont reprendre le pouvoir à un moment ou à un autre.

Quand Joe Biden a annoncé, en avril 2021, que le retrait des ultimes troupes américaines présentes se réaliserait le 4 juillet suivant, ces dernières n’étaient plus que 3500, et toutes basées à l’aéroport de Kaboul. Les Etats-Unis n’étaient alors aucunement en charge de la sécurité du pays, ni de sa guerre civile. Les analystes américains savent alors que les Talibans vont gagner cette guerre civile mais dans un délai qu’ils estiment (à tort) supérieur à un an. Les généraux sur place n’ont pas la même vision que la CIA, et ils sont défavorables au retrait immédiat des troupes. Néanmoins, Joe Biden ordonne qu’il continue, comme initié par son prédécesseur, car les Américains sont las de ce conflit. Le retrait opéré par Biden se terminera avec deux mois de retard (seulement), fin août 2021.

A cette occasion, il y a eu un attentat à l’aéroport de Kaboul, condamné par les Talibans, mais qui a donné une image de chaos car il a fait 182 victimes. Ca ne constitue pas pour autant une « défaite des Etats-Unis » : ils ont fait ce qu’ils avaient dit qu’ils feraient, et ce retrait, avec un seul attentat, est certainement un exploit.

Entrée de l'aéroport de Kaboul deux jours après le retour au pouvoir par les Talibans.
Entrée de l’aéroport de Kaboul deux jours après le retour au pouvoir par les Talibans. Crédit photo : VOA – https://www.pashtovoa.com/a/kabul-on-second-day-of-taliban-takeover/6005567.html, Public Domain, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=108805254

Cette guerre a en réalité deux perdants côté américain. La défaite des néo-conservateurs est bien réelle, eux qui ont laissé croire durant des décennies que la démocratie pouvait être imposée partout dans le monde. Mais leur défaite n’est pas une grande nouveauté. Le « Trumpisme » les a remplacé depuis des années au sein du Parti Républicain et leur principale revue (The Weekly Standard) n’existe plus depuis 2018.

Le deuxième perdant lors de ce départ d’Afghanistan, c’est certainement le service de communication de Joe Biden à la Maison-Blanche. Il n’a aucunement expliqué aux médias et au public le pourquoi et les conditions de ce départ, donnant cette impression de « départ précipité », alors que, dans la réalité, les Etats-Unis ont mis 10 ans à quitter Kaboul !

Dans les pays occidentaux (entre autres), bien des mouvances politiques sont opposées aux gouvernements islamistes et pour eux il s’agit d’une défaite, car il y un gouvernement radical de plus en Afghanistan. Et, effectivement, par delà l’Afghanistan, il convient de se poser la question de savoir si la « War on Terror » initiée par George W. Bush a été victorieuse.

Quel succès pour la War on Terror ?

Le terrorisme a été combattu, et il n’arrive désormais plus à frapper sur le sol américain. C’est un succès, mais qui a un coût exorbitant puisque des guerres ont été menées durant des décennies ; qu’elles ne sont pas terminées (notamment celles de la France en Afrique, ou encore les éliminations par drone organisées par les Etats-Unis), et que des systèmes de surveillance et de sécurité ont dû être installés absolument partout aux USA, constituant un rempart nécessaire à ce qu’il n’y ai plus d’attentats sur le sol Américain. Sinon… Sinon il y en aurait : Ben Laden avait démontré qu’il était possible de frapper les Etats-Unis, et ces derniers n’ont pas, depuis lors, moins d’ennemis…

Si une partie de la théorie de Samuel Huntington sur le « choc des civilisations » s’est bel et bien réalisée, c’est le conflit entre l’Occident et une forme d’islam politique hostile (même si un grand nombre de pays – occidentaux comme musulmans – n’ont pas pris part au conflit). Alors, si le but de la « War on Terror » était d’éliminer les volontés et les tentatives d’attaques des intérêts américains (ou occidentaux) par des pays ou groupes musulmans, on ne peut pas dire que c’est un succès.

Nelly Lahoud dresse un panorama complet de la War on Terror dans le numéro de septembre 2021 de Foreign Affairs. (3) Voici sa conclusion : « Le paysage djihadiste est encore divisé. Les organisations djihadistes continuent de proliférer, mais aucun groupe ne domine comme Al-Qaïda et Daech l’ont fait autrefois. Leurs capacités vont de simples vociférations menaçantes, au lancement de cocktails Molotov, à la réalisation d’opérations suicides ou à l’explosion de voitures, à la prise de contrôle d’un territoire, au moins pour un moment.
(…)
Washington ne peut pas tout à fait revendiquer la victoire contre al-Qaïda et ses confrères, qui conservent la capacité d’inspirer des attaques meurtrières, même à petite échelle. Les deux dernières décennies, cependant, ont montré à quel point les groupes djihadistes peuvent espérer accomplir peu de choses. Ils ont de bien meilleures chances d’atteindre la vie éternelle au paradis que de mettre les États-Unis à genoux.« 


– 1 – La France, par exemple, n’est pas restée 20 ans en Afghanistan, mais « seulement »… treize. Ce qui veut dire que, trois ans et demi après l’élimination de l’objectif (Ben Laden), la France était toujours présente en Afghanistan. Les Canadiens sont également restés jusqu’en 2014, et les Britanniques jusqu’en 2021.

– 2 – Il est curieux de constater, par exemple en France, que Bernard Henri Lévy et Jean-Marie Le Pen sont d’accord pour tous deux regretter que les Etats-Unis n’aient pas livré une guerre aux Talibans…

– 3 – www.foreignaffairs.com/articles/afghanistan/2021-08-13/osama-bin-ladens-911-catastrophic-success


Voir aussi notre article :

Les Etats-Unis sont-ils en train de disparaître de la scène internationale ?


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